Revue Porte Ouverte

L’art qui délivre

Par Joëlle Parent-Proulx,
Agente de communications, ASRSQ

Un détenu qui libère ses talents?

Lors de notre visite au pénitencier Leclerc, Pierre Bertrand, responsable du département des arts, a tenu à nous faire rencontrer un détenu bien spécial qui a développé des aptitudes et un talent hors de l’ordinaire à transformer ses idées négatives en véritables chefs-d’œuvre.

«Cacane» est détenu depuis plus de vingt ans. Son cheminement dans le monde carcéral n’est pas sans remous. Cependant, Cacane a trouvé un moyen de canaliser son énergie négative en énergie constructive et positive. Peindre des tableaux est maintenant beaucoup plus qu’un passe-temps pour lui, c’est une raison de vivre. Il nous a montré ses premiers tableaux, qui ne sont toujours pas terminés après 10 ans. Le temps est futile quand on est enfermé. Cacane compte finir ses tableaux, un jour.

«Quand tu rentres en dedans, les premières années, tu réfléchis, tu regrettes ton geste. Tu te crois repenti et prêt à re-sortir. Mais il te reste encore 25 ans. Alors la deuxième, troisième, quatrième année, tu te révoltes contre le système et tu en veux à tous ceux qui te tiennent enfermé. Ensuite, tu t’en fous, ça ne te fait plus rien. Mais tu n’as rien à faire… alors je faisais des mauvais coups». Cacane n’avait rien d’un enfant de chœur.

Tranquillement, il a découvert la peinture comme moyen de passer le temps. Au début, il crachait toute sa rage sur ses toiles. Chacune d’elles avait son histoire bien précise, souvent empreinte de haine, de violence et d’injustice. Et puis, il a découvert le plaisir de peindre des belles choses, pour lui et pour les autres. Il a peint l’histoire du Coyote poursuivi par Road Runner et Béatrice pour une petite fille qui rendait visite à son papa au pénitencier (voir la section en couleurs). Il a peint deux visages s’embrassant sensuellement pour un ami détenu. Il a peint un tableau magnifique pour sa sœur. Ces temps-ci, il peint une scène de pique-nique pour la femme de son ami.

La peinture a changé la vie de Cacane. En plus d’occuper ses temps libres au lieu de faire des mauvais coups, Cacane a maintenant un sujet de conversation qui intéresse les autres détenus et les gardiens. Il se distingue ainsi en tant que personne et développe plus facilement des liens avec les autres. Dans un milieu oppressant où il est strictement surveillé, l’art de Cacane le valorise. «Je me sens beaucoup plus calme, plus en paix avec moi-même». Il est aussi beaucoup moins violent et plus patient au travers des arias de sa vie de détenu. Il a visiblement acquis beaucoup de maturité et est lui-même en mesure de suivre et d’apprécier son évolution personnelle. «Je l’accepte maintenant comme je suis, avec mes forces et mes faiblesses».

Où prend-il son inspiration? Il pointe sa tête : «là-dedans». En fait, Cacane a besoin de timulation intellectuelle et visuelle. «Quand ça fait des années que t’as pas vu un arbre, une rivière, une auto, un magasin, t’as plus les images dans ta tête. Je lis beaucoup. Je regarde des revues, des agasines, des circulaires. Sinon je dessinerais juste des murs et des barreaux». La réalité en dedans est otalement différente de celle à l’extérieur. Les détenus incarcérés depuis de nombreuses années voient toujours les mêmes choses, et les choses qu’ils voient sont toujours les mêmes. Ils peuvent difficilement constater que les voitures évoluent, que les deux dollars en papier n’existent plus, que des machines distribuent du café. C’est en feuilletant une circulaire de la SAQ que Cacane s’est rappelé de quoi avait l’air une bouteille de vin. Il en a peint une superbe sur la table à pique-nique pour la femme de son ami.

L’an dernier, Cacane a remporté le prix Arcad-Raymond-Boyer avec l’une de ses œuvres (voir l’article Arcad : Des gens, des événements, des développements). Il a aussi produit une toile pour la Vente aux enchères d’objets d’art à des fins caritatives organisée par le Service correctionnel du Canada en collaboration avec ARCAD.

S’il devait sortir un jour, Cacane continuerait à peindre. «J’en ai besoin, ça fait partie de ma vie». C’est en évaluant et en commentant ses œuvres, complètes et incomplètes, que Cacane a posé un regard sur sa vie, sur le cheminement qu’il a fait depuis son incarcération voilà plusieurs années jusqu’à aujourd’hui. «Peinturer, ça me permet de m’évader, de sortir d’ici, de m’imaginer ailleurs que derrière des barreaux. Quand je peins, je ne suis plus ici». Il paraît serein, confiant et prêt.

Cacane a un talent hors pair. Et il l’a développé magnifiquement. Son imagination est débordante et sa créativité est sans fin. Il a réussi à transformer ses pulsions négatives en de véritables chefs-d’œuvre. Ceux-ci lui permettent des interactions saines avec les gens qu’il côtoie, et surtout une relation saine avec lui-même. Il est visiblement mieux dans sa peau qu’il n’a jamais été.