Revue Porte Ouverte

L’Art et la réintégration sociale et communautaire

Par Valérie Descroisselles-Savoie,
Art-thérapeute

Marc Duhamel,
Animateur de pastorale à l’Établissement de détention Leclerc de Laval

et Marie-Josée Poirier,
Coordonnatrice du programme mère-enfant de CFAD

L’art en milieu carcéral : un moyen alternatif de cheminer vers la réinsertion sociale

L’Établissement de détention Maison Tanguay a toujours accordé une place particulière à l’art dans ses programmes et services offerts aux femmes incarcérées. Qu’il s’agisse d’activités ponctuelles, comme un concours de dessins lors de la Semaine de prévention du suicide, ou de projets à moyen terme, le recours à une forme d’art peut stimuler à la fois des compétences cognitives, émotives et relationnelles. Cette pratique s’est maintenue depuis le transfert de la clientèle à l’Établissement de détention Leclerc de Laval. Trois intervenants du milieu se proposent d’expliquer comment l’expression artistique peut être utilisée comme moyen de favoriser la réinsertion sociale.  

L’art thérapie : Expression de soi & accompagnement par l’art

Offerts sur une base hebdomadaire depuis plusieurs années, ces ateliers de groupe sont axés sur l’expression et l’exploration de soi par le biais de la création artistique visuelle. La participation, volontaire, ne nécessite aucune expérience préalable et peut être de courte ou moyenne durée selon l’intérêt et les paramètres du passage en détention. Chaque atelier comporte une période de création où il est possible de choisir un thème ou une technique à explorer (dessin, peinture, sculpture, collage, gravure, assemblage de matériaux divers, etc.). L’esthétisme occupe une place secondaire, l’objectif initial étant plutôt de s’approprier l’espace, propice au recueillement, afin de s’exprimer en toute liberté et se donner la latitude d’expérimenter avec la matière. La création est suivie de discussions, une occasion de dégager les significations personnelles de l’œuvre et approfondir la réflexion sur des thèmes-clés. Ces rencontres sont une invitation à développer son potentiel créateur et constituent une forme d’accompagnement axée sur les ressources. Elles se déroulent dans un cadre confidentiel, valorisant un climat de confiance et de non-jugement, et offrent la possibilité d’entreprendre une démarche d’exploration honorant l’expertise de chaque personne à l’égard de ses intérêts et de son expérience, cela dans le respect des capacités et limites. 

Compte tenu des aléas de la vie quotidienne et des enjeux qui caractérisent le contexte de l’incarcération, l’accès à un tel espace alternatif permettant de placer les arts au service de soi dans une atmosphère de collaboration semble significatif. À travers l’expression et la réflexion, tant picturales que verbales, la démarche, dans sa visée et ses retombées, peut s’avérer multiforme : ventiler et libérer les tensions, nourrir l’espoir, mieux s’adapter, favoriser la compréhension et l’affirmation de soi, maintenir le lien avec la vie à l’extérieur. En plus des dimensions éducationnelle et occupationnelle (détente, plaisir, répit, évasion, combattre l’oisiveté), l’atelier renvoie tout autant à la légitimité du vécu et des besoins, à l’importance de la dignité, qu’aux choix et à la capacité d’action pour mieux se situer et s’outiller pendant l’incarcération. Les œuvres, témoins du progrès dans la démarche de façon tangible, sont souvent une source de fierté. Les fonctions humanisantes, pacifiantes, médiatrices et subversives de l’art sont bien connues. Dans un contexte où une forme de sujétion cohabite avec une visée de réintégration, créer est un agir particulier qui peut renvoyer directement à l’agentivité et servir conjointement de soupape et de pont.

La clé des chants

L’idée d’incorporer des chansons aux messes célébrées par la pastorale est venue d’une personne incarcérée, au début des années 2000. Le nom de la chorale, quant à lui, est le fruit d’une longue réflexion commune avec l’un des enseignants, Jean-Bernard. Ce petit clin d’œil à l’expression prendre la poudre d’escampette se veut surtout évocateur de la fonction de la chorale, soit de se libérer l’esprit, une chanson à la fois.  Au départ, on intégrait un ou deux chants populaires lors des célébrations, en essayant de sélectionner des titres qui avaient une certaine profondeur et qui parlaient de thèmes universels comme la vie ou l’amour. 

Éventuellement, la chorale s’est transformée en une tradition hebdomadaire avec sa propre plage horaire dans les activités du service de pastorale.

Chacune des chansons retenues possède son utilité

Ailleurs de Marjo est probablement la plus populaire de toutes les pièces musicales au fil des années. La quête de sens à la vie et le sentiment d’impuissance qu’évoque cette chanson viennent rejoindre tellement de femmes qui fréquentent l’établissement. Ça fait rire les oiseaux de La Compagnie créole est une façon de se rappeler que l’espoir et la joie existent toujours et d’oublier, pour quelques minutes, la souffrance qui habite les femmes. Le répertoire comprend aussi plusieurs chansons anglophones, mais nous avons pris la peine de faire traduire pour se pencher sur le texte de chacune d’entre elles. Tout le monde connaît I will survive de Gloria Gaynor, mais peu se sont penchées sur la trame, soit le courage et la force de caractère qu’il faut pour mettre fin à une relation nuisible. 
 
Platon disait que la musique adoucit les mœurs. Il a certainement raison, mais elle possède beaucoup plus de fonctions en milieu carcéral. Elle est rassembleuse; elle nous élève; elle nous permet de vivre l’instant présent et de nous libérer des tensions; et elle favorise aussi la réflexion et la discussion. À chaque rencontre, un micro est disponible pour une femme qui souhaite chanter tout en étant accompagnée de la trame originale. Les plus timides parviennent à surmonter leur gêne avec les encouragements de leurs pairs. À la fin, leurs efforts sont applaudis par les autres femmes, et la fierté de s’être surpassé leur permet de vivre un succès d’estime. En conclusion, La clé des chants, c’est une façon de se libérer l’âme et l’esprit et de se reconnecter avec soi-même. 

Je communique avec mon enfant

Cet atelier fait partie, depuis novembre 2016, des programmes et des activités que Continuité-famille auprès des détenues (CFAD) offre aux mères en détention depuis plus de 30 ans. Il s’inscrit dans la mission de l’organisme, soit favoriser le maintien du lien mère-enfant durant l’incarcération. Ce projet d’écriture collective vise à développer, préserver et, parfois même, rétablir ce lien significatif entre les femmes incarcérées et leurs enfants.  Ceux-ci peuvent devenir une source importante de motivation à la sortie de l’établissement de détention et être un levier dans la réussite de leur réinsertion sociale. Il a pris ses origines dans les observations et réflexions des intervenantes du programme qui s’interrogeaient sur les façons de mieux desservir les femmes dont les enfants ne peuvent participer aux séjours dans l’unité familiale pour diverses raisons, comme l’éloignement.  Je communique avec mon enfant réuni un petit groupe de cinq à huit participantes sur une période de six semaines. À chaque séance, ces femmes bénéficient d’un espace stimulant pour réfléchir, ensemble, sur l’intention qu’elles souhaitent véhiculer à leurs enfants à travers l’histoire qu’elles vont construire. Plusieurs formes d’exercices sont utilisées pour déployer leur imaginaire : improvisation, cadavre exquis, etc.  Jusqu’à présent, cinq processus de création ont été menés à terme : un abécédaire, un conte de Noël, un de Pâques, une histoire sur l’acceptation des différences, et un récit sur la culture des Premières Nations. Selon la volonté de la participante ou, si elle est impliquée, de la Direction de la protection de la jeunesse, un exemplaire du conte peut être remis à l'enfant. Dans d’autres cas, l’activité devient un prétexte pour permettre aux femmes incarcérées de trouver, de manière non intrusive, les mots pour exprimer leur affection envers leurs enfants.  
 
Après quelques expériences d’animation dans la dernière année, il nous est possible d’affirmer que l’atelier de création littéraire contribue au bien-être et à la réinsertion sociale des femmes en l’établissement. La remise en question sur leur vécu pour inspirer le fil conducteur de l’histoire les amène à mieux identifier leurs émotions. De plus, un travail en groupe ne peut pas toujours se faire dans l’harmonie et la facilité. Chaque semaine, les participantes doivent mettre en pratique des compétences relationnelles  vastes : l’écoute, l’empathie, le respect, l’esprit de collaboration, le partage, la négociation et le compromis, pour ne nommer que celles-ci. Les échanges entre les femmes favorisent la prise de conscience face aux conséquences que leur incarcération fait subir à leurs enfants. Enfin, le fait de tenir le fruit de leurs efforts entre leurs mains suscite à la fois des sentiments de fierté et d’accomplissement, ce qui ne peut qu’influencer positivement leur estime de soi et leur confiance en leur capacité d’efficacité et de réussite.
 
Somme toute, l’art en établissement de détention possède plusieurs fonctions. Qu’il s’agisse d’une prise de conscience, d’exprimer ses émotions, ou de rassembler les gens autour d’un objectif commun, il offre une façon différente, mais efficace, de cheminer vers un processus de réinsertion sociale.