Revue Porte Ouverte

Les Autochtones et le système de justice pénale

Par David Henry,
Coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Justice et Autochtones : un aperçu statistique

L'identité autochtone

L'identité autochtone désigne les personnes qui déclarent s'identifier à au moins un groupe autochtone, c'est-à-dire les Indiens de l'Amérique du Nord, les Métis ou les Inuits, ou celles qui déclarent être des Indiens des traités ou des Indiens inscrits, en vertu de la Loi sur les Indiens du Canada, ou encore celles qui déclarent être membres d'une bande indienne ou d'une Première nation.

Lors du recensement de 20061, 1 172 790 personnes se sont identifiées comme Autochtones, comparativement à 976 305 en 2001 et à 799 010 en 1996. Parmi les trois groupes autochtones, ce sont ceux qui se sont identifiés comme Métis qui ont affiché la progression la plus marquée entre 1996 et 2006. Leur nombre a presque doublé (+91 %) pour atteindre 389 785, selon les estimations. Il s'agit d'un taux de croissance presque trois fois plus élevé que celui des membres des Premières nations (+29 %), dont les effectifs se sont chiffrés à 698 025 personnes. Le nombre de personnes s'étant identifiées comme Inuits a augmenté de 26 % pour s'établir à 50 485.

Incarcération

La réalité troublante de la surreprésentation des Autochtones dans les populations carcérales au Canada est bien connue. Les Autochtones forment 3 % de la population canadienne, mais représentent 18,5 % de la population carcérale sous responsabilité fédérale. Dans le cas des délinquantes autochtones, la situation est encore plus préoccupante car elles composent 31,9 % de la population des détenus sous responsabilité fédérale2.

La population des délinquantes autochtones a augmenté de près de 90 % au cours des dix dernières années; c'est le segment de la population des délinquants qui connaît la croissance la plus rapide3.

Cette surreprésentation est particulièrement prononcée dans l'Ouest; elle est toutefois réelle dans tout le Canada. Dans la région des Prairies où ils constituent une grande partie de la population générale, les Autochtones représentent 60 %, de la population carcérale.

Mise en liberté sous condition

Le taux d'octroi de la semi-liberté aux délinquants sous responsabilité fédérale a diminué parmi les délinquants autochtones en 2010-2011. De plus, la proportion de la peine purgée avant la première libération conditionnelle totale était moindre chez les délinquants non autochtones que chez les délinquants autochtones (37,5 % contre 41,2 %). Finalement, les délinquants non autochtones ont purgé une moins grande partie de leur peine avant d'être mis en semi-liberté pour la première fois, soit 30,7 % comparativement à 37,4 % pour les délinquants autochtones4.

Facteurs influant sur la surreprésentation des Autochtones dans les établissements

Les familles éclatées et l'aliénation culturelle sont des caractéristiques communes aux délinquants autochtones. Au cours de ses audiences tenues dans toutes les régions du Canada, on a appris que 95 % des délinquants autochtones au Pénitencier de Prince Albert en Saskatchewan avaient été adoptés ou placés en famille d'accueil à un certain moment de leurs vies.

Un pourcentage extrêmement élevé de délinquants autochtones indique avoir consommé de la drogue et de l'alcool à un jeune âge (80 %), avoir subi des mauvais traitements (45 %), avoir des parents négligents ou absents (41 %) et avoir connu la pauvreté (35 %); 28 % ont été des pupilles de la collectivité et 15 % ont été envoyés dans des pensionnats. Les problèmes de santé sont également plus fréquents chez les délinquants autochtones5.

Préoccupations de l'Enquêteur correctionnel6

Dans son dernier rapport, rendu public en octobre 2012, le BEC rappelle que les résultats correctionnels des délinquants autochtones continuent d'emprunter la mauvaise direction. Ainsi, les résultats de la majorité des indicateurs clés en matière de rendement correctionnel ne se sont pas beaucoup améliorés :

  • Au cours des dix dernières années, la population carcérale non autochtone a connu une hausse modeste de 2,4 %, tandis que la population carcérale autochtone a enregistré une hausse considérable de 37,3 %.
  • Les délinquants autochtones sont plus susceptibles que les autres délinquants à se voir révoquer leur liberté conditionnelle et moins susceptibles de se voir octroyer une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale. En règle générale, la majorité d'entre eux sont mis en liberté dans le cadre d'une libération d'office ou à la date d'expiration de leur mandat.
  • Les délinquants autochtones sont aiguillés vers un nombre proportionnellement plus élevé de programmes que les délinquants non autochtones qui présentent un niveau de risque et des besoins équivalents.
  • Les délinquants autochtones sont de nouveau sous la responsabilité du SCC plus souvent après l'expiration de leur mandat.
  • Les délinquants autochtones de sexe masculin sont deux fois plus susceptibles d'être affiliés à un gang.
  • Un nombre disproportionné de détenus autochtones s'automutilent, comparativement aux détenus non autochtones.

En juillet 2010, en réponse à une recommandation formulée par le BEC, le SCC s'est engagé à passer en revue sa stratégie de santé mentale afin de «cerner les points à améliorer et déterminer si la stratégie est adaptée à la culture des délinquants autochtones». Finalement, un rapport devrait être déposé à l'automne 2012, soit deux ans plus tard.

Comme le BEC l'a déjà signalé et comme le démontrent les résultats liés au rendement, l'écart entre les résultats correctionnels des délinquants autochtones et non autochtones s'agrandit avec le temps. À la lumière des tendances et des résultats actuels qui ne laissent entrevoir aucun changement apparent, tout porte à croire qu'il y aura, dans un avenir rapproché, une proportion de quatre détenus autochtones pour un détenu non autochtone.

Victimisation7

Les Autochtones sont largement surreprésentés au sein du système de justice, tant comme victimes que comme délinquants. Les Autochtones sont quatre fois plus susceptibles que les non Autochtones d'être victimes d'un crime violent, y compris d'un homicide.

Par ailleurs, la police a dénombré 20 crimes haineux contre les Autochtones en 2008, soit six de plus que l'année précédente. Il est important de mentionner que le nombre de crimes haineux déclarés par la police contre les Autochtones peut être sous-dénombré. Cela peut s'expliquer par le fait que les services de police dans les trois Territoires et le nord des Prairies, où se situe la plus forte proportion d'Autochtones, ne produisent pas de données sur les crimes haineux8.

Perspectives9

Selon les prévisions établies par Statistique Canada jusqu'en 2017, la surreprésentation des Autochtones chez les délinquants nouvellement condamnés continuera de s'intensifier au sein des systèmes correctionnels fédéraux et provinciaux/territoriaux, en particulier dans l'Ouest et le Nord. On s'attend également à ce que le nombre de délinquants autochtones incarcérés augmente à la suite des modifications apportées au Code criminel relativement aux armes à feu, aux infractions concernant l'affiliation à un gang, à la déclaration de délinquant dangereux, à la conduite avec facultés affaiblies et aux peines minimales obligatoires.



1 Statistique Canada. Peuples autochtones du Canada en 2006 : Inuits, Métis et Premièrs nations
2 Sécurité publique Canada, aperçu statistique 2010-2011
3 Bureau de l'Enquêteur correctionnel, rapport annuel 2009-2010
4 Bureau de l'Enquêteur correctionel. Fiches d'informations : Détenus autochtones
5 Sécurité publique Canada, aperçu statistique 2010-2011
6 Bureau de l'Enquêteur correctionnel, rapport annuel 2011-2012
7 Commission nationale des libérations conditionnelles. Vision 2020- Sécurité publique, service à la population
8 Dauvergne, Mia. Les crimes haineaux déclarés par la police au Canada, 2008
9 Bureau de l'Enquêteur correctionnel. De bonnes intentions... des résultats décevants