Les services correctionnels communautaires sont essentiellement une question de relations communautaires – une réalité que je définis comme la règle du 80/20 voulant que si l'on consacre 80 % de notre temps à établir des relations, il ne faille que 20 % de notre temps pour mener nos tâches à bien. Si nous sommes déterminés à renouveler, tisser et renforcer nos relations, nous consacrerons alors moins de temps à traiter de nos différences et nous pourrons alors contribuer au succès de la réinsertion sociale des délinquants. Mais, lorsque nous traitons de partenariats communautaires, nous parlons dans bien des cas de partenariats entre des organismes partageant des vues semblables – des organismes étant déjà au fait des enjeux liés à la réinsertion sociale des délinquants.
Le fait est, toutefois, que la règle du 80/20 s'applique aussi au tissage de relations solides en dehors des milieux correctionnels dans le but d'amener le reste de la collectivité à s'impliquer dans le processus de réinsertion sociale. Il nous faut manifestement livrer un message différent – un message expliquant comment de bons services correctionnels communautaires peuvent contribuer à la réinsertion sociale de délinquants et à la transformation de collectivités. Je crois que les fournisseurs de services correctionnels communautaires doivent s'assurer que les leaders communautaires, les partenaires du monde industriel et les autres groupes de services comprennent mieux comment une réinsertion efficace peut contribuer à de meilleurs résultats pour les employeurs et notre économie dans son ensemble.
Laissez-moi vous parler d'une telle entente liant les NCSA et une entreprise de sidérurgie qui emploie actuellement une poignée de nos libérés conditionnels. Récemment, le dirigeant de cette entreprise m'a rencontré et a demandé que chaque libéré conditionnel ait à compléter notre programme En quête du guerrier en vous (un programme historique de guérison des traumatismes) avant qu'ils ne s'engagent dans un stage de travail. Lui et ses gestionnaires ont constaté que les travailleurs sont plus en mesure de conserver leur emploi après avoir complété ce programme et mieux en mesure de s'imposer des limites et d'entretenir des relations saines en milieu de travail. De fait, ils nous ont aussi demandé d'offrir ce programme à l'intention d'autres membres de leur personnel, qui, à leur avis, pourraient aussi en profiter. Il a aussi indiqué que le moral en milieu de travail s'était amélioré depuis qu'on y avait accueilli des libérés conditionnels, car la tolérance et la compréhension étaient devenues une priorité du milieu de travail. Il a finalement ajouté que la productivité avait augmenté de manière importante, un résultat qu'il attribue au travail acharné des libérés conditionnels désireux de faire leurs preuves.
Il est évident que de bonnes relations communautaires peuvent s'avérer rentables. Au Canada, les services sociaux à l'intention des peuples autochtones engendrent des coûts astronomiques. Si l'on tient compte des coûts systémiques, tels que la protection des enfants, les services correctionnels, la justice et les services de santé afférents aux maladies chroniques, on estime que ceux-ci totalisent quelque 4,8 milliards de dollars annuellement. Pour les peuples autochtones, ces coûts peuvent être attribués aux politiques gouvernementales coloniales d'assimilation et de génocide, notamment aux politiques relatives aux pensionnats, qui ont porté atteinte au sentiment d'interrelation et de continuité culturelle entre les personnes, les familles et les collectivités. Ces conséquences sur les peuples autochtones sont appelées traumatismes historiques; elles sont intergénérationnelles et directement à l'origine de la surreprésentation des peuples autochtones dans les prisons. Conséquemment, on peut s'attendre à ce que les enfants issus d'hommes ou de femmes autochtones n'ayant pas eu l'occasion de résoudre leurs traumatismes historiques tombent vraisemblablement dans les mailles de ces mêmes systèmes.
Si l'on se penche sur la démographie des Autochtones du Canada, on constate que la population autochtone croît beaucoup plus rapidement que celle de tout autre groupe. Ainsi, on peut s'attendre à ce que le coût des services sociaux à l'intention des Autochtones continue de croître, à moins que l'on ne mette en place des mesures importantes pour leur permettre de s'attaquer aux problèmes liés aux traumatismes historiques. Nous pouvons toutefois influencer considérablement le cours des choses, si nous faisons bien notre travail, si nous offrons des programmes culturellement adaptés de guérison des traumatismes historiques et si nous remettons dans la collectivité des délinquants en meilleure santé. Si nous ne faisions cela que pour un tiers des délinquants autochtones, nous pourrions économiser jusqu'à 1,6 milliard de dollars, sans compter les millions supplémentaires qui pourraient être générés et réinjectés dans l'économie lorsque ces délinquants commenceront à payer des impôts et à dépenser dans nos collectivités.
En Alberta, l'industrie pétrolière prévoit embaucher plus de 100 000 travailleurs au cours des 10 prochaines années. Je profite donc de cette occasion pour travailler avec la collectivité afin qu'elle comprenne mieux le bon travail que peuvent effectuer les délinquants lorsqu'on leur offre de bonnes occasions de le démontrer. Si nous n'agissons pas ainsi, nous verrons grandir d'autres générations d'enfants qui intégreront le système et les coûts pour le Canada croîtront de manière exponentielle. Mais, comme homme autochtone et comme Canadien, je considère que le coût réel, c'est le gaspillage de potentiel humain. La vraie tragédie et le vrai coût pour la société, ce sont les générations de jeunes hommes et de jeunes femmes qui moisissent dans nos établissements; ce sont de voir nos enfants se faire arrêter, sans emploi, désespérés, et impuissants.
Ainsi, l'important, c'est de reconnaître que la société et le gouvernement n'ont pas les solutions – après avoir tenté pendant tant d'années de résoudre le problème autochtone, le gouvernement a connu peu de succès. Peut-être serait-il temps de faire confiance à un nouveau partenariat avec les peuples autochtones; temps de reconnaître que les peuples indigènes ont une vue particulière du monde, une philosophie et une science qu'on pourrait harnacher pour s'attaquer aux problèmes au sein de leur collectivité; temps de reconnaître que la société dominante ne possède pas toujours les réponses et que l'on ne peut pas résoudre les problèmes d'une société complexe sans modifier de manière radicale la façon d'aborder les enjeux.
L'important, c'est que nous – deux sociétés au passé trouble – cherchions à trouver les moyens de coexister avec nos différences et de devenir plus compréhensifs. L'important, c'est qu'en influençant le cours des choses dans la vie des délinquants nous édifiions une société meilleure pour tous. Il nous faut tisser des liens plus importants et plus productifs avec la collectivité. Il nous faut éduquer la société au sujet de notre obligation collective de nous atteler à cette tâche et au sujet des avantages qui pourraient en découler pour tous.
Est-ce une tâche facile? NON! S'agit-il d'un défi? OUI! Mais il s'agit quant à moi d'un défi que j'ai le goût de relever.