Revue Porte Ouverte

Le casier judiciaire : quand l’être humain n’est plus qu’un dossier!

Par Le Comité aviseur pour la clientèle judiciarisée adulte d’Emploi-Québec

La réinsertion en emploi avec un casier judiciaire, est-ce possible?

Possible? Bien sûr. Difficile? Sûrement. Attention, il ne faut pas faire ici une corrélation simpliste avec les statistiques de réinsertion sur le marché du travail des personnes ayant un casier judiciaire car, selon notre expérience, plusieurs d’entre elles trouvent un emploi sans mentionner à leur employeur l’existence de leur casier… du moins lors de l’embauche. Est-ce correct d’agir ainsi? À vous d’en juger.
Néanmoins, cette situation nous indique que les personnes judiciarisées possèdent un bon potentiel de travailleur puisque la plupart d’entre elles, sous le couvert de l’«anonymat juridique», réussissent à se trouver des emplois. Par ailleurs, cette même situation nous suggère qu’il y a bel et bien discrimination des personnes judiciarisées au sein du marché du travail et que ce phénomène est connu et redouté des chercheurs d’emploi ayant un casier judiciaire. Aujourd’hui, on peut difficilement parler de réinsertion sociale sans y inclure la dimension «travail» et le casier judiciaire représente encore un obstacle majeur à l’embauche d’une personne. 

En plus d’une discrimination évidente dans la sélection des candidats,le casier judiciaire limite les possibilités de choix de carrière. La discrimination liée au casier judiciaire compromet sérieusement les possibilités de réinsertion au travail des personnes judiciarisées et restreint leurs choix d’emploi et leur développement de carrière.

Pourtant, selon l’article 18.2 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, aucun employeur ne peut refuser d’embaucher un candidat unique- ment parce qu’il a un casier judiciaire si l’infraction commise n’a aucun lien avec l’emploi. Il n’a pas le droit non plus de refuser cette embauche si l’infraction criminelle a fait l’objet d’un pardon. Toutefois, rien n’empêche un employeur de questionner un candidat sur l’existence d’un casier judiciaire ou d’inscrire cette question sur son formulaire d’embauche. Ensuite, selon la réponse obtenue, il demeure facile de rejeter une candidature sous un autre prétexte, surtout si plusieurs candidats sollicitent le même emploi. Soulignons également que la notion du lien avec l’emploi n’étant pas clairement définie par la loi, il devient difficile d’exercer un recours contre un employeur pour démontrer qu’il y a eu discrimination à l’embauche liée uniquement à la présence du casier judiciaire. Dissimuler l’existence d’un casier judiciaire ou en retarder sa divulgation comporte aussi des risques, car il est clairement défini que les fausses déclarations à un employeur sont matière à un congédiement.

Le casier judiciaire, une restriction aux choix d’emploi? 

En plus d’une discrimination évidente dans la sélection des candidats, le casier judiciaire limite les possibilités de choix de carrière en rendant inaccessibles de plus en plus de types d’emploi. C’est le cas, par exemple, dans le domaine du transport, où les entreprises hésitent et même refusent d’embaucher des chauffeurs «judiciarisés» à cause des restrictions liées aux assurances. Pour certains types d’emploi, la vérification de la situation juridique d’un candidat est systématique. C’est le cas au gouvernement fédéral, dans les assurances, les services de sécurité, les banques, l’enseignement, les soins de santé, le bénévolat et autres. Il y a sûrement des personnes judiciarisées qui occupent ces types d’emploi, mais selon nous, il s’agit plutôt de personnes qui étaient déjà en service avant d’avoir des démêlés avec la justice et qui ont conservé par la suite leur emploi, souvent grâce à l’intervention de leur syndicat. La question demeure : est-ce qu’une personne ayant un casier judiciaire «dévoilé» peut être embauchée pour un nouvel emploi dans ces domaines de travail? Cela nous semble peu probable.

Le casier judiciaire, un obstacle à la reconnaissance professionnelle? 

L’accès à certains ordres professionnels peut être refusé à une personne possédant un casier judiciaire. Selon l’article 45.2 du Code des professions qui s’applique à l’ensemble des 45 ordres professionnels au Québec, une personne doit, dans sa demande de permis ou d’inscription à un ordre, déclarer qu’elle fait ou a fait l’objet d’une décision judiciaire ou disciplinaire. Cependant, la plupart des ordres professionnels québécois ne vérifient pas systématiquement le contenu du casier judiciaire.

Un ordre professionnel peut refuser la délivrance d’un permis à une personne qui en fait la demande si elle a fait l’objet d’une décision d’un tribunal canadien la déclarant coupable d’une infraction criminelle ayant un lien avec l’exercice de la profession, sauf si elle a obtenu un pardon. C’est le cas, par exemple, pour l’inscription à l’Ordre des infirmiers et infirmières du Québec et pour le Barreau. La vérification du casier judiciaire par les ordres professionnels varie d’intensité d’une province à l’autre au Canada. C’est une pratique courante en Ontario. La plupart des 35 ordres professionnels de l’Ontario, notamment les médecins, les infirmières, les architectes et les comptables agréés, exigent une vérification du casier judiciaire au moment de l’inscription et même parfois une mise à jour annuelle. L’Ontario, la Colombie-Britannique et le Manitoba décernent un permis d’enseigner seulement après le contrôle du casier judiciaire.

Le casier judiciaire, une atteinte à la vie privée?

Comme le casier judiciaire est considéré «document public», il est accessible à quiconque le désire sans avoir à donner de justifications préalables. Ainsi, n’importe qui, y comprit évidemment les employeurs, peut vérifier le contenu d’un casier judiciaire. Par l’intermédiaire du registre informatisé des plumitifs disponible dans les palais de justice, il est facile d’obtenir le contenu d’un casier judiciaire uniquement avec le nom et la date de naissance d’une personne. Les informations divulguées comprennent, entre autres, tous les délits et toutes les sentences de la personne concernée. Il est même possible aujourd’hui d’effectuer cette recherche par l’intermédiaire d’un site Internet, moyennant des coûts minimes. De plus en plus d’employeurs utilisent ces méthodes et effectuent leur propre enquête avant d’embaucher ou de promouvoir un individu.

Sans entrer dans les détails, on peut dire que seul l’accord du «pardon» peut sceller un casier judiciaire et le rendre inaccessible au grand public. Il est important de préciser qu’au Canada une personne ne devient éligible au pardon que cinq ans après la fin de sa sentence. À ce délai, il faut ajouter encore 18 à 24 mois après le dépôt de la demande de pardon avant que celui-ci ne soit accordé. Conséquemment, aucune personne judiciarisée en processus de libération conditionnelle n’est éligible au pardon et donc, toutes les personnes libérées sous condition doivent se chercher un emploi avec le fardeau de leur casier judiciaire.

Le casier judiciaire, un obstacle majeur à l’insertion au marché du travail? 

Notre conclusion est simple : le casier judiciaire représente effectivement un obstacle majeur à l’insertion à l’emploi. D’autant plus qu’il vient amplifier une problématique déjà sévère au niveau des facteurs d’employabilité d’un grand nombre de personnes judiciarisées. Nous constatons que le délit de plusieurs d’entre elles n’a aucune incidence sur leur capacité à occuper un emploi et qu’une réglementation dans le traitement du casier judiciaire s’impose. Quelles que soient la nature du délit et l’évaluation du risque pour la société, tous les casiers judiciaires des personnes en libération conditionnelle sont traités de la même façon. Cette généralisation est discriminatoire pour les personnes judiciarisées. En effet, les délits qui font la manchette des journaux ne représentent pas majorité et sûrement pas la totalité des actes criminels reprochés aux personnes judiciarisées, mais sont souvent ceux qui retiennent l’attention du grand public. Il est important de maintenir nos efforts pour éliminer cette discrimination afin de favoriser l’intégration au marché du travail des personnes judiciarisées et, de ce fait, la réussite de leur intégration sociale.