Revue Porte Ouverte

Le casier judiciaire : quand l’être humain n’est plus qu’un dossier!

Par Jean-François Cusson, d’après une entrevue avec le commandant Robert Piché,
Chargé de projets

«Si je n’avais pas fait de prison, je n’aurais jamais été en mesure de faire atterrir l’avion!»

Le 27 août 2001 à 2 h 26, Robert Piché se retrouve à 10 000 mètres d’altitude au-dessus de l’Atlantique aux commandes d’un Airbus 330 sans moteurs, avec moins de 70 % de la capacité de fonctionnement de l’appareil. À son bord, un peu plus de 300 passagers et membres d’équipage qui se préparent à mourir. Après un vol plané de vingt minutes, Robert Piché réussit l’atterrissage à l’aéroport de Lajes situé dans l’archipel des Açores. Bien malgré lui, il réalise ainsi l’un des plus grands exploits de l’aviation moderne. J’ai juste été mis dans une situation extrême et j’ai réussi à sauver ma peau. Je n’avais pas vraiment le choix…

À son retour, il a reçu l’accueil d’un héros. Cependant, il soupçonna bien vite que le vent allait tourner. Deux jours après, il appelait ses patrons à Air Transat pour les informer qu’il pressentait que son passé judiciaire allait surgir dans les médias. En 1983, il avait été condamné aux États-Unis à une peine de 10 ans de prison pour une histoire de trafic de drogue. Air Transat connaissait bien le passé tumultueux de son commandant. allait surgir dans les médias.
En assurant Robert Piché de son support au moment où le Journal de Montréal s’apprêtait à publier l’histoire, Air Transat ne risquait pas beaucoup. Ses dirigeants savaient que la visibilité de Robert Piché amènerait plus de positif que de négatif.

Et si Robert Piché n’avait pas sauvé 300 personnes? Et si Robert Piché avait commis une erreur de pilotage qui aurait coûté la vie à quelques passagers? Ils étaient obligés de me soutenir, sinon ils auraient eu l’air fous! Après tout, ils me font confiance avec 362 vies à la commande d’un avion qui vaut 125 millions $US.

Ne plus cacher ses antécédents judiciaires

Le commandant savait que, malgré tout, il pouvait faire face à la musique. C’est pour sa famille qu’il s’inquiétait. Comment allait réagir sa mère à cette situation et les membres de la famille qui ne connaissaient pas cet antécédent? Comment son fils allait-il être accueilli dans la cour d’école?

La nuit précédant la publication de la page couverture fracassante du Journal de Montréal, Robert Piché avoue ne pas avoir dormi. Ce n’est pas la façon dont j’allais faire face au public qui me préoccupait, mais ce que j’allais faire de toutes ces émotions qui ressortaient après les avoir cachées pendant tant d’années.

Même si Robert Piché n’était pas très content de voir son passé étalé au grand jour, il a cependant réalisé qu’il pouvait tirer profit de cette situation. J’ai maintenant compris que ce journaliste m’a libéré de la prison. La prison, c’est une affaire dont plusieurs détenus ne parlent pas parce que, bien souvent, les gens sont plus intéressés par les détails croustillants comme la façon dont tu ramasses ton savon dans les douches. C’est rare qu’on veuille savoir comment, psychologiquement, t’as vécu tout ça.

Lorsqu’il réfléchit à son expérience dans le monde carcéral américain, il réalise que c’est en décidant de faire face à ses responsabilités qu’il a pu s’en sortir. En prison, j’ai compris qu’il fallait que j’en sorte rapidement. Il n’était pas question que je fasse les 10 ans pour lesquels on m’avait condamné. Je devais accepter que j’avais commis un crime et que je devais maintenant payer ma dette.

Il se retrouvait donc dans une prison américaine de la Georgie, seul Canadien parmi 800 détenus. Ce qu’il a trouvé le plus difficile? Être brimé dans sa liberté. C’est là que je me suis rendu compte que c’était le bien le plus précieux de l’être humain.

En prison, Robert Piché a rapidement réussi à faire sa place et a il a dû être en mesure de se faire respecter. Malgré toutes les difficultés qu’il y a rencontrées et après être passé à deux doigts de se faire assassiner, il demeure convaincu de l’importance de la réinsertion sociale. C’est bien beau la prévention et la punition, mais faut donner la chance aux gens de se réhabiliter. Je ne dis pas que 100 % des prisonniers vont le faire, mais ce n’est pas vrai que parce que t’as été délinquant, t’es un bon à rien.

D’aucuns croient que la prison est un endroit confortable, ce qui fait bondir Robert Piché On dira ce qu’on voudra, c’est pas l’fun. En plus du manque de liberté, tu dois faire face à la violence quotidienne et à la loi du plus fort.

Le commandant Piché a réalisé, vingt ans plus tard, combien l’expérience de la prison avait été déterminante lors de l’atterrissage de l’avion. Je me suis rendu compte que la prison et un avion en détresse, c’était pas mal la même chose. Tu n’as pas le choix d’y faire face si tu veux t’en sortir intact.

Robert Piché est très critique à l’endroit de ceux qui dénigrent les détenus. Il y en a beaucoup qui, selon lui, aiment se comparer à ceux-ci afin de se confirmer qu’ils mènent une bonne vie et qu’ils ne sont pas comme ces voyous-là. Les gens ne veulent pas voir le côté psychologique de ce que ça veut dire de faire de la prison. Ils ne veulent pas savoir que ce n’est pas facile de passer au travers. Il y a des prisonniers qui n’ont jamais eu la chance sur laquelle d’autres ont pu compter parce que, par exemple, ils n’ont pas eu d’amour ou qu’ils n’ont pas reçu une éducation adéquate. Ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont.

Sortir de prison

C’est en prenant le contrôle de ses émotions et en prouvant qu’il pouvait être positif pour la société qu’il fût libéré après avoir purgé 16 mois seulement de sa peine de 10 ans. Au moment de sa libération, Robert Piché était tellement fier de ce qu’il venait d’accomplir qu’il avait envie de crier à tous qu’il sortait de prison. Les gens doivent savoir qu’il faut travailler fort pour faire son temps correctement et mériter une libération.

De retour au Canada, Robert Piché était de ceux qui n’avaient pas le moindre sou, se retrouvant dépendant de ses proches. J’ai toujours été indépendant et je ne trouvais pas drôle d’être, à 30 ans, aux crochets de ma mère pour un bout de temps. T’essaies de te refaire, mais les possibilités ne sont pas toujours là.

Pour un ex-détenu, il n’est pas toujours facile de se prendre en main, parce que rapidement il va se rendre compte que, quoi qu’il fasse, on va lui rappeler son séjour en prison. La réinsertion sociale, ce n’est pas juste d’accepter ses responsabilités : il faut aussi se pardonner d’avoir commis un crime.

L’idée de tenter à nouveau l’expérience criminelle n’a jamais effleuré son esprit après sa libération, et ce, même s’il a connu bien des difficultés. Il a plutôt choisi de faire du convoyage d’avions, une entreprise périlleuse qui demande une bonne dose de sang-froid et un grand désir d’aventure. Entretenant toujours le rêve de devenir pilote de ligne, il essaie à cinq reprises, et ce, sans succès, d’obtenir un poste chez Air Transat. En 1996, c’est un boom économique dans l’aviation qui incite la compagnie aérienne à l’embaucher. Ils ne voulaient pas manquer de pilotes et ils savaient qu’en un an, avec mon expérience, je pourrais être commandant. Ce qui les inquiétait, c’était de savoir si je pouvais aller aux États-Unis.

Même avec un pardon de l’État de Georgie, il a dû obtenir une autorisation de voyage pour pouvoir franchir la frontière américaine. Cependant, à la suite des historiques attentats du 11 septembre 2001, il a vu cette autorisation suspendue. C’est par hasard qu’il a dernièrement appris sa révocation qui l’empêche actuellement de se rendre aux États-Unis. Concrètement, le pardon que j’ai reçu ne signifie pas grand-chose, mais pour moi, c’est très valorisant. Ça veut dire que j’ai fait ce qu’il fallait.

La vie continue

Malgré l’exploit retentissant qu’il a réalisé en sauvant plus de 300 vies, Robert Piché a toujours maintenu qu’il n’était pas un héros. Il avoue cependant apprécier la visibilité dont il est maintenant l’objet. Il a repris le travail de commandant de bord et ne compte plus tous les honneurs reçus ainsi que les invitations pour agir à titre de conférencier. Il a aussi un site Internet (www.robertpiche.com) et sa biographie a été publiée par la maison d’édition Libre-expression. Il prend bien soin d’expliquer qu’il n’a pas cherché tout ça. Ce n’est pas moi qui cours après ces opportunités, c’est le monde qui me veut. Les conférences, je les fais parce que ça me fait du bien.

C’est ce qui l’a même mené en prison pour rencontrer des détenus. Leur parlant de son expérience, il a vu leurs yeux s’allumer. Du fait de son passé marginal et un brin délinquant, ils s’identifient à cet homme en mesure de les comprendre. Ils réalisent qu’après la prison, la vie est possible et que l’incarcération n’empêche pas d’accomplir de grandes choses.

Il s’attend à ce que toute cette visibilité diminue et affirme qu’il ne s’y accrochera pas. Il se compte chanceux d’avoir une famille qui le comble et désire passer le plus de temps possible avec ses proches. Un jour, j’aurai à passer à d’autres choses et c’est sûr que je continuerai à être pilote. Des projets? La lueur dans ses yeux le confirme, mais il tient à ne pas en parler. Après tout, si son passé est maintenant connu de tous, le futur est le jardin secret qui lui reste. Il peut bien espérer un peu d’intimité…