Revue Porte Ouverte

Le casier judiciaire : quand l’être humain n’est plus qu’un dossier!

Par Martin Vauclair,
Avocat, criminaliste

La frontière américaine : une ligne difficile à franchir!

D’entrée de jeu, un avertissement s’impose. Le présent article n’est pas une opinion juridique. Il est conseillé de consulter un avocat pour obtenir une opinion définitive dans un cas donné.

Il ne faut JAMAIS mentir à un agent d’immigration

Cela dit, l’impact du casier judiciaire sur le voyageur canadien souhaitant visiter nos voisins du Sud n’est pas négligeable. En droit, le pays hôte détermine l’identité et la qualité de chaque visiteur. Le passé criminel de celui-ci peut être pris en compte, mais ce n’est pas tout casier criminel qui donne nécessairement du fil à retordre lors de l’accès aux États-Unis. La loi américaine (Immigration & Nationality Act) fait des distinctions et classe les antécédents judiciaires en plusieurs catégories. Le présent article souhaite sensibiliser le lecteur à la problématique du casier judiciaire lors de l’entrée aux États-Unis.

Après avoir assisté à de nombreuses conférences, discuté avec plusieurs spécialistes américains et obtenu d’eux des opinions juridiques sur des situations particulières (sans compter les multiples discussions informelles avec des policiers chargés du renseignement de même qu’avec des consœurs et confrères sur la question), il est remarquable de constater que les informations circulant sur l’intelligence policière et le fonctionnement aux frontières sont parfois contradictoires et qu’il y a peu, sinon pas, de moyen d’obtenir une réponse claire aux questions légitimes que cela suscite. 
Dans les faits, il demeure que certaines personnes ayant un passé criminel seront acceptées et que d’autres se verront refuser l’entrée en territoire américain. La loi américaine les identifie comme des personnes admissibles ou inadmissibles. Nous ferons d’abord un tour d’horizon de cet aspect de la loi pour ensuite préciser sa mise en application.

Les règles 

Mis à part le terrorisme et la notion de sécurité nationale qui entraînent l’inadmissibilité, le concept-clé de la loi américaine est le crime de turpitude morale (Crimes of Moral Turpitude). Le crime de turpitude morale est essentiellement un malum in se, c’est-à-dire un acte intrinsèquement mauvais. Ce concept, nécessairement flou, fait appel à l’interprétation et au pouvoir discrétionnaire de l’agent d’immigration. À cet égard, un expert américain m’a déjà souligné que, selon lui, une simple infraction pour avoir troublé la paix pouvait tomber dans cette catégorie selon la nature de l’acte sous-jacent.

Une personne qui admet avoir commis un crime de turpitude morale (ou avoir posé certains actes qui le composent) ou qui est condamnée pour un tel acte est inadmissible aux États-Unis. Parmi les actes de turpitude morale reconnus, on retrouve les crimes de violence causant des blessures ou la mort de même que les crimes de malhonnêteté. Par contre, de simples voies de fait, le méfait, la conduite automobile avec des facultés affaiblies par l’alcool (sans blessés ou morts) et les infractions réglementaires, notamment, échappent à cette définition.

Il existe trois exceptions à ce concept. Premièrement, les crimes de turpide morale commis avant l’âge de 18 ans et plus de cinq ans avant l’admission aux États-Unis ne peuvent entraîner une interdiction d’entrée aux États-Unis. Il en est de même pour les crimes passibles d’une peine d’emprisonnement maximale d’un an pour lesquels, dans les faits, la personne a reçu une peine de six mois ou moins. Il doit cependant s’agir d’une peine reliée à un seul crime, et ce dernier ne doit pas être relié à la drogue. Troisièmement, les actes dits crimes politiques font aussi partie des exceptions qui ne compromettent pas le passage en sol américain.

S’ajoutent aux crimes de turpitude morale les crimes reliés aux stupéfiants dans leur sens large. En effet, quiconque possède un casier judiciaire pour une infraction reliée aux stupéfiants ou qui a admis avoir posé certains actes qui en sont une composante essentielle se verra refuser l’entrée aux États-Unis. Dans ces cas, c’est tolérance zéro, peu importe la gravité objective de l’infraction commise.

En la matière, nul besoin d’être accusé et déclaré coupable puisque sera inadmissible toute personne — et sa famille dans certains cas — soupçonnée par les autorités américaines d’exercer des activités reliées au trafic de stupéfiants ou de participer au blanchiment d’argent, que cette activité soit reliée ou non au trafic de drogue.

Crime de turpitude morale ou non, une personne sera inadmissible si elle possède deux condamnations ou plus à son actif et que les peines imposées, combinées, représentent un emprisonnement de cinq ans ou plus.

Enfin, les crimes reliés aux mœurs font également l’objet d’une attention particulière. Ainsi, une personne qui s’adonne à la prostitution ou qui participe à la commercialisation du vice en général sera refoulée à la frontière si ces activités remontent à moins de dix ans.

Le passage aux frontières : processus d’enquête et de filtrage

Longueur de frontière oblige, le Canada et les États-Unis ont établi une collaboration certaine afin de préserver une relative sécurité. Cela est encore plus évident depuis les attentats du 11 septembre 2001 avec, comme résultat, deux sources de problèmes pour le voyageur au passé judiciaire : le partage d’informations et les banques de données policières. En effet, les banques de données font état des condamnations, des acquittements, des ordonnances d’interdictions ou conditions à observer et d’autres informations d’intelligence policière parfois dommageables. Disponibles tant qu’elles ne sont pas effacées, elles sont partagées avec les autorités américaines. Tel que mentionné, la condamnation n’est pas la seule condition qui entraîne l’inadmissibilité d’une personne.

On sait que certains individus, en raison de leurs activités illicites, font l’objet d’un avis de guet aux frontières, c’est-à-dire d’une surveillance particulière. Dans ces cas, les ordinateurs sont alimentés de cet avis. L’agent est averti dès que la personne recherchée se présente, qu’elle indique son identité et exhibe ses papiers. On peut douter toutefois que les systèmes informatiques soient conçus ou utilisés comme premier moyen de détection. Que l’on croie la thèse que tous sont fichés ou celle qui veut que les informations soient colligées au cas par cas, il y a peu de différences pratiques puisque, dans les faits, c’est l’agent d’immigration en première ligne qui prend la décision de poser les questions assassines aux voyageurs. L’expérience démontre que pour éviter toute ambiguïté, on demande au voyageur s’il a déjà été «arrêté par la police». De là découlent les questions secondaires grâce auxquelles on découvre assez rapidement les raisons et le résultat de l’intervention policière. Si un casier judiciaire existe, on le découvrira. Le problème, diront certains, c’est de savoir si l’agent connaît déjà la réponse avant de poser la question…

À cette étape, deux choix s’offrent au voyageur : mentir ou dire la vérité. La première option n’en est pas une. Il ne faut JAMAIS mentir à un agent d’immigration. Non seulement cela peut constituer une infraction, mais le menteur deviendra automatiquement inadmissible et interdit d’entréeSi on est questionné, les experts américains croient nettement préférable de dévoiler et d’expliquer la situation.

En l’absence de questions, il semble que le silence et le fait de ne pas volontairement offrir d’information sur son passé ne constituent pas une infraction. En effet, on a tous, au moins une fois, passé la frontière sans une seule question. Certaines personnes parmi ma clientèle, ayant des condamnations actives, ont pu se rendre aux États-Unis de cette façon. Par contre, un agent insatisfait des réponses peut décider d’enquêter sur un voyageur en le soumettant à des vérifications plus poussées, voire à une fouille. On peut croire qu’à cette étape un échange d’informations se produira et révélera, le cas échéant, les antécédents. S’il a menti, le voyageur sera confondu.

Il faut savoir que toute peine reçue au Canada entraîne une inscription au Centre d’informations policières canadien (CIPC) et donc, un casier judiciaire. En droit américain de l’immigration, une condamnation comporte deux éléments : une décision sur la culpabilité et une certaine peine. Il n’y a donc que l’absolution inconditionnelle qui ne constitue pas une condamnation au sens américain. Toute autre peine, notamment l’absolution conditionnelle, est considérée comme une condamnation puisqu’elle s’accompagne d’une condition.

Qu’en est-il si le voyageur a obtenu sa réhabilitation (pardon)? Il semble qu’on ne puisse compter sur la réhabilitation pour que soient effacées toutes les inscriptions dans tous les ordinateurs policiers canadiens. Une fois la réhabilitation obtenue, il faut s’adresser au corps de police canadien qui a fait enquête pour assurer la destruction de toutes les informations. Et encore, je peux témoigner d’une cliente qui, après un retrait des accusations, une demande formelle de destruction des informations la concernant au corps de police et la confirmation de ce fait, a vu l’information ressurgir quelques années plus tard pour lui causer préjudice. Cela étant, la réhabilitation laisse intactes les informations déjà accumulées dans les banques de données américaines qui continueront à hanter le voyageur.

Pour la plupart des crimes, une permission d’entrée anticipée peut être demandée, ce que la loi américaine désigne comme le Waiver of inadmissibility. Par définition, l’autorisation n’est pas exceptionnelle et elle peut être accordée pour une multitude de motifs tels que visite familiale, soins de santé, tourisme, travail, etc. Le waiver est accordé à la pièce ou pour une période déterminée. Les facteurs qui conduisent à son émission sont essentiellement de deux ordres : le risque que représente le voyageur et le motif pour lequel il veut entrer au pays.

En conclusion, plus que le casier judiciaire lui-même, tout contact avec le système de justice laisse des traces. Le passage à la frontière est un processus de sélection, encore plus depuis les attentats de septembre 2001, qui débute souvent par une question sur les antécédents judiciaires. Si le voyageur fait partie des catégories de personnes inadmissibles, il ne peut rien espérer sans un waiver. Dans le cas contraire, il peut avoir sur lui des documents en anglais expliquant à la fois l’infraction et sa situation, et espérer que l’agent d’immigration sera conciliant. Dans les deux cas, le fait de mentir sur son passé entraînera vraisemblablement plus de problèmes.