Revue Porte Ouverte

Le casier judiciaire : quand l’être humain n’est plus qu’un dossier!

Par Mélissa Mitchell, d’après une entrevue avec Me Richard Therrien,
Agente de communication

Richard Therrien : Le juge qui fut jugé

L’intérêt public. Deux mots qui justifient la plupart des actions médiatiques, en toute impunité. Deux mots puissants, qui subliment souvent les cinq du droit à la vie privée. Deux mots qui permettent d’exposer les moindres failles d’un individu au grand jour.

Voir son passé dévoilé à tous, surtout lorsque truffé d’informations erronées qui marquent l’imaginaire collectif, est difficile à accepter. Tenter par la suite de rectifier les faits relève d’un tour de force incroyable, puisque «ça a passé à la télévision, ça doit être vrai!». Parlez-en à Me Richard Therrien, pour voir.

J’ai eu le privilège de le faire. Le privilège de rencontrer M. Therrien, cet «Ex-felquiste nommé juge!» qui «fut condamné pour complicité avec les meurtriers de Laporte» (Journal de Montréal-14 novembre 1996). Mais qu’en est-il vraiment? Et si on laissait les manchettes de côté et que l’on examinait la véritable histoire de l’ancien juge, que découvrirait-on.
Antécédent judiciaire de Richard Therrien : les faits

Le casier judiciaire de Richard Therrien remonte au temps de cette crise tragique qui fut coiffée de l’appellation Crise d’Octobre. Richard Therrien a été arrêté le 6 novembre 1970 et condamné le 14 avril 1971 en vertu du Règlement sur l’ordre public promulgué sous l’empire de la Loi sur les mesures de guerre après avoir reconnu sa culpabilité aux faits d’avoir aidé des personnes liées à une association déclarée illégale (les felquistes présumés responsables à l’époque de la séquestration et du meurtre du ministre Pierre Laporte) à se cacher et d’avoir déposé à la poste une lettre pour le compte de celles-ci (qui n’était pas un communiqué du FLQ comme on l’a laissé entendre dans les médias).

Richard Therrien écope à ce moment d’une sentence d’un an de prison dont il purge quatre mois, après lesquels il obtient sa libération conditionnelle. À sa sortie de prison, il reprend ses études en droit. Puis, après examen par un comité de vérification composé de 7 avocats, il est admis à l’École professionnelle du Barreau en 1974

En 1987, Richard Therrien demande et obtient son pardon. Le texte de son pardon mentionne que les condamnations ne devraient plus nuire à sa réputation et que le pardon annule les condamnations pour lesquelles il est accordé.

Un antécédent qui porte préjudice

Après avoir pratiqué le droit criminel pendant vingt ans, Richard Therrien applique en 1990 et 1993 sur deux concours de juge. Lorsque la question lui est posée, M. Therrien avoue avoir un casier judiciaire, malgré qu’il ait obtenu son pardon. Au moment de cet aveu, M. Therrien sent bien que le comité n’est pas vraiment intéressé à connaître ni la faute commise ni son comportement exemplaire depuis les vingt dernières années. Mystérieusement, sa candidature n’est pas retenue.

La troisième fois qu’il pose sa candidature, la question sur l’antécédent judiciaire ne lui est pas posée. Sa candidature n’est toutefois pas retenue.

Richard Therrien est nommé juge

En 1996, fort du texte de son pardon et de ses deux expériences antérieures, alors qu’il avait dévoilé son passé, il nie avoir un antécédent judiciaire devant le nouveau comité examinant sa candidature. Sa décision est motivée par un véritable dilemme : s’il dénonce son antécédent, il ne sera jamais nommé juge, il l’a bien compris. Il cache donc cet antécédent afin de ne pas être discriminé à cause de lui et d’être plutôt évalué sur ses aptitudes à devenir magistrat. En outre, Richard Therrien présume que le ministre de la Justice de l’époque, M. Paul Bégin, sera assurément informé de son passé.

Le comité de sélection recommande au ministre de la Justice de nommer Richard Therrien en tant que juge, ce qu’il fait le 18 septembre 1996.

L’Affaire Therrien

Richard Therrien n’aura pas l’occasion de siéger très longtemps puisque, dans les semaines suivant son assermentation, la juge en chef adjointe de la Cour du Québec, Mme Louise Provost, découvre l’antécédent criminel du juge. Mme Provost présidait le comité de sélection qui l’a considéré apte à devenir juge. Le 13 novembre 1996, le ministre de la Justice dépose devant l’Assemblée nationale les plaintes qu’il porte contre Richard Therrien devant le Conseil de la magistrature et le Barreau du Québec pour ne pas avoir dévoilé son démêlé avec la justice.

C’est à ce moment précis que le cirque médiatique commence, lancé par le député de Chomedey et critique libéral en matière de justice, M. Thomas Mulcair, qui demande au ministre de la Justice de confirmer devant la l’Assemblée nationale que Richard Therrien a été trouvé coupable par les tribunaux de séquestration, d’enlèvement et de complicité après le fait dans l’enlèvement, la séquestration et le meurtre de Pierre Laporte. Cette affirmation est réitérée par le député lors d’une entrevue accordée à TQS le même jour.

Et voilà! Richard Therrien n’a pas commis l’impair d’abriter les felquistes reliés au meurtre de Pierre Laporte, dont l’un était l’ami intime de sa sœur : il faisait partie de ceux-ci et avait même participé à l’enlèvement et à la séquestration du ministre! Il a d’ailleurs été condamné pour complicité avec les meurtriers de Laporte! «Il semble que ce soit la première fois dans l’histoire moderne qu’un individu condamné pour des activités terroristes accède à la magistrature» – Journal de Montréal, 14 novembre 1996. Étant donné les plaintes portées contre lui et son statut de juge, le devoir de réserve qui lui incombe l’empêche de rectifier les faits par une sortie médiatique.

Si les faits furent plus tard relatés correctement dans les médias, il s’est trouvé des gens qui, même dans l’entourage immédiat de M. Therrien, demeuraient convaincus que ce dernier avait été complice des felquistes.

Le processus judiciaire 

Le Conseil de la magistrature recommande à la Cour d’appel du Québec d’instruire une demande en destitution du juge Therrien au mois de juillet 1997. En 1998, le juge conteste en Cour supérieure la constitutionnalité de l’article 95 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, permettant au gouvernement de mandater la Cour d’appel pour faire une enquête. La Cour d’appel finit par s’emparer du dossier et déclare que Richard Therrien doit être destitué en octobre 1998. M. Therrien portera sa cause jusqu’à la Cour Suprême du Canada. Le 7 juin 2001, la Cour suprême tranche : le pardon n’efface pas le passé et Richard Therrien n’aurait pas dû cacher son antécédent judiciaire. Désabusé, las, ce dernier s’offre un cadeau d’anniversaire particulier le 12 juin 2001 : il démissionne de son poste de juge.

Le pardon… mais quel pardon?

En lisant dans le journal The Gazette du 20 novembre 1996 une affirmation du Premier ministre du Québec de l’époque, Lucien Bouchard, à l’effet que «si le gouvernement avait su le passé de Therrien, il ne l’aurait jamais nommé juge», on est en droit de se poser de sérieuses questions sur la valeur du pardon et de la réhabilitation. M. Therrien est catégorique : un débat sociétal est à faire : on croit à la réhabilitation ou on n’y croit pas! Actuellement, le pardon accordé en est un factice : il amenuise les conséquences d’un geste répréhensible mais ne redonne pas à l’individu les mêmes droits que les autres. La valeur du pardon est tributaire de la reconnaissance que la société en fait. Quel genre de pardon donne-t-on, si c’est pour condamner la personne à nouveau par la suite?

Si on nomme une personne juge, c’est tout de même parce qu’on lui accorde une certaine valeur, qu’on lui reconnaît des compétences. Enfin, je l’espère! Qu’on la «jette à la rue» par la suite en raison de son antécédent judiciaire, c’est tout de même symptomatique!, poursuit-il sur la même lancée. Et il n’est pas le seul à partager cet avis. Me Pierre Cloutier affirmait d’ailleurs, dans La Presse du 21 novembre 1996 : «[Bégin] a traîné — au lieu de le citer en exemple — un citoyen réhabilité et un membre émérite du Barreau dans la boue, il a insulté toutes les personnes qui, comme le juge Therrien, se sont courageusement réhabilitées, il a jeté le discrédit sur le processus de réhabilitation prévu par notre système judiciaire (…)»

Dans une société de plus en plus axée sur l’importance de l’image, plusieurs semblent croire qu’un homme ayant un casier judiciaire ne peut moralement devenir juge : pourtant, certains juges ont un casier judiciaire! Par contre, M. Therrien constate que la société semble disposée à effacer une erreur complètement si quelque chose lui est donné en retour. L’un des plus beaux exemples est d’ailleurs l’insurrection de la population lorsque le passé du commandant Piché a été révélé dans les médias. Richard Therrien, quoique fort heureux pour le commandant qui mérite amplement les éloges qu’il reçoit, demeure lucide : Ce n’est pas tout le monde qui peut faire atterrir un avion sur un «dix cents» et sauver 300 vies! Cela situe la barre très haute pour réussir à se faire accepter. On demande quoi aux gens dans les maisons de transition pour que la société les accepte à part entière?

Malgré tout, Richard Therrien continue d’assister ses clients qui souhaitent entreprendre la démarche menant à l’octroi de leur pardon. Il les assiste si ce pardon représente pour eux une valorisation, une preuve des efforts entrepris pour ramener leur vie dans le droit chemin. Pour lui, le pardon dans sa forme actuelle a une plus grande valeur pour l’estime de soi que l’estime des autres. Il considère de toute façon que la réhabilitation est avant tout une démarche profondément intime.

«L’après démission»

Entre 2001 et 2004, Richard Therrien a cherché activement un nouvel emploi, dans divers domaines, et a même entrepris une maîtrise en prévention et règlements des différends. Il a essuyé de nombreux refus, pas nécessairement en raison de son histoire; il était parfois tout simplement surqualifié pour la tâche demandée. Après trois ans sans emploi, Richard Therrien est retourné en mai de cette année à ses premières amours : la pratique du droit criminel. Est-ce que toute cette expérience a fait de lui un meilleur avocat, lui qui excellait déjà à son art? Richard Therrien est mitigé à ce sujet. Il considère qu’avant tout ce processus judiciaire et ce tapage médiatique, il cernait déjà bien les besoins de ces clients et savait les comprendre. Par contre, ayant énormément souffert de la couverture médiatique, il espère qu’il aurait plus tendance qu’auparavant à protéger un client qui intéresse particulièrement les médias et à s’assurer d’établir la vérité le plus exactement et rapidement possible auprès de ceux-ci. Il admet avec un sourire : Évidemment, ayant été client d’avocat durant de nombreuses années, je sais mieux ce qu’un client aime et n’aime pas dans l’attitude et le comportement d’un avocat! J’essaie donc d’être à l’écoute des véritables besoins de mes clients.

Avec le temps…

S’il n’est pas encore en mesure d’évaluer ce que cette expérience éprouvante a pu lui apporter de positif, il a compris qu’après avoir vécu une telle épreuve, il faut savoir être patient avec le temps pour pouvoir se sentir bien à nouveau. Malgré l’émotion qui l’envahit lorsqu’il relate son histoire, on sent que Richard Therrien renoue doucement avec une sérénité retrouvée. Comme quoi le temps arrange bien les choses, en fin de compte…