Revue Porte Ouverte

Les cercles de soutien et de responsabilité

Par Catherine-Eve Roy,
ASRSQ

Témoignage d’un bénéficiaire : «Pour moi, le cercle c’était une possibilité de vivre autrement»

Charles (prénom fictif) a repris sa vie en mains. D’abord par obligation, puis par choix. Abusé dans sa jeunesse, la victime est devenue bourreau à l’âge adulte. Actif professionnellement et menant au grand jour une vie sociale axée vers sa communauté, Charles préférait, dans l’ombre, la présence des mineurs. Pour cela, les autorités l’ont condamné à sept années de pénitencier où il lui était fortement conseillé de suivre une thérapie et de participer à des programmes. «Mais je n’y croyais pas.» Selon Charles, les programmes offerts en détention avaient un caractère beaucoup trop général, visant l’ensemble des contrevenants aux prises avec une problématique sexuelle. Il voyait également la thérapie d’un mauvais œil, car il jugeait que son objectif final n’était pas de l’aider dans son cheminement, mais de lui permettre de quitter la détention plus tôt, comme une «thérapie bonbon». Ainsi, pour son manque d’implication dans sa démarche de réhabilitation, il a purgé la totalité de sa peine.

Toutefois, à l’approche de sa sortie, Charles sentait le besoin de bénéficier d’un accompagnement à l’extérieur. Il y tenait. Quelques mois avant de quitter l’établissement où il habitait depuis sept ans, ses appréhensions étaient telles qu’il aurait préféré en sortir mort que vivant. Tout ce que représentait l’extérieur l’effrayait : le jugement des autres, leur regard, la crainte d’être reconnu, le fait de devoir réapprivoiser la vie en société… Pour l’aider à vivre cette période de transition, les cercles de soutien et de responsabilité étaient donc tout indiqués et surtout, à-propos. La première fois que Charles avait entendu parler de ce service, il n’était pas encore prêt à s’y impliquer. Mais une fois disposé à y avoir recours, il s’est engagé vigoureusement dans son processus d’intégration en communauté.

L’introduction au groupe de soutien

La volonté de Charles de participer à un cercle de soutien et de responsabilité se fondait sur deux aspects. D’abord, la nature «thérapeutique» des cercles l’intéressait, davantage parce qu’elle s’appuyait sur une base volontaire où il pouvait se confier sans y être obligé, à son propre rythme, et sans encadrement rigide. De plus, la notion d’accompagnement reliée au cercle était sécurisante, particulièrement pour lui qui devait réintégrer la société après une période relativement longue de réclusion et qui se retrouvait seul, dans un environnement inconnu. Charles avait, en effet, décidé de changer de ville afin d’éviter d’être constamment associé à son passé et de faire vivre un profond malaise à ses victimes, à l’idée de le croiser.

À la première rencontre avec les membres de son groupe, Charles a dû s’ouvrir à eux en tant que membre principal. «Je devais divulguer qui j’étais, moi. Pas Charles comme tel, mais les gestes que j’ai posés et le mal que j’ai fait.» Angoissante, cette étape initiale s’est finalement avérée soulageante. Partager avec ces nouvelles connaissances était une forme d’exutoire qui permettait à Charles de parler délibérément, sans contrainte ni jugement. C’était un premier pas vers son prochain, un retour parmi les siens. Une délivrance.

Réapprendre à vivre «normalement»

Sortir de détention ne signifie pas seulement retrouver sa liberté. Il s’agit également de la réapprivoiser, d’assumer plusieurs nouvelles responsabilités, de regagner sa confiance en tant que citoyen à part entière. Les premières semaines, Charles a donc dû prendre le temps de se reconnecter avec la collectivité. Reprendre contact avec le monde était pour lui l’étape initiale. «Je me suis préparé à la société un jour à la fois. À chaque jour, un petit peu plus, j’allais visiter les alentours. Au fil des semaines, j’ai agrandi mon cercle de visite, pour me familiariser.»

Le retour en communauté implique également une confrontation directe à l’opinion publique. À sa sortie, Charles a d’ailleurs dû composer avec la médiatisation de certains cas lourds de délinquants sexuels, ce qui n’a pas facilité son processus de réintégration. Ce phénomène public est en effet difficile pour les gens qui partagent une problématique ressemblant à celles décriées par les médias, car il accroît la peur, celle d’être isolé et d’être aussi reconnu. Selon Charles, le fait d’être exclu aussi solidement de la société peut représenter un danger; l’individu victime d’ostracisme vit des frustrations pouvant le replonger dans un état indésirable. Heureusement, la présence du cercle, en de telles circonstances, a évité que Charles ne sombre dans l’isolement. La disponibilité des membres est entière et ces derniers sont toujours présents pour le rassurer ou le conseiller. Sans y avoir recours systématiquement, cette notion d’accompagnement continu est sécurisante pour Charles. «Aujourd’hui, le cercle me donne la chance d’être écouté quand j’en ai besoin et d’être guidé quand j’en ai besoin.»

Comme en témoigne son parcours depuis qu’il a quitté le pénitencier et les commentaires favorables émis par un membre de son groupe, le cheminement de Charles atteste de sa volonté de s’en sortir et du bien-fondé des cercles de soutien et de responsabilité. Avant de faire appel à ce groupe d’accompagnement, il devait d’abord se confronter à lui-même. Ce que lui a permis la prison. Ainsi, la détention est, pour Charles, un miroir qui reflète la réalité du contrevenant et le force à concevoir les conséquences de ses actes. Cette approche, aux allures d’introspection, est un passage obligé qui s’effectue individuellement. «Le premier cheminement qu’une personne peut faire à l’intérieur des murs, c’est de prendre conscience “de”. Des gestes posés et des conséquences de ces gestes. Il faut pas se chercher des excuses, mais savoir évaluer les gestes, en prendre la responsabilité et accepter de prendre cette responsabilité. À partir de là, j’ai cherché à savoir qu’est-ce qui a fait, dans le cheminement de ma vie, qui m’a amené à faire des affaires comme ça.»

En pénitencier, Charles a fait un choix. Celui de se questionner et de chercher les réponses, seul. Nul autre que lui-même ne pouvait être l’expert de son propre comportement. «TU te prépares à ta sortie. Pas les autres. Quoi que tu ne l’es jamais vraiment…» À la suite de cette phase et à la veille de réintégrer la communauté, il a toutefois eu l’humilité de demander de l’aide, sachant qu’il ne pourrait, cette fois-ci, relever le défi en solitaire. «Pour moi le cercle, c’était une possibilité de vivre autrement.»

S’accepter et l’être à son tour

«Je m’étais toujours dit qu’il y aurait deux choses que je ferai : être transparent et dire ce que je suis.» Encore aujourd’hui, cette franchise surprend, voire déroute certaines personnes qu’il rencontre. Elle lui rapporte également beaucoup, car en se présentant sous son vrai jour, Charles joue cartes sur table. Ainsi, il respecte son intégrité, alors que les gens, quant à eux, savent à quoi s’en tenir. Avec les membres de son cercle, il a adopté la même attitude. Contrairement à son habitude, c’était à son tour d’être étonné de leurs réactions. Il a en effet été surpris d’être aimé, lui qui s’attendait à être jugé. «Il y a des gens qui m’aiment. Ils connaissent ma problématique, qui je suis et ce que j’ai fait, mais ils sont là pour moi quand même.» Ce lien de confiance est important. Il représente une présence inconditionnelle et améliore son estime personnelle. Au sein du groupe, Charles se sent donc considéré comme un homme, un humain. Il n’est plus réduit aux gestes qu’il a posés par le passé.

Charles considère les membres de son cercle comme des amis. Avec eux, il a appris à ne pas accumuler, à s’ouvrir sans gêne. Libéré de certains tourments, il peut ainsi se projeter dans l’avenir et avoir le goût de relever de nouveaux défis valorisants. Pour sa réhabilitation, Charles a voulu optimiser ses chances de réussir. Bien s’entourer a été une excellente «stratégie», tout comme son état d’esprit au départ. «Le meilleur des conseils que j’ai à donner est de ne pas se faire d’attentes et de rebâtir sa vie au jour le jour.» En détention, Charles n’avait pas voulu se fixer d’attentes, se projeter dans l’avenir. En communauté, il en est autrement. D’une semaine à l’autre, il anticipe positivement les rencontres de son groupe. Il s’agit même de la première chose qu’il fait dès qu’il arrive à la maison : inscrire sur son calendrier la date du prochain rendez-vous qu’il aura avec ses amis du cercle.