Revue Porte Ouverte

Les cercles de soutien et de responsabilité

Par Jean-François Cusson,
ASRSQ

Pour qu’il n’y ait plus d’autres victimes

La problématique de la délinquance sexuelle fait beaucoup parler. On l’a vu en septembre dernier alors que l’ADQ a annoncé qu’elle souhaitait tenir une consultation sur la question. Le lendemain, le gouvernement libéral a réagi en annonçant qu’il prévoyait ouvrir un établissement de détention spécifique pour les délinquants sexuels. L’emplacement de l’établissement, que l’on compare à une prison-hôpital, n’a toujours pas été annoncé, mais certains croient qu’il s’agit de Percé. Le projet, qui implique aussi le ministère de la Santé, vise à permettre une intervention favorisant le retour en société de ces délinquants. Si l’idée d’offrir un meilleur encadrement clinique pour les délinquants sexuels fait l’unanimité, le choix du lieu de l’établissement peut soulever des interrogations. Pour ces délinquants, encore plus que pour les autres, la création de liens positifs avec la communauté est primordiale. Puisqu’il est possible de penser que la majorité des délinquants qui y seront incarcérés se dirigeront dans les grands centres lors de leur réinsertion, comment penser qu’ils auront la possibilité de tisser des liens avec leur communauté de destination? N’oublions surtout pas qu’au provincial, les sentences sont très courtes et que bien peu de détenus peuvent profiter d’une longue période d’encadrement en communauté tel qu’en maison de transition.

Lorsque l’on observe le travail des cercles de support et de responsabilité, l’importance du lien avec la communauté est manifeste. C’est souvent au pénitencier que s’amorce l’implication d’un cercle. «Évidemment, explique Jean-Jacques Goulet (coordonnateur des cercles de soutien et de responsabilité pour le Québec), les bénévoles connaissent les grandes lignes du dossier de l’individu qui a préalablement accepté de partager cette information». Une fois que les bénévoles recrutés acceptent d’aller de l’avant, une rencontre est tenue au pénitencier afin que tous puissent faire connaissance. Par la suite, les bénévoles et le détenu pourront décider s’ils désirent poursuivre leur engagement dans ce processus. Une fois que tout le monde a donné son accord, il est possible de développer une certaine alliance entre les participants; ces bénévoles poursuivront alors leur implication lors du retour en société du contrevenant et deviendront des personnes-ressources lorsqu’il connaîtra des difficultés.

À Montréal, les cercles de soutien et de responsabilité sont administrés par l’Aumônerie communautaire de Montréal. Dans le milieu anglophone, les cercles sont présents depuis déjà quelques années et c’est le Montreal South-West Community Ministries qui en assume la responsabilité. Du côté francophone, explique Jean — Jacques Goulet, les cercles ont fait leur apparition depuis environ trois ans. «Nous avons environ une dizaine de cercles actifs».

Responsabiliser l’individu

Ces cercles d’accompagnement et de responsabilité (M. Goulet prend le temps d’insister sur le terme «responsabilité») offrent un accompagnement aux délinquants sexuels qui quittent la prison. Ce sont souvent des détenus très isolés qui purgent une très grande partie de leur sentence en incarcération, parce que jugés dangereux. Au moment de la libération, ils n’ont souvent personne sur qui compter. Compte tenu de la gravité des délits pour lesquels ils ont été condamnés, l’isolement devient un facteur de risque important. Cette situation est amplifiée par le fait que plusieurs de ces individus, pour différentes raisons, n’ont pas eu le temps requis afin de véritablement préparer leur retour en communauté (recherche de logement, emploi, etc.). «Le retour en société est un moment névralgique qui peut faire vivre une grande quantité de stress. Lorsqu’un détenu arrive à la fin de sa peine et qu’il n’a nulle part où aller et qu’il ne sait même pas comment il va joindre les deux bouts, c’est important qu’il y ait des gens autour de lui pour l’aider. Sinon, il y a des chances qu’il reprenne les vieilles façons qu’il avait de gérer ses problèmes et ça, ce n’est pas nécessairement rassurant.»

Dès le début de la démarche, le détenu est informé de l’objectif premier du cercle : qu’il n’y ait pas d’autres victimes. Selon Jean-Jacques Goulet, cet objectif est aussi partagé par les délinquants qu’il rencontre. «Ils ne veulent pas récidiver et ils ne veulent pas retourner en prison. Par contre, ne pas vouloir récidiver n’a souvent rien à voir avec la capacité de ne pas faire d’autres victimes.»

Développer de l’empathie

Un des défis principaux est de réussir à «apprivoiser» ces individus. «B ien souvent, nos bénévoles font face à des personnes qui sont en réaction aux figures d’autorité et qui font peu confiance aux autres. Pour être capable de vivre en société, il faut être capable de faire confiance et là-dessus, il y a beaucoup de travail à faire avec eux.

Amener le délinquant à développer de l’empathie s’avère également tout un défi. C’est pour cette raison que les rencontres commencent toujours par un partage de ce que les participants du cercle ont vécu depuis la dernière rencontre. Une fois que tous les bénévoles se sont exprimés, ce sera autour du délinquant de prendre la parole. «On s’est rapidement aperçu que la plus grande difficulté que ces personnes vivent est le manque d’empathie envers les autres. On veut donc les amener à écouter ce que vivent les autres. Au début, c’est difficile. Ils sautillent en attendant leur tour et plusieurs n’écoutent même pas ce que les autres racontent. Avec le temps, l’écoute se développe et on voit apparaître un souci pour le bénévole. En développant le sens de l’empathie, nous croyons être sur la bonne route.»

Au début, une rencontre du cercle est tenue de façon hebdomadaire. Toutefois, si l’individu est socialement isolé, les rencontres seront plus fréquentes. «Ces personnes isolées ont des besoins beaucoup plus grands que les autres, rappelle M. Goulet. Les bénévoles vont les aider dans leur recherche d’emploi et de logement, ils vont aussi les aider à mieux connaître leur quartier et à apprendre à utiliser le transport en commun, etc.».

En plus de ces rencontres, la personne libérée peut compter sur la disponibilité des bénévoles lorsqu’elle vit certaines crises et difficultés. Elle n’a qu’à prendre le téléphone lorsque le besoin se manifeste. En quelque sorte, les personnes qui composent le cercle offrent une disponibilité en tout temps. L’idée consiste à assurer une présence au moment où elle pourrait le plus compter.

L’accompagnement n’est pas toujours facile et il arrive que l’on s’inquiète pour un individu. «Lorsqu’il doit respecter certaines conditions, ça nous donne un levier pour intervenir. Lorsqu’il n’en a pas et qu’il est libre, certaines situations inquiètent. Par exemple, quand on voit que le rythme de vie change et que l’on constate la possibilité d’une consommation, ça nous préoccupe et ça nous rend plus vigilants. Mais, lorsqu’un individu prend le téléphone pour communiquer avec moi ou un bénévole alors qu’il se sent fragile, ça démontre l’importance du lien que nous avons développé. Il s’agit d’un moyen très efficace pour désamorcer des situations qui pourraient s’avérer à risque de récidive.»

Une initiative essentielle Un grand avantage qui profite aux cercles est qu’ils ne possèdent aucun pouvoir légal sur le délinquant. «Nous faisons très attention pour ne pas utiliser les mots détenus ou ex-détenus, précise Jean-Jacques Goulet. C’est important de montrer que nous travaillons à créer quelque chose de nouveau.» Même si les cercles n’ont pas de responsabilité liée à la surveillance, ils peuvent collaborer avec les ressources qui encadrent les délinquants (agents de libération conditionnelle, policiers). «É videmment, rappelle Jean-Jacques Goulet, il faut garder un juste équilibre entre notre mandat et ceux de ces intervenants. Nous ne sommes pas là pour exécuter un travail de surveillance, mais il arrive que nous ayons des contacts avec des agents de libération conditionnelle et des policiers. Lorsque nous le faisons, les individus concernés sont au courant et nous demeurons très transparents. Même si on est là pour les aider, ils savent que notre premier objectif est qu’il n’y ait plus de victimes et que si nous voyons un problème, nous allons réagir. Nous pouvons les accompagner à la police ou les inciter à parler de certaines situations à leur agent de libération conditionnelle.»

Des cas comme celui de Clermont Bégin démontrent bien la nécessité de ces groupes de support. Libéré en avril 2007, M. Bégin terminait de purger une peine de plus de dix ans d’incarcération pour une agression sexuelle sur une adolescente. Une source révélant qu’il aurait indiqué son désir de récidiver dès sa libération a semé l’inquiétude auprès de la population. Traqué, M. Bégin a dû déménager à au moins deux reprises, étant donné les pressions populaires. Tout au long de cette épreuve, le cercle a pu l’aider à composer avec la pression publique tout en soutenant ses démarches afin de se trouver un logement.

Cet événement a aussi permis de développer des liens avec la police de Montréal. Jean — Jacques Goulet a pu présenter aux policiers le rôle des groupes de soutien. «Ils comprennent bien ce que nous faisons et nous sentons un appui de leur part.» Du côté du Service de police de la ville de Montréal, M. Michael Arruda, qui a été impliqué dans le dossier de M. Bégin, confirme le rôle des cercles de soutien : «Ces initiatives permettent d’assurer une meilleure sécurité et nous sommes bien contents de les savoir là.»

Jean-Jacques Goulet remarque une meilleure appréciation du travail effectué par les différents cercles. Toutefois, il juge que les pressions populaires et médiatiques peuvent nuire aux efforts de réinsertion de certaines personnes, ce qui peut ultimement compromettre la sécurité publique. «Un homme qui vit des difficultés de déviance sexuelle, par exemple, est beaucoup plus dangereux isolé qu’encadré. De façon générale, la population est favorable à des mesures d’accompagnement comme les cercles. Les citoyens réalisent bien que ces individus doivent refaire leur vie à quelque part.» C’est lorsque ces citoyens font face à des cas concrets comme celui de M. Bégin que ça devient difficile. Quand ils réalisent que cet homme pourrait être leur voisin, la tolérance devient moins grande. Leur expliquer qu’il y a des cas bien plus préoccupants en liberté n’a rien pour soulager leurs craintes.

Des bénévoles?

Comment expliquer que des bénévoles puissent se retrouver impliqués auprès de délinquants que plusieurs jugent dangereux, d’autant plus que plusieurs d’entre eux ont purgé une très grande partie de leur peine en prison? Nombreuses sont les personnes qui comprennent l’importance des cercles tout en questionnant l’utilisation de ces bénévoles. En quoi peuvent-ils offrir un accompagnement adéquat alors que des professionnels connaissent de grandes difficultés auprès de plusieurs de ces délinquants?

À ces préoccupations, la réaction de Jean — Jacques Goulet est spontanée. «Nous ne sommes pas des psychothérapeutes et nous n’avons nullement la prétention de faire de la thérapie. Nous nous basons sur l’idée que l’amitié peut aider.» Les bénévoles reçoivent une formation au début de leur implication. Ensuite, ils participent à des activités de formation et de sensibilisation de façon régulière. D’ailleurs, certaines recherches donnent raison à M. Goulet. Il semble, en effet, que les taux de récidive des individus qui sont libérés à la fin de leur mandat d’incarcération chutent considérablement lorsque de telles initiatives sont mises en place.

«Par exemple, le collègue d’un individu (un pédophile) que nous accompagnons a un jeune garçon qui vient le visiter au travail. Parce que c’est la fête du jeune, cet individu décide de lui acheter un cadeau et prévoit lui remettre bientôt. Lorsqu’il nous annonce la situation, nous sommes préoccupés de constater qu’il ne réalise pas qu’il est en train de tisser un lien affectif avec le garçon. Il n’avait probablement pas de mauvaises intentions, mais en permettant à cette relation d’évoluer, il aurait pu devenir un prédateur. Nous lui avons fait part de nos interrogations et il nous a donné raison. C’est ça le genre de travail que les cercles font.