Revue Porte Ouverte

Des citoyens engagés au mieux-être de nos communautés

Par Pascal Bélanger,
Coordonnateur, Association de rencontres culturelles avec les détenus (ARCAD)

Pourquoi l'engagement volontaire en réinsertion sociale?

« Acheter, c'est voter! » proclamait Laure Waridel dans un ouvrage qui a démontré les impacts directs de notre consommation sur la société. Il y a d'autres manières de « voter ». Le travail volontaire représente, à mes yeux, un aspect concret de notre démocratie : choisir d'utiliser son temps libre pour aider une cause ou un organisme est une manifestation explicite et concrète de nos valeurs ou de nos convictions. Il y a plusieurs façons de s'y engager et le domaine de la réintégration sociocommunautaire a un grand besoin de gens de toutes provenances pour accomplir sa mission.

Pour certaines organisations où les tâches sont relativement faciles, le recrutement des bénévoles et leur encadrement peuvent se faire sans trop de complication. Il y a cependant des environnements où les citoyens bien intentionnés ne peuvent pas se présenter sans un processus de filtrage et de préparation dont la complexité sera à la hauteur de la délicatesse de l'intervention requise ou de la particularité du milieu d'exécution. La prison est l'un de ces cas.

Sur le site internet du Service correctionnel du Canada, à la section sur les bénévoles on y mentionne les activités auxquelles les citoyens sont invités à contribuer notamment les groupes d'entraide thérapeutique, les groupes de soutien spirituel, l'aide à la scolarisation, etc. Je vous transcris trois extraits de cette page Web :

Ces bénévoles aident à combler le fossé qui existe entre une population pénitentiaire isolée et une société libre, que réintégreront la plupart des délinquants. (…)

Les bénévoles apportent quelque chose de la collectivité en milieu correctionnel et, grâce à cela, les délinquants sont mieux préparés pour se tirer d'affaire dans la collectivité, et ils y sont mieux disposés. (…)

Le programme de bénévoles du SCC est un des moyens de faire en sorte que des personnes autres que les employés et les spécialistes du SCC participent aux services correctionnels. Les bénévoles représentent la collectivité dans le milieu correctionnel, dans le but de rendre les délinquants plus aptes et disposés à fonctionner au sein de la collectivité.

Ce que le SCC n'écrit pas sur son site Web mais que les intervenants en réinsertion sociocommunautaire savent, c'est que les bénévoles ont un avantage inestimable que les membres du personnel n'ont pas : la confiance des délinquants.

Nous interagissons avec des gens qui ont commis des délits, certains très graves, d'autres à répétition. Les horribles faits reportés par les médias dans les causes criminelles ont tôt fait de rebuter le citoyen moyen à côtoyer un criminel même dans un cadre sécuritaire éprouvé,fut-ce pour une seule soirée. Mais ceux qui osent franchir la barrière des préjugés et aller au-delà des barbelés comprennent vite que derrière chaque dossier judiciaire, il y a un humain et son passé n'est pas composé que de ses délits. Sans rien excuser de leurs méfaits, une discussion avec eux autour d'un café permet d'accéder rapidement à leur passé trouble et, souvent, la source de leur malheur qui a dégénéré en un drame encore plus grand. Et pourtant, sachant tout cela, les bénévoles y retournent. Leur présence répétée est une forme de caution morale dans la reprise en main des délinquants vers leurs nouveaux choix de vie plus conformes à la normalité.

Ceux qui osent franchir la barrière des préjugés et aller au-delà de barbelés comprennent vite que derrière chaque dossier judiciaire, il y a un humain et son passé n'est pas composé que de ses délits.

Est-ce la nature généreuse et optimiste, qui est propre aux bénévoles que j'ai rencontrés en prison, de s'intéresser davantage au futur plein de potentiel des condamnés plutôt qu'au passé? Oui, mais pas seulement ça. S'intéresser à leurs goûts, leurs intérêts et leurs projets futurs nous permet de garder bien vivant l'espoir d'un avenir meilleur pour tous, même si la concrétisation de tels rêves peut prendre des années; avant de sortir à l'air libre, il faut s'y préparer dès maintenant.

En cinquante ans de pratique, les animatrices et animateurs bénévoles de l'ARCAD ont vu naître et croître des centaines de projets esquissés à l'ombre des murs par des gens étiquetés comme criminels endurcis. La presque totalité des plans ébauchés étaient des idées heureuses pour reconstruire leur vie ou rétablir des ponts brisés. Encourager de tels désirs est un geste naturel pour quiconque s'est engagé à aider les personnes incarcérées, sans égards à ses fautes.

Dans ce contexte de réinsertion sociale, le bénévole devient souvent le premier conseiller et parfois même le premier critique. Nous avons été consultés des centaines de fois pour des projets de retour aux études, de reprise de contact avec la famille, sur la validité d'un programme correctionnel ou d'un travail volontaire dans la communauté. L'avis du citoyen qui vient de l'extérieur du système carcéral semble plus valable aux yeux des délinquants, simplement parce que les bénévoles ne sont pas payés par le service carcéral. Sans surprise, les avis émis vont presque toujours dans le même sens que les intervenants du milieu.

C'est toujours un privilège d'entendre ces hommes nous confier leurs craintes. Et ils en ont beaucoup. Ils savent très bien que l'ensemble des bénévoles qu'ils croisent en milieu fermé n'est pas représentatif de la société qui les accueillera à leur sortie, pas plus d'ailleurs que les récriminations exprimées dans les tribunes téléphoniques et les pages ouvertes aux lecteurs mais ces derniers semblent parfois peser plus lourd dans la balance de leurs appréhensions. Heureusement qu'ils n'ont pas accès à l'internet et les commentaires du Journal de Montréal! La tâche des bénévoles n'est donc pas que de fournir de sincères encouragements. C'est aussi de lutter avec eux contre les préjugés qui les attendent à la sortie.

Les succès dont ont été témoins les bénévoles œuvrant pour ARCAD sont probablement les mêmes que tous les intervenants, rémunérés ou volontaires, ont pu voir. Ce sont ces moments, comme celui vécu lors de ma dernière visite, où un détenu plutôt timide s'est empressé de me dire qu'il a finalement gagné la confiance de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et obtenu une libération conditionnelle. Il est convaincu que les conversations qu'il a eues avec les membres de notre groupe l'ont préparé à cette importante confrontation. Accepter de parler de son délit avec des gens qui l'écoutent sans le juger aura été une étape importante de sa remise en question et aura sans doute permis de réduire son temps d'incarcération.

Qu'est-ce que l'ARCAD?

Fondée en 1965 pour encourager le talent artistique des détenus, la Creative Award Association (CAA) organisait alors un concours d'art sous le haut patronage de personnalités diverses, notamment Gérard Pelletier, le cardinal Léger, Pauline Vanier, Jean Marchand, René Lévesque, Thérèse Casgrain, Jean-Louis Roux et Gratien Gélinas. En 1967, ses membres faisaient partie des premiers citoyens à obtenir la permission de pénétrer à l'intérieur des établissements pénitentiaires pour aider les détenus à s'adonner à la pratique des arts plastiques. En 1969, comme suite à la réforme du Service correctionnel canadien et, en réaction aux commentaires reçus et des observations de ses membres, la CAA se réoriente, agrandit son champ d'action et devient l'Association de rencontres culturelles avec les détenus (ARCAD).

Un des objectifs de l'ARCAD est d'assurer régulièrement des rencontres libres et constructives entre les détenus et les membres de la communauté. Lors de ces rencontres, nous discutons des événements de l'actualité, des problèmes sociaux ou de préoccupations plus existentielles qui touchent les résidents ou les citoyens. Ces rencontres de socialisation favorisent la réflexion et l'échange gratuit. Le dialogue qui s'engage est pour chacun une occasion de s'exprimer et de se situer par rapport à différents sujets. Il apporte aux détenus un contact avec le monde extérieur et constitue pour certains la première étape de la réinsertion sociale. Nous rencontrons encore souvent des détenus qui sont complètement coupés de contact avec leur famille. Selon les commentaires formulés par plusieurs participants, le caractère libre et décontracté de nos soirées représente souvent la seule occasion qu'ils ont de s'exprimer sans entraves et surtout, de pouvoir jauger s'ils sont encore en contact avec la réalité que vit la majorité des citoyens.

Fin abrupte

En avril 2015, le Service correctionnel du Canada a mis fin au partenariat de près de 50 ans avec l'ARCAD en résiliant le contrat en cours huit mois avant son échéance prévue, et ce, sans égards aux bons résultats. L'administration régionale du Québec a décidé que le recrutement, le filtrage, la formation et l'encadrement des bénévoles devaient être effectués désormais par ses agents de programmes sociaux en établissement déjà très occupés. Malgré nos avertissements, c'est sans surprise que nous constatons aujourd'hui l'échec de cette mesure d'économie puisque des six activités en cours en établissement au 1er août (la fin du contrat de l'ARCAD), un seul était encore actif au 1er février.

Si les activités de socialisation offertes par l'ARCAD réussissent à prévenir la récidive ou réduisent la durée d'incarcération d'un seul détenu pendant 7 mois, le Service correctionnel récupère la totalité du montant octroyé à l'ARCAD pour une année complète de fonctionnement.