Revue Porte Ouverte

Des citoyens engagés au mieux-être de nos communautés

Par David Henry,
Coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Se reconnecter à son humanité

Les Cercles de soutien et de responsabilité (CSR) ont vu le jour en 1994. La libération d'un délinquant sexuel condamné à une longue peine et ayant été maintenu en incarcération jusqu'à la fin de son mandat est à l'origine de ces cercles. Le jour de sa sortie de prison, une foule mécontente s'était massée devant l'établissement, scandant des slogans et brandissant des pancartes demandant des collectivités sures. C'est dans ce contexte qu'un pasteur mennonite, aidé de quelques paroissiens, a formé un groupe de soutien pour encadrer l'individu et faire en sorte qu'il ne récidive pas.

Un cercle est constitué de trois à quatre bénévoles qui s'engagent à soutenir, émotionnellement et de façon pratique, un délinquant sexuel à haut risque de récidive qui réintègre la société après une peine d'emprisonnement. Les délinquants sont libres d'y participer ou non. S'ils le font, ils doivent s'engager par écrit à participer au programme pour une période d'un an. Leur décision doit être motivée par le désir de ne pas être incarcéré à nouveau et, surtout, de ne pas récidiver. Les bénévoles, une fois sélectionnés, reçoivent une formation de base de 15 heures. Plusieurs autres formations durant l'année approfondissent cette formation de base. De plus, ils sont secondés par des spécialistes et travaillent en collaboration avec des organismes communautaires et des professionnels tels que des psychologues, des agents de libération conditionnelle ou de probation, la police et les tribunaux.

En rencontrant Vincent (nom fictif), nous avons voulu comprendre l'impact que pouvait avoir l'implication de citoyens/bénévoles dans sa réintégration sociale et communautaire.

Comment est-ce que des citoyens/bénévoles ont été impliqués dans votre réintégration sociale?

J'ai découvert l'existence des Cercles de soutien et de responsabilité du Québec (CSRQ) en détention par l'entremise de l'aumônier carcéral. Je savais que ça allait être extrêmement ardu de confier ce que je vivais à mes amis et à ma famille alors j'ai demandé d'avoir accès à un cercle. J'avais aussi le désir de bien préparer ma sortie donc ça allait de soi dans mon évolution personnelle.

Comme ça fait 5 ans que je suis au centre d'un cercle, il y a forcément des personnes qui partent et d'autres qui se rajoutent mais les liens tissés demeurent très tangibles même si les cercles ont été officiellement dissous pour le moment. Les cercles me permettent de parler en toute franchise, c'est une relation très supportante et aidante. Ils m'invitent aussi à constamment exposer ma vulnérabilité et elle est bien reçue, j'apprécie cette écoute.

Le sentiment d'être rejeté dans la société invite à l'isolement. Ils me sortent de cet isolement. Si ça ne va pas bien, je peux toujours appeler un membre du cercle ou écrire. Très rapidement on va se parler ou se rencontrer et ça désamorce énormément de situations anxiogènes, liées au sentiment de rejet. Dans mon cas le sentiment de rejet me ramène à ma compulsion et me ramène à toute ma problématique délictuelle. Ce que je traverse actuellement, c'est plus un sentiment de découragement mais eux vont me redonner le boost de m'en sortir.

Quand tu rencontres un bénévole en détention, ça diminue tout l'aspect étouffant de l'incarcération, ça te fait sentir humain. Ça te fait ressentir que tu n'es pas juste dans une cage et il y a des gens qui t'apportent l'extérieur. En dedans, c'est une journée qui ne finit jamais : chaque journée est pareille. Tu deviens complètement déconnecté, eux, te reconnecte à ton humanité.

Dans mon cas, le sentiment de rejet me ramène à ma compulsion et me ramène à toute ma problématique délictuelle.

Est-ce que c'était important que ce soit des citoyens plutôt que des professionnels?

Le professionnel n'aura pas de lien empathique, il va rester dans un cadre et il ne peut pas en sortir. Les bénévoles des cercles sont des gens qui vivent en société et qui ont la capacité d'écoute que tu pourrais avoir d'un ami mais sans avoir la sympathie d'un ami. Ces rencontres étaient importantes car elles me permettaient de pouvoir parler librement et sans aucun tabou de ce que je traversais. De ce que je vivais non seulement au niveau de ma problématique mais aussi au niveau de mon humanité car ces gens ne me jugent pas. Un professionnel va te donner des outils pour continuer d'avancer mais son rôle se termine à un moment. Les bénévoles te suivent parce qu'ils peuvent s'intégrer dans des activités avec toi dans la communauté. On peut toujours faire des activités ensemble mais on n'ira pas prendre un verre pour le fun de prendre un verre ensemble, on n'est pas des amis et il y a une frontière à ne pas dépasser. Ils ne tombent pas dans le piège d'épouser ma cause comme le ferais un ami, par sympathie. Avec un professionnel, je ne pourrais pas aller prendre un café et parler de ce que je vis ni faire une activité en dehors du cadre d'un rendez-vous. Si ça va mal, j'ai juste à appeler et on s'organise un cercle. C'est comme ça que je vais ventiler mes émotions.

Pourquoi un citoyen déciderait de s'impliquer dans un cercle?

Ces citoyens ont un niveau de compréhension très important avec une absence de jugement. Je sais très bien qu'il y a aussi un aspect sécuritaire : ces citoyens sont conscients qu'il y a des personnes qui peuvent récidiver et ils décident de s'investir pour protéger la sécurité de leurs communautés. Et les cercles diminuent hors de tout doute la question de la récidive. Je pense qu'il y a aussi une question d'aimer l'humain et de vouloir aider son prochain. Même si ce ne sont pas des professionnels dans le domaine, ils ont toujours des bases et ils ont souvent travaillé dans le milieu. On ne peut pas s'improviser bénévoles dans les cercles si on n'a pas une information de base sur ce que cela implique.

Comment s'est déroulé votre retour dans la communauté quand vous êtes sorti de prison?

Difficile. J'étais en relation de couple pendant mon incarcération mais cette relation s'est terminée au moment de ma libération. J'ai eu d'excellents agents de libération conditionnelle (ALC) qui m'ont beaucoup coaché dans tout ce que je vivais. J'ai vu la période carcérale comme n'étant pas une pure punition mais plus comme une période d'introspection qui m'a mené vers les cercles. Les ALC m'ont aidé à travers tout ça, ils m'ont donné des coups de pouce incroyables, je les appelais mes anges-gardiens. Ils m'ont aussi orienté vers d'autres organismes. Si je n'avais pas eu d'aide à ce moment-là, je ne suis pas sûr qu'on se parlerait aujourd'hui. Mais encore une fois, une fois que j'ai eu terminé mon processus de libération conditionnelle, ils n'étaient plus là… Contrairement aux cercles qui sont toujours là et qui ont toujours été impliqués. Les cercles sont le trait d'union entre la détention et la communauté. Ça a été difficile de me réintégrer car je ne pouvais plus mener la vie sociale et professionnelle que je menais avant. J'ai fait un dévoilement à mon ancien patron, j'avais une job et un très bon salaire mais je ne pouvais plus revenir là-dessus. J'ai eu la chance d'avoir un patron très discret. C'est une des seules personnes dans la communauté qui ne m'a pas rejeté mais on s'entendait qu'on ne pouvait pas revenir en arrière. Ça aurait été très différent avec certains collègues et les réactions étaient très violentes. Je n'ai pas encore trouvé quelqu'un que ce soit au niveau amical ou bien dans une relation amoureuse pour partager mon vécu, si je n'avais pas les cercles je n'aurais personne dans mon réseau social.

Faire de la détention quand tu es stable depuis 40 ans et qu'après tu dois te réintégrer c'est vraiment difficile. Tout est détruit, c'est de repartir la principale difficulté. Je pense que cette période a été même plus difficile que ma période d'incarcération.

En général, je garde le silence en dehors de mon cercle. Je viens de reprendre un emploi et personne dans mon entourage n'est au courant. Si les gens le savaient, je serais complètement mis à part. Dans mon milieu de travail, il y a toujours des enquêtes de sécurité, c'est donc très difficile de retrouver un emploi dans le domaine. Avec le temps et beaucoup de patience, j'ai quand même espoir de retrouver un bon emploi.

À votre avis comment les citoyens pourraient s'impliquer pour régler les problèmes de délinquance?

Il faut que les citoyens soient mieux informés et peut-être aussi de rappeler que l'encadrement des délinquants en communauté est une chose essentielle pour la sécurité publique. Il faut avec une extrême délicatesse pouvoir sensibiliser les gens et leur donner une information efficace notamment par le biais de témoignage. Ce ne sera jamais la majorité des gens, je crois, qui accorderont une seconde chance ou qui tendront la main pour aider des personnes dans leur retour en communauté. Pour l'instant c'est vraiment la minorité, il ne faut pas rêver en couleur…