Revue Porte Ouverte

Criminalité : Impacts sur les proches

Par Félicia Charland-Finaldi,
Candidate à la maîtrise en criminologie à l'Université de Montréal

et Jo-Anne Wemmers,
Professeur titulaire à l'École de criminologie

Victime ou pas? Le vécu des proches de personnes ayant commis un crime grave médiatisé

Le mot « victime » renvoie à des notions que nous avons tendance à tenir pour acquises et que nous employons sans trop y penser. Mais que signifie au juste le mot « victime »? Selon le dictionnaire, une victime est une « personne qui subit la haine, les tourments, les injustices de quelqu’un » (Robert, Rey-Debove et Rey, 1993). Ainsi, la victime est souvent interprétée comme la personne qui subit le préjudice, et plus particulièrement le préjudice direct d’un acte. Toutefois, d’autres personnes que la victime directe peuvent aussi subir une perte. Par exemple, au Québec, on a fait beaucoup de progrès ces dernières années pour faire reconnaître comme victimes des proches de la victime directe. Est-ce qu’il y a d’autres groupes qui vivent des souffrances et des préjudices suite à des crimes, mais qui ne sont pas reconnus comme victime?

Le jugement et le blâme des autres ont mené à un sentiment de victimisation et à la perception d’être victime.

Une des grandes difficultés par rapport à cette notion réside dans le fait qu’il s’agit souvent d’une perception. Selon certains auteurs, la notion de « victime » est une construction sociale qui émerge interactivement (Dunn, 2012; Quinney, 1972; Strobl, 2010). Autrement dit, les victimes sont « produites » par l’entremise de l’activité pratique et politique. Le sens d’un objet, y compris une victime, n’est pas inhérent à l’objet ; il lui est plutôt conféré lors de son interprétation (Holstein et Miller, 1990). Ainsi, ce n’est pas juste la perception de l’individu qui est importante pour déterminer si quelqu’un est une victime, mais aussi comment elle est perçue par les autres.

Pensez par exemple aux proches de contrevenants qui ont commis des crimes graves médiatisés. Ils n’ont pas enfreint la loi pourtant, ils peuvent vivre des souffrances et des préjudices à cause des crimes qu’ils n’ont pas commis, simplement par association avec le contrevenant. Par contre, ils ne sont généralement pas considérés comme des victimes. Ce groupe est négligé et souvent oublié des chercheurs ainsi que des professionnels du système de justice pénale (Condry, 2013, May, 2000 ; Howart et Rock, 2000, Light, 2007). Or, plusieurs écrits sur le sujet sont d’avis que les proches de personnes ayant commis un crime grave vivent des réactions communes à celles de victimes d'actes criminels (Condry, 2013; Howarth et Rock, 2000; Rock, 1998).

Afin d’explorer la dynamique entre la perception des proches de contrevenants et la réaction des autres, nous avons effectué des entrevues qualitatives avec sept proches des contrevenants dont un membre de leur famille a commis un crime grave. Les participantes étaient toutes des femmes âgées de 18 à 78 ans dont quatre d’entre elles étaient la mère du contrevenant, deux l’(ex-) conjointe et une la fille du contrevenant. La petite taille de l’échantillon ne nous permet pas de généraliser nos résultats. Toutefois, en mettant en lumière l’expérience vécue des proches de contrevenants, nous donnons une voix à un groupe caché.

Se sentir victime

Toutes nos participantes ont vécu des souffrances relativement aux crimes commis par leurs proches. Tous les proches ont signalé des conséquences affectives et six proches sur sept ont subi des conséquences financières suite au délit. Ainsi, cinq des sept proches ont dit qu’ils se sentent victimes. Par contre, quand nous explorons la source de ce sentiment, nous constatons que celle-ci ne vient pas du délit, mais plutôt des réactions des autres.

Deux thèmes apparaissent dans le discours de ces proches soit, les réactions des autres en raison de leur association au contrevenant et la sensation de perte de contrôle. Trois des participantes se sentent d’ailleurs jugées à cause de leur association au contrevenant, bien qu’elles vivent, elles aussi, des souffrances.

Le jugement et le blâme des autres ont mené à un sentiment de victimisation et à la perception d’être victime. Par exemple, une participante éprouvait le sentiment de se faire regarder par les autres comme si elle était « un monstre ». En raison de l’association au criminel et de l’étiquette stigmatisant qui s’y rattache, elles se sentent obligées de garder le silence.

Pour deux participants, la sensation de perte de contrôle a grandement mené à l’identification du rôle de victime. Ce sentiment d’impuissance découle du fait de ne pas pouvoir contrôler la situation et de perdre le pouvoir sur sa vie. Comme une participante l’a souligné : « Tu ne peux rien faire, même si tu as mal. Tu dois juste attendre que ça passe et souffrir en silence ».

Deux participants ne se sont pas sentis comme des victimes. Une personne mentionne qu’elle a fermement « décidé de ne pas être une victime » et de traverser cette période difficile le mieux possible. L’autre n’a pas utilisé le mot « victime » et nous ne lui avons pas posé la question directement.

Le blâme

Lorsque nous avons exploré la perception des proches face aux réactions des autres, trois de nos sept participantes ont dit s’être senties blâmées pour les actions de leur proche ayant commis un acte criminel et même dans certains cas perçues comme coresponsables du délit. De manière plus spécifique, ces participantes ont même été jusqu’à se blâmer quant à leur rôle parental en lien avec les gestes criminels causés par le proche.

D’autres proches ne se blâment pas, mais elles se questionnent. Pour trois participantes, la réaction des autres vient semer le doute quant à savoir si elles auraient joué un rôle dans l’acte criminel commis par leur proche.

Le besoin d’information

Toutes les sept participantes ont exprimé un besoin d’information. Toutes ont déclaré ne pas avoir reçu d’information quant aux différentes étapes du processus judiciaire, mais aussi quant aux services dédiés aux proches de contrevenants. L’ensemble des participantes en étaient à leur première expérience avec le système de justice et ces dernières avaient beaucoup de questionnements et de préoccupations qui n’ont jamais été informellement ni formellement prises en charge.

Leur besoin d’information est amplifié par leur réticence à parler avec les autres de leur situation. En raison du sentiment de honte et de peur d’être jugé, les participants ont dit se sentir inconfortables à l’idée de demander de l’aide. En effet, six participantes sur sept ont mentionné avoir effectué leur propre recherche pour avoir accès au peu d’organismes d’aide disponibles pour les proches de contrevenants, car dans tous les cas, personne ne leur a proposé de services d’aide. Le sentiment de honte, lié à l’association au proche criminel, les a empêchées de parler de leurs besoins et de chercher de l’aide.

Le besoin d’aide

Les participantes ont exprimé à l’unanimité avoir besoin d’une aide psychologique et d’un suivi à la suite de l’évènement commis par leur proche, souvent décrit comme étant un choc et un grand bouleversement dans leur vie. Cependant, aucune aide psychologique ne leur a été offerte dans les ressources fréquentées bien que ces dernières vivaient des souffrances et avaient besoin d’aide.

Trois participantes ont dit avoir eu besoin de se sentir soutenues par les autres lors de leur expérience. Elles ont parlé d’un manque d’empathie des autres qui a contribué à leur sentiment d’isolement. Elles ont mentionné avoir eu besoin de support pour les aider à trouver des services, mais surtout pour se sentir moins seules.

Le besoin d’aide financière

Le besoin d’aide financière est également un enjeu qui fait surface à plusieurs reprises dans le discours des interlocutrices. Pour six des participantes, le délit commis par le proche a eu des répercussions au niveau financier. En effet, les participantes concernées ont fait part d’un besoin d’aide financière et d’une chute socioéconomique à la suite du crime commis par le proche. Dans certains cas, ces effets étaient une conséquence directe du crime bien que dans d’autres cas, il s’agissait des effets indirects, par exemple une incapacité de travailler à cause de l’impact psychologique du crime.

Les médias : un effet dévastateur

L’ensemble des participantes affirment que les médias ont eu un impact dévastateur sur leur vie et pour l’ensemble de leur famille. Ces personnes n’ont pas commis un crime, mais elles ont perdu leur vie privée. La honte et le blâme qu’elles ont déjà vécus ont été amplifiés par les médias. Elles ont voulu se cacher pour échapper au regard des autres, mais elles ont perdu leur vie privée, ce qui a rendu leur vie encore plus difficile.

Trois des sept proches ont fait part d’une inquiétude pour les enfants impliqués dans la médiatisation du crime commis par le proche. Ils accusent les médias d’être insensibles aux besoins des enfants qui sont, selon eux, des victimes cachées et vulnérables.

Les services

Toutes nos participantes ont parlé d’un manque de ressources et d’informations disponibles à leur endroit. D’autres thèmes identifiés par les participantes sont l’absence d’aide financière, d’aide psychologique et de soutien. Les participantes voudraient que l’information aux proches soit donnée de façon systématique pour la rendre plus accessible et briser l’isolement dans lequel elles se sont trouvées. En même temps, elles aimeraient être protégées des médias qui ne respectent pas leur droit à une vie privée et qui ne tiennent pas compte des besoins de leurs enfants.

Conclusion

Même si les proches ont vécu des conséquences en raison du délit, ils ne se sentent pas victimes du délit. Par contre, ils se sentent victimes des réactions des autres et leur souffrance est amplifiée par les médias. Bien que les proches n’aient pas commis de crimes, leur souffrance n’est pas reconnue par des autres. De plus, les proches se voient négligés non seulement par les services en justice pénale, mais surtout par leurs concitoyens. Si la civilité d’une société se reflète par la façon dont elle vient en aide aux personnes vulnérables, qu’est-ce que la souffrance des proches dit de nous?


Références

Condry, R. (2013), Families Shamed: The Consequences of Crime for Relatives of Serious Offenders, Routledge. 
Dunn, J. L. (2010), Judging victims: Why we stigmatize survivors, and how they reclaim respect, Lynne Rienner Publishers. 
Holstein, J. A. et Miller, G. (1990), Rethinking Victimization: An Interactional Approach to Victimology, Symbolic Interaction, 13(1), 103‑122. doi:10.1525/si.1990.13.1.103. 
Howarth, G. et Rock, P. (2000), Aftermath and the Construction of Victimisation: ‘The Other Victims of Crime’, The Howard Journal of Criminal Justice, 39 (1), 58‑77. 
Light, R., & Campbell, B. (2007), Prisoners' families: still forgotten victims?., Journal of Social Welfare AMD Family Law, 28(3-4), 297-308. 
May, H. (1999), Who killed whom?: victimization and culpability in the social construction of murder, The British Journal of Sociology, 50(3), 489‑506. 
May, H. (2000), « Murderers » Relatives’ Managing Stigma, Negotiating Identity, Journal of Contemporary Ethnography, 29(2), 198‑221. 
Quinney, R. (1972). Who is the Victim?. Criminologie, 10(3), 314-323, 
Robert, P., Rey-Debove, J., & Rey, A. (1993), Le nouveau petit Robert. le Robert. 
Strobl, R, (2010) Becoming a Victim, Dans: S. Shoham, P. Knepper & M. Kett, (eds.) International Handbook of Victimology).