Revue Porte Ouverte

La déficience intellectuelle dans le système de justice pénale

Par Michael Watkins,
Office des personnes handicapées du Québec

Pour une approche inclusive de la justice

Le 10 mars dernier, lors de la 10e Table de concertation Justice – Déficience intellectuelle, l’Office des personnes handicapées du Québec annonçait qu’il donnera suite aux travaux entrepris par l’Association du Québec pour l’intégration sociale (AQIS) relativement à l’adaptation du système judiciaire à la situation des personnes ayant une déficience intellectuelle.

Rappelons que l’AQIS compte parmi les premiers groupes au Québec à se préoccuper de cette problématique. À son initiative, une table de concertation provinciale a été mise sur pied en 1999, réunissant divers partenaires du milieu associatif, de la santé et des services sociaux, d’organismes de défense des droits, de la justice et d’organismes d’aide aux contrevenants. La création de cette table répondait ainsi aux nombreuses démarches entreprises au cours des années précédentes pour faire reconnaître la nécessité d’adapter le système judiciaire aux besoins des personnes ayant une déficience intellectuelle, qu’elles soient victimes, témoins, suspects ou accusées. Depuis le début des travaux de cette table, plusieurs actions se sont déroulées au Québec : activités de concertation régionale; élaboration de protocoles entre différents partenaires dans plusieurs régions; conception et réalisation de diverses formations auprès de policiers et autres professionnels concernés, etc.

Le système judiciaire est complexe pour la grande majorité des personnes. Cette complexité est encore plus évidente lorsque la personne qui fait face au système judiciaire a une déficience intellectuelle.

Au cours des dernières années, certains événements traités dans les médias ont entraîné de nombreuses questions quant à la capacité du système judiciaire d’offrir une réponse adaptée aux caractéristiques des personnes ayant une déficience intellectuelle. On se souviendra notamment de l’ampleur qu’avait prise le dossier Simon Marshall 1 qui n’est pas sans avoir influencé le mouvement. Sa tragique histoire avait mis en évidence la nécessité de revoir le processus judiciaire au regard du traitement réservé aux personnes ayant une déficience intellectuelle ou des troubles graves de santé mentale. L’histoire avait également fait ressortir l’importance de favoriser une meilleure communication entre le système judiciaire et le réseau de la santé et des services sociaux et les associations représentant les personnes ayant une déficience intellectuelle ou des troubles graves de santé mentale.

Le système judiciaire est complexe pour la grande majorité des personnes. Cette complexité est encore plus évidente lorsque la personne qui fait face au système judiciaire a une déficience intellectuelle. Ces personnes ont davantage de difficulté à comprendre l’ensemble des étapes et des conséquences du processus judiciaire. Soulignons également qu’elles sont plus souvent victimes en milieu carcéral de mauvais traitements, de manipulation et d’exploitation de la part des autres détenus. De plus, pour les personnes victimes d’actes criminels, l’expérience vécue avec le système judiciaire est parfois difficile. Elles voient souvent leurs témoignages et accusations remis en cause, et n’ont pas souvent accès à des services de soutien adéquat.

Par ailleurs, l’Office a pris l’engagement d’établir une démarche de concertation sur l’adaptation du système judiciaire, et ce, en continuité avec les travaux antérieurs. En s’inspirant des réalisations et des réflexions qui ont été faites relativement à l’adaptation du système judiciaire à la situation des personnes ayant une déficience intellectuelle, l’Office a annoncé qu’il entendait élargir la mobilisation en faveur d’un système judiciaire plus inclusif pour l’ensemble des personnes handicapées.

Comme d’autres personnes handicapées risquent, elles aussi, d’éprouver des difficultés lorsqu’elles vivent une situation qui relève du domaine judiciaire, l’Office veut contribuer à rendre celui-ci plus inclusif, répondant ainsi à l’un des défis de la proposition de politique À part entière consistant justement à rendre la société plus inclusive. Outre les personnes ayant une déficience intellectuelle, pensons, entre autres, aux personnes sourdes dont les difficultés de communication peuvent constituer un obstacle, aux personnes aphasiques ou aux personnes ayant des troubles graves de santé mentale.

Afin d’identifier des solutions aux divers problèmes auxquels peuvent être confrontées les personnes handicapées dans le système judiciaire, l’Office mettra en place prochainement un comité interministériel dont le mandat sera de soumettre au gouvernement des pistes de solution aux problèmes liés à l’accueil et au traitement des personnes handicapées ayant à composer avec l’appareil judiciaire. Les acteurs déjà mobilisés autour de la Table Justice – Déficience intellectuelle seront également mis à contribution dans le cadre d’un forum élargi afin d’appuyer les réflexions du comité.

L’Office reconnaît l’importance du travail effectué dans ce dossier au cours des dix dernières années. D’heureuses initiatives se sont traduites, dans quelques régions du Québec, par la signature d’ententes entre les partenaires des différents réseaux afin d’assurer l’arrimage des interventions et le partage des responsabilités pour mieux soutenir la personne dans le système judiciaire. Nul doute que ces expériences constituent une excellente base sur laquelle le travail pourra être poursuivi en vue d’étendre l’adaptation de l’appareil judiciaire à l’ensemble des personnes handicapée


1 Condamné pour des agressions sexuelles qu’il n’avait pas commises, Simon Marshall est un jeune déficient intellectuel qui a été incarcéré pendant cinq ans avant d’être blanchi.