Revue Porte Ouverte

La déficience intellectuelle dans le système de justice pénale

Par Sylvie Dubois,
M.A. Éd., Conseillère à l’intervention / accès justice et santé

La déficience intellectuelle

Forte de son expérience de promotion des intérêts et de la défense des droits des personnes vivant avec une déficience intellectuelle et de leur famille, l’Association du Québec pour l’intégration sociale (AQIS) est heureuse de profiter de cette tribune pour exposer certains aspects liés à la présence de la déficience chez une personne.

La déficience intellectuelle est un phénomène humain complexe. Plusieurs définitions ont cours à travers le monde. Une connaissance de la réalité québécoise jumelée à une sensibilité des nuances à garder à l’esprit encourage une vision non réductrice de la personne et endigue la fabrication de stéréotypes. Voici des précisions destinées à fournir quelques repères et à susciter le désir d’en connaître davantage sur la déficience intellectuelle.

Lorsque l’on parle de déficience intellectuelle réfère-t-on au quotient intellectuel qui se situe sous la moyenne de 70 ?

Oui, mais en partie seulement. Au début du siècle, avec les premières échelles mesurant l’intelligence, des évaluations ont permis d’élaborer une formule dont le résultat est appelé quotient intellectuel (Q.I.). Les objets d’évaluation sont, entre autres, le raisonnement, la planification, la résolution de problèmes, etc.

Le quotient intellectuel a été utilisé pendant de nombreuses années comme mesure pour classifier à l’intérieur d’une population donnée le niveau de fonctionnement d’un individu sur le plan intellectuel.

Toutefois, le seul constat d’un quotient intellectuel de moins de 70 serait une évaluation trop étroite du potentiel d’une personne. Dix personnes ayant un quotient intellectuel identique auront des personnalités, des expériences de vie, des états de santé différents qui expliqueront qu’elles auront des forces et des limites très diversifiées. Le quotient intellectuel à lui seul ne traduit pas ces nuances.

Le même type de réserve s’impose lorsque les capacités d’une personne sont définies en référence à un niveau d’âge mental. Une personne de 40 ans possède une expérience de vie de 40 ans avec des forces, des limites et des soutiens qui se sont démarqués par leur présence et parfois par leur absence. 

Il importe de retenir :

  • Que les résultats de Q.I. doivent servir à établir un diagnostic, et non à classer les personnes.
  • Que ces tests ne mesurent pas tous les aspects significatifs du fonctionnement d’une personne.
  • Qu’il ne faut pas confondre les résultats d’un test de Q.I. et l’intelligence en soi.
  • Que des variables peuvent interférer : disposition du sujet à ce moment précis, dans ce contexte; motivation à répondre qui diminue durant l’épreuve; peur de l’échec qui entraîne une diminution de l’effort fourni, etc.

Définitions et déficience intellectuelle

En octobre 2007, l’Ordre des psychologues du Québec publiait, en collaboration avec la Fédération québécoise des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement et l’Association québécoise des psychologues scolaires, le guide professionnel Les lignes directrices pour l’évaluation du retard mental. Ces lignes directrices posent les jalons d’une démarche menant à l’identification de la présence d’un retard mental, synonyme de déficience intellectuelle. Celles-ci s’appuient sur le modèle théorique exposé dans Retard mental : définition, classification et systèmes de soutien, 10e édition du manuel de l’American Association for Mental Retardation publié en 2003. Bien que la définition du retard mental exposée dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR) soit fréquemment utilisée dans les domaines d’expertises psychiatriques et légales, le consensus au Québec va à la définition proposée par l’AAMR. Utilisée tant par les associations de parents que par les milieux de la santé et des services sociaux, elle établit les balises qui permettent aux professionnels non seulement de poser le diagnostic d’un retard mental, mais aussi d’identifier les forces et les limites chez une personne.

L’American Association For Mental Retardation définit le retard mental comme étant « une incapacité caractérisée par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif qui se manifeste dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques. Cette incapacité survient avant l’âge de 18 ans ».

Cinq postulats sont essentiels à l’utilisation de cette définition

Les limitations dans le fonctionnement actuel doivent tenir compte des environnements communautaires typiques du groupe d’âge de la personne et de son milieu culturel.

L’environnement communautaire comprend les foyers, les quartiers, les écoles, les lieux d’affaires et tout autre environnement dans lequel les gens du même groupe d’âge que la personne évaluée ont l’habitude de vivre, d’apprendre, de travailler et d’interagir. Le concept de groupe d’âge devrait également tenir compte des personnes venant d’un même milieu culturel et linguistique.

Une évaluation valide tient compte à la fois de la diversité culturelle et linguistique de la personne ainsi que des différences sur les plans sensorimoteurs, comportementaux et de la communication.

La culture, la langue, les coutumes et les méthodes de communication non verbale doivent être prises en compte. Une personne d’origine linguistique et ethnique différente risque d’être considérée inadaptée dans un nouveau milieu.

Chez une même personne, les limitations coexistent souvent avec des forces. 

Une personne peut démontrer des aptitudes d’ordre physique ou social indépendamment de la difficulté d’adaptation provoquée par le retard mental. De même, une personne peut se montrer forte dans un domaine donné du fonctionnement adaptatif tel que les habiletés sociales tout en éprouvant des difficultés sur le plan de la communication. 

La description des limitations est importante notamment pour déterminer le profil de soutien requis. 

Par profil de soutien requis, on entend un ensemble de services, d’individus et de conditions qui rencontrent les besoins de la personne, soit sur une base permanente ou intermittente. 

Si la personne présentant un retard mental reçoit un soutien adéquat et personnalisé sur une période soutenue, son fonctionnement devrait s’améliorer. 

La plupart des personnes vivant avec une déficience intellectuelle voient leur fonctionnement s’améliorer avec des soins et des services adéquats, ce qui leur permet de vivre de façon productive, autonome et intégrée dans leur environnement. Une absence d’amélioration du fonctionnement devrait être l’occasion d’une réévaluation des soutiens. Dans de rares occasions, le soutien ne sert qu’à maintenir un niveau de fonctionnement ou à en retarder la régression.

La déficience intellectuelle n’est pas une maladie

Il s’agit d’un état donc, on ne peut pas en guérir. Les personnes qui présentent une déficience intellectuelle peuvent être plus lentes et éprouver des difficultés à comprendre certains concepts abstraits. Ainsi, elles peuvent avoir avantage à bénéficier de programmes d’enseignement, de formation professionnelle ou d’hébergement adaptés à leurs capacités et leur rythme. Notons que les besoins seront différents d’une personne à l’autre. Aussi, notons que, pour une même personne, les besoins de soutien varieront en intensité et en durée selon les situations et les contextes. Par ailleurs, tous s’entendent sur le fait que les habiletés et le fonctionnement d’une personne qui vit une déficience intellectuelle s’améliorent généralement lorsqu’elle reçoit un soutien adéquat et prolongé. Elle peut donc apprendre et se développer si les différents milieux (familial, social, scolaire, professionnel, etc.) lui fournissent les soutiens nécessaires.

Une distinction à faire avec la maladie mentale

Jean-Charles Juhel (1997) fait la distinction de la façon suivante : « La maladie mentale affecte le comportement et l’affectif sans lien avec le fonctionnement intellectuel de la personne». Il est dit que cette dernière est « …tellement absorbée par son bouleversement interne qu’il lui est impossible d’utiliser de façon efficace ses ressources intellectuelles, (…) qu’elle ne peut pas s’en servir pour le moment » (p. 60).

Les personnes atteintes de problèmes de santé mentale peuvent être traitées avec de la médication et bénéficier de soins thérapeutiques appropriés. À la différence des maladies mentales telles que la dépression, l’anorexie, la schizophrénie, les troubles anxieux ou bipolaires, la déficience intellectuelle ne se soigne pas.

Le défi qui s’impose aux divers intervenants est celui d’apprendre à distinguer les indicateurs de la présence de problèmes de santé mentale de ceux liés à la déficience intellectuelle. Bien que cette tâche ne soit pas aisée, elle est indispensable à une identification pertinente des besoins et des soutiens requis. Les approches interdisciplinaires et le partage des expertises favorisent le développement de compétences à ce niveau.

Les causes de la déficience intellectuelle

Des désordres génétiques, chromosomiques, des causes organiques et environnementales peuvent être à l’origine d’une déficience intellectuelle. Bien que de nombreuses causes soient encore inconnues, certaines le sont davantage : l’anoxie (manque d’oxygène à la naissance), la rubéole de la mère durant la grossesse, l’abus d’alcool, de drogues ou de tabac ou encore une mauvaise alimentation de la mère durant la grossesse ou de l’enfant pendant les premières étapes de son développement; certaines maladies peuvent aussi endommager le cerveau comme l’encéphalite, la méningite, des anomalies génétiques comme la trisomie 21, etc.

Au-delà de la déficience intellectuelle, il y a aussi la santé physique et mentale

Les changements sociaux et les percées médicales font en sorte que leur espérance de vie est dorénavant la même que pour le reste de la population. Certains ont des problèmes de santé physique comme des maladies cardiaques ou des troubles respiratoires qui, s’ils ne sont pas diagnostiqués ou soignés, peuvent abréger la durée de la vie. Ce qui arriverait à n’importe qui d’entre nous souffrant des mêmes maux et les négligeant.

Il arrive que des personnes vivant de la déficience intellectuelle soient aussi atteintes par la dépression, la maladie bipolaire, le syndrome du stress post-traumatique, etc. L’expression utilisée dans une telle situation est : une personne vivant avec un double diagnostic.

Les personnes atteintes de problèmes de santé mentale peuvent être traitées avec de la médication et bénéficier de soins thérapeutiques appropriés. À la différence des maladies mentales, la déficience intellectuelle ne se soigne pas.

Par ailleurs, les personnes présentant une déficience intellectuelle sont, elles aussi, exposées aux difficultés d’accessibilité de soins que connaît le Québec d’aujourd’hui. L’intégration sociale fait en sorte qu’elles utilisent les mêmes points de service que l’ensemble des citoyens : CLSC, clinique médicale, urgence du centre hospitalier, clinique dentaire du quartier, etc. Les difficultés à trouver un médecin de famille ou à être traitées dans une clinique sans rendez-vous se posent avec la même acuité.

La réponse aux besoins en matière de communication et d’adaptation pouvant faciliter l’accès aux services est un incontournable. Il s’agira par exemple de mettre en place des mesures pouvant faciliter l’attente d’une consultation dans la salle publique ou de considérer la clarté des explications à fournir en ce qui a trait aux objectifs poursuivis par l’intervention. Le traitement, la durée et la fréquence des visites devront être différents selon les capacités et limites de la personne et ce, pour chaque type d’intervention.

Les personnes présentant une déficience intellectuelle ne se ressemblent pas

Les différences d’ordre physique et psychologique sont aussi nombreuses que pour la population en général! Certains syndromes entraînent des caractéristiques physiques qui expliquent que certaines peuvent avoir des traits communs. Toutefois, chaque individu possède une personnalité qui lui est propre. L’environnement, l’influence de gens significatifs, la culture, les capacités et les limites seront différents d’une personne à l’autre. Il faut donc agir avec prudence et ne pas généraliser les réalités d’une personne à l’ensemble.

Les personnes présentant une déficience intellectuelle ont des capacités

Dans un environnement où elles sont aimées, stimulées, tout en bénéficiant d’une éducation et d’une formation professionnelle appropriées, elles peuvent développer leur autonomie et apprendre à lire, écrire et compter (en fonction de leurs capacités). Elles peuvent travailler sur des plateaux de travail, en ateliers ou sur le marché du travail régulier. Elles peuvent vivre en résidence de groupe ou dans leur propre appartement, utiliser le transport en commun, s’occuper de leur compte bancaire, faire leurs courses, etc. Il est important que ces personnes ne soient pas limitées dans leurs possibilités de développement et d’apprentissage. Parmi les stratégies pédagogiques efficaces, soulignons la simulation, l’imitation, l’expérimentation signifiante, la répétition, la résolution de problèmes pertinents, etc. Il faut néanmoins assurer aux personnes présentant une déficience intellectuelle le soutien qui leur est nécessaire.

Quelques données démographiques 

  • De 1% à 3% de la population ou environ 200 000 personnes vivent avec une déficience intellectuelle. (MSSS, 2005)
  • Au moins 33 000 personnes présentant une déficience intellectuelle ont besoin de services spécialisés ou d’un soutien particulier pouvant s’étendre sur toute leur vie. (MSSS, 2005)
  • 23 760 personnes sont desservies par les 22 centres de réadaptation en déficience intellectuelle du Québec. (FQCRDI, 2008)
    Environ 12 000 familles nécessitent un certain soutien dont l’intensité peut varier. (MSSS, 2005)

De nombreuses recherches ont cours et de nouvelles connaissances concernant différents syndromes associant la présence d’une déficience intellectuelle sont disponibles. Le dépistage et la mise en place d’interventions appropriées reposent, en partie, sur la capacité des instances responsables des offres de services à cette clientèle d’arrimer leurs pratiques professionnelles. Des collaborations et des corridors de services devront être envisagés. Mais surtout, des consensus devront être recherchés notamment en matière d’évaluation des besoins, des limites et des capacités des personnes présentant une déficience intellectuelle.


AMERICAN ASSOCIATION FOR MENTAL RETARDATION (2003) Retard mental – Définition, classification et système de soutien, 10e édition, 227 p. 

AMERICAN ASSOCIATION FOR INTELLECTUAL AND DEVELOPMENTAL DISABILITIES (2007) «The Renaming of Mental Retardation: Understanding the Change to the Term Intellectual Disability», volume 45, no.2:116-124, April. 

ASSOCIATION DU QUÉBEC POUR L’INTÉGRATION SOCIALE (2005) Étude de besoins, Accès-Santé 2005, Montréal, 75 p. 

ASSOCIATION DU QUÉBEC POUR L’INTÉGRATION SOCIALE (2008) Accès Santé. Un passeport pour la prévention et le bien-être, Montréal, 34 p.

BÉGIN, D., (2008) Rencontre franco-québécoise Journée d’étude : Alternatives à l’hébergement institutionnel, FQCRDI, PPT, 27 p.

JUHEL, Jean-Charles (1997) La déficience intellectuelle : connaître, comprendre, intervenir, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 395 p.

ORDRE DES PSYCHOLOGUES DU QUÉBEC (2007) Lignes directrices pour l’évaluation du retard mental, Montréal, 34 p. 


Documentation en ligne

www.crdime.qc.ca/centredoc2/po...
www.roeher.ca/default.htm
www.msss.gouv.qc.ca/documentat...
www.interteddi.ca/