Revue Porte Ouverte

La déficience intellectuelle dans le système de justice pénale

Par David Henry,
ASRSQ

Le tribunal de la santé mentale fête une année d’existence

Le tribunal de la santé mentale (TSM) a vu le jour à Montréal au mois de mai 2008. Ce projet-pilote de trois ans suscite après une année d’application de nombreux questionnements. M. Jonathan Lambert, criminologue à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal, agit comme expert auprès des tribunaux depuis l’an 2000. Il est actuellement assigné au TSM et a accepté de livrer ses premières impressions.

Fonctionnement du TSM

Les dossiers traités au TSM sont uniquement des causes de la cour municipale de la Ville de Montréal. Le programme plan d’accompagnement justice et santé (PAJES) en est une composante fondamentale. Son but est d’offrir à l’accusé la possibilité de recevoir des soins médicaux et des services psychosociaux dans la communauté. Avec l’approbation d’un des procureurs du TSM, l’accusé se voit offrir le programme, associé au respect d’une série de conditions relatives à son suivi et à ses présences subséquentes à la cour (ex : rencontrer un travailleur social ou un médecin, se présenter au juge à fréquence déterminée, etc.). L’accusé a le droit de refuser en tout temps le programme et de s’exclure du processus, entraînant le retour de son dossier vers le tribunal régulier. La « réussite » (respect des conditions) du programme donne le droit à l’accusé de bénéficier de différentes mesures pénales ou criminelles plus clémentes, allant jusqu’au retrait de la plainte initiale et l’exclusion d’une peine d’emprisonnement ferme. En contrepartie, les manquements aux conditions du PAJES peuvent entraîner le retour du dossier au tribunal régulier.

Contrôle versus relation d’aide

Intervenir auprès de personnes atteintes d’un trouble de santé mentale peut constituer un défi pour les intervenants du réseau légal. Ainsi, il faut réussir à doser les mesures de contrôle et les mesures d’aide dans un contexte de judiciarisation. D’après M. Lambert « la décriminalisation est un principe important, mais parfois le contrôle est le meilleur moyen d’aider dans ce milieu. Une personne qui va exploser à répétition a besoin d’une certaine forme de prise en charge qui n’est pas seulement psychiatrique. Elle a également besoin d’un support psychosocial. Si on ne fait que l’orienter dans une mesure d’aide et d’accompagnement en oubliant toutes conséquences légales, ce n’est parfois pas ce qui va fonctionner le plus ».

Le TSM a été mis en place pour se substituer au tribunal municipal régulier quand seule la problématique de santé mentale est contributive à la criminalité. Penser systématiquement qu’une personne ne devrait pas aller en prison « est assez linéaire comme forme de pensée. En cour, on se rend compte que ce n’est pas uniquement le problème de santé mentale qui est le moteur des actes déviants et on ne devrait pas trop déresponsabiliser ces personnes » selon M. Lambert. Il précise que la plupart des personnes qui se retrouvent sur le PAJES sont aux prises avec de nombreuses problématiques autres que la santé mentale (toxicomanie, troubles de personnalité, etc.).

TSM et déficience intellectuelle

Il est très rare qu’une personne présentant uniquement un trouble de déficience intellectuelle se retrouve judiciarisée, selon M. Lambert. Le filet pénal fait en sorte qu’une personne présentant une déficience intellectuelle sans antécédent judiciaire ou de violence va la plupart du temps comparaître par voie sommaire (selon la gravité du délit) et, par conséquent, ne sera pas prise en charge par le TSM. Le pouvoir discrétionnaire des policiers demeure présent et ceux-ci déterminent quelle voie légale emprunter.

Toujours selon lui, « le PAJES est adapté à une personne qui présente un problème de déficience intellectuelle et qui n’a pas de problème de violence, mais dans d’autres cas il faut responsabiliser et mettre un cadre. Si je me fie à mon expérience dans les milieux internes, la meilleure façon d’encadrer les personnes qui sont atteintes de déficience intellectuelle et qui présentent un sérieux problème de violence, c’est en appliquant un plan béhavioral clair. C’est donc en imposant des conséquences directes et cohérentes à chacun des gestes qu’on a les meilleurs résultats. Par rapport au système pénal, la personne doit comprendre au fil des judiciarisations que chaque passage à l’acte aura une conséquence. Et ce ne sera pas uniquement une petite tape dans le dos suivi d’un court séjour à l’hôpital. À un moment donné, la conséquence sera l’incarcération et parfois c’est la seule façon de faire pour diminuer la problématique au niveau du comportement ». M. Lambert précise également que l’infirmerie de Bordeaux et de Rivière-des-Prairies sont équipées pour prendre en charge des personnes atteintes de maladie mentale ou de déficience intellectuelle.

Premiers constats

Entre avril 2008 et mars 2009, environ 220 cas ont été soumis au TSM. Une quarantaine de personnes ont accepté et ont été retenues pour être suivies par le programme PAJES. Trois contrevenants ont obtenu le retrait des accusations et cinq autres ont reçu un engagement en vertu de l’article 810 du Code criminel (interdit de contact). Selon M. Lambert, « il s’agit d’un work in progress, il faut maintenant s’interroger sur la future opérationnalisation des critères de fonctionnement du TSM».

L’idée que ce tribunal est une alternative à la prison doit également être considérée prudemment. D’après M. Lambert, « je ne pense pas que vouloir éviter la prison pouvait être l’objectif ultime, mieux encadrer la personne permettra sans doute d’éviter la prison dans le futur ». Ainsi, le TSM participe à l’élargissement du filet pénal en ajoutant une mesure qui apporte un facteur de protection à la personne et au public, selon lui.

Actuellement, il n’y a pas de durée de suivi définie sur le PAJES avant de bénéficier du retrait des accusations ou d’une autre sentence. La durée du suivi se fait donc en fonction des besoins de chaque individu. Ce flou laisse place à des décisions potentiellement arbitraires et devrait être discuté au cours des prochains mois. Des critères d’évaluation doivent également voir le jour pour améliorer le fonctionnement futur du tribunal.

Intervenir auprès de personnes atteintes d’un trouble de santé mentale peut constituer un défi pour les inter venants du réseau légal. Ainsi, il faut réussir à doser les mesures de contrôle et les mesures d ’ aide dans un contexte de judiciarisation.

Des améliorations possibles?

Après un an d’existence, ce tribunal n’a toujours pas de salle d’audience exclusive. L’importance d’avoir un lieu adapté à la clientèle est primordiale pour M. Lambert. Les causes ne devraient pas être mélangées dans des salles d’audience régulière. Comme il s’agit d’un tribunal spécialisé, les causes entendues et le traitement de la justice diffèrent. Les lieux d’entrevue sont tout aussi inadaptés. Ce sont de petits cubicules où l’accusé est séparé de son interlocuteur par un mur. Un trou muni d’un filtre permet la communication. Ainsi, « quand je dois saisir une information clinique qui passe parfois par le non verbal avec des personnes qui murmurent ou qui baragouinent, je n’entends tout simplement pas ». M. Lambert précise « qu’on ne doit pas uniquement aller chercher une information, mais aussi établir un lien avec la personne. Les lieux physiques ne le permettent pas ».

Le TSM est aussi un instrument de référence pour les personnes souffrant de troubles mentaux. Or, le manque de ressources à Montréal dans le réseau psychiatrie-justice ne permet pas vraiment de les référer convenablement. Il n’y a que deux places d’hébergement dans le réseau dédiées au TSM et celles-ci ont été comblées en l’espace de 15 jours. Cela signifie que dans la majorité des cas, les personnes sont dirigées vers le CLSC ou vers l’urgence psychiatrique pour leurs soins de santé et vers des refuges pour personnes itinérantes au besoin. M. Lambert insiste sur « le manque criant de ressources en santé mentale adaptées à une clientèle psychiatrie-justice ». D’un autre côté, il est possible que le TSM crée le besoin et que de nouvelles ressources voient le jour dans les années à venir.

Des avancées significatives

Pour M. Lambert, le TSM a surtout permis de créer une meilleure communication entre le système judiciaire et les milieux hospitaliers. Ainsi, l’agent d’intervention lié aux CSSS et détaché au TSM s’occupe de faire la liaison entre la cour et les équipes traitantes. De plus, trois procureurs travaillent exclusivement sur le TSM. Cela facilite les contacts et la compréhension de cette clientèle. M. Lambert tient à souligner que ces procureurs gardent un grand souci de protection du public. Finalement, le tribunal emploie le même médecin pour effectuer toutes les évaluations sur l’aptitude à comparaître, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le fait qu’un médecin soit rattaché au tribunal permet selon lui une meilleure évaluation des contrevenants et garantit un traitement plus équitable.

Comme tout projet-pilote, le TSM est en évolution et doit s’adapter aux réalités vécues sur le terrain. Dans deux ans, le projet sera évalué et pourrait devenir permanent comme au Nouveau-Brunswick ou en Ontario. Advenant le succès du projet, on pourrait également envisager la pertinence d’appliquer ce tribunal non seulement aux causes municipales, mais également aux causes de la Cour du Québec. M. Lambert rappelle à ce propos « que les clientèles sont souvent semblables entre ces deux juridictions ».