Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Gilles David ,
Travailleur social, bénévole au Centre de Services de Justice réparatrice et Line Bernier, psychologue, directrice clinique VISA (Violence Interdite Sur Autrui)

La réparation : Une approche prometteuse dans le traitement des incestueux

Depuis 1991, l’Établissement Montée St-François (EMSF), un pénitencier fédéral à sécurité minimum, offre aux abuseurs sexuels intrafamiliaux un programme de traitement spécifiquement élaboré à leur intention. 

Le dévoilement des conséquences et des séquelles des abus par les victimes aux offenseurs de prendre conscience de la gravité des souffrances qu’ils ont causées.
Le programme Violence Interdite Sur Autrui, mieux connu sous le nom de VISA, tente de modifier la façon de penser, de sentir et de se comporter des incestueux afin qu’ils reconnaissent les abus qu’ils ont commis, qu’ils en prennent la responsabilité, qu’ils deviennent conscients des conséquences de l’inceste sur la victime et la famille, qu’ils gèrent mieux leurs insatisfactions, qu’ils soient mieux outillés pour vivre une sexualité responsable et harmonieuse, qu’ils soient conscients de leur chaîne délictuelle et qu’ils disposent de moyens pour ne pas récidiver. À ces objectifs « classiques », VISA ajoute l’identification et la prise de moyens pour réparer et assainir les relations avec la victime et son entourage. Cette préoccupation pour l’exposition des victimes et des proches aux retombées positives du traitement trouve écho dans plusieurs interventions et activités du programme comme, par exemple :

  • L’introduction continuelle dans le traitement d’informations concernant le vécu des victimes et des autres membres de la famille ;
  • L'utilisation de documents vidéo portant sur le vécu des victimes afin de permettre aux participants d’identifier des séquelles possibles causées par les abus ;
  • La stimulation des hommes à s’informer des conséquences réelles des abus sur leurs victimes et ses proches ;
  • Le témoignage, dans le groupe, de femmes adultes victimisées dans l’enfance, accompagnées de leur thérapeute ;
  • La conception de « devoirs » incitant les hommes à assumer « publiquement » la responsabilité des abus, devant la victime si possible et approprié, mais aussi devant l’entourage de cette dernière de façon à lever toute ambiguïté sur son rôle dans les abus ;
  • La participation des clients du programme à un don dans un organisme d’aide aux victimes ;
  • L’invitation aux conjointes à participer aux activités du programme et à des rencontres de couple ; 
  • L’accompagnement lors de la reprise de contact entre un père ou un beau-père abuseur et sa victime ;
  • La collaboration des participants de VISA à des activités de prévention.
  • La réparation après le traitement

Au terme du programme VISA, certains des pères et des beaux-pères choisissent librement de participer à une série de 5 à 7 rencontres qui regroupent 3 à 5 offenseurs et 3 à 5 victimes adultes ayant été abusées sexuellement dans leur enfance. Cette nouvelle démarche qu’on appelle RDV (rencontres détenus-victimes) est proposée par le Centre de Services de Justice réparatrice. Cette activité constitue un excellent complément au programme VISA bien qu’elle en soit complètement indépendante en ce sens qu’elle n’est pas sous la responsabilité du Service correctionnel et qu’elle ne fait aucunement partie du plan correctionnel du détenu. Il s’agit donc pour les hommes qui y participent d’une démarche personnelle.

Au cours de cette session RDV, offenseurs et victimes sont invités à « se parler », à « se révéler » mutuellement ce qu’ils ont commis ou subi. Le dévoilement des conséquences et des séquelles des abus par les victimes leur permettent de s’en soulager quelque peu tout en augmentant chez les offenseurs la prise de conscience de la gravité des souffrances qu’ils ont causées. Dans un troisième temps, offenseurs et victimes se parlent de réparation : ce qu’ils (elles) ont fait jusqu’à maintenant et ce qu’il leur reste à faire. Quand les victimes expliquent les efforts, les démarches, les coûts qu’elles ont dû investir pour se rétablir et se reconstruire, comparativement au peu qu’elles ont reçu de leurs offenseurs en terme de réparation, cela contribue à stimuler chez les offenseurs la volonté de se comporter avec compassion et de chercher des objectifs et des moyens de réparation encore plus appropriés et réalistes.

Tout cela se passe dans un étonnant climat de confiance, de sécurité, de respect et d’entraide, sous la gouverne de deux animateurs-thérapeutes et la présence active, parfois réconfortante, parfois confrontante, d’un ou deux représentants de la communauté. Habituellement, la dernière rencontre de la session sert aux participants à faire le bilan de la démarche, mais aussi à célébrer leur réconciliation et à se dire leur reconnaissance et leur appréciation mutuelle. Enfin, de trois à cinq mois plus tard, tous les participants sont invités à se retrouver lors d’une rencontre servant à réévaluer l’expérience (…) Car l’oeuvre de réparation s’est poursuivie...

Depuis 2003, six sessions de RDV ont eu lieu à l’EMSF. Vingt participants du programme VISA et vingt et une victimes ont fait l’expérience de cette activité de Justice réparatrice. Treize citoyens les ont accompagnés à titre de représentants de la communauté. Leurs commentaires ont été éloquents et élogieux ; les bénéfices de leur démarche, nombreux. Moyennant certaines conditions (traitement préalable de l’offenseur, accompagnement des victimes, etc.), il ne fait maintenant plus de doute pour nous que la réparation est un objectif vers lequel tendre dans le traitement des incestueux.