Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Jocelyn Aubut

Quel avenir pour le traitement en délinquance sexuelle au Québec?

Avec le Congrès international francophone sur l’Agression sexuelle qui se tiendra à Hull du 4 au 7 octobre prochain, l’ASRSQ a proposé de confier sa page éditoriale à Jocelyn Aubut. Monsieur Aubut est professeur agrégé de clinique à la faculté de médecine-psychiatrie de l’Université de Montréal. Il travaille aussi à l’Institut Philippe Pinel de Montréal. Jocelyn Aubut est connu pour ses opinions franches, mais toujours très d’actualité. Il est connu comme militant depuis plusieurs années à améliorer le traitement des agresseurs sexuels pour l’ensemble du Québec.

Pour la deuxième fois, le Québec sera l’hôte du CIFAS (Congrès international francophone sur l’Agression sexuelle). Ce congrès témoigne de l’énergie, du dynamisme et du leadership des intervenants québécois dans le traitement des agresseurs sexuels.

Quelle ironie de constater que les intervenants québécois ne sont pas entendus dans leur propre province!

L’expertise québécoise dans ce domaine est reconnue sur le plan international depuis plusieurs années. Nombre de cliniciens et chercheurs sont allés présenter leurs travaux à l’étranger. Un nombre incalculable de stagiaires sont venus au Québec pour apprendre notre savoir-faire. Plusieurs Québécois ont agi à titre de consultants pour des pays européens dans l’élaboration de stratégies nationales d’intervention auprès des agresseurs sexuels.

Quelle ironie de constater que les intervenants québécois ne sont pas entendus dans leur propre province ! Bien sûr, il y a eu des comités, des consultations qui ont accouché d’un Comas (Comité d’Orientation en Matière d’Agression sexuelle). Mais dans les faits, il n’y a pas au Québec de stratégie nationale concertée de prise en charge des agresseurs sexuels. Pourtant, il y en a une au plan canadien. C’est vrai que le Canada est une nation, pas le Québec. On n’est qu’une province et on se comporte comme des provinciaux.

Pourtant, ce n’est certainement pas l’expérience ni l’expertise qui manquent au Québec, car malgré le peu de soutien politique, le Québec a développé des styles d’intervention diversifiés (approches institutionnelles, communautaires, etc.) qui enrichissent la palette d’intervention auprès des agresseurs sexuels. Heureusement, le Québec ne s’est pas laissé imposer une approche unique, homogénéisée, qui a tendance à aplatir les contours de l’humain plutôt que de les mettre en valeur. Mais tout cela à quel prix ?

Cette diversité d’options se retrouve aussi dans la diversité, voire plutôt la disparité de l’accessibilité au traitement pour les agresseurs sexuels sur l’ensemble du territoire québécois. Les agresseurs et éventuellement leurs victimes, n’ont pas tous la même chance dépendant de l’endroit où ils se trouvent au Québec, car les ressources déjà minces sont réparties de manière inégale.

Ce n’est pas que le problème soit si complexe ou insoluble. Le RIMAS (Regroupement des intervenants en matière d’agression sexuelle), entre autres, a déjà proposé au Ministère des solutions réalistes, pragmatiques, et abordables. Mais au fait de quel ministère s’agit-il ? Depuis des années, un jeu de pingpong incessant se joue entre la Santé, la Justice et la Sécurité publique.

De temps à autre, car l’opinion publique s’agite, comme dans le cas de l’affaire Bastien, les Ministères nous proposent un autre comité consultatif qui en général a autant de valeur qu’une érection matinale. On ne sait pas trop d’où ça vient, ça ne donne pas grand-chose et ça repart comme c’est venu, c’est-àdire d’une manière insignifiante.

Au-delà de l’ironie qui précède, une colère m’habite. J’ai traité des agresseurs sexuels durant plus de 20 ans. Je sais combien ils sont difficiles à traiter, je sais quels ravages ils peuvent faire. Je sais malgré tout qu’on peut en aider un certain nombre. Je sais qu’on peut diminuer le nombre de victimes qu’ils feront. Je suis en colère devant cette inertie politique, tous gouvernements confondus. Je suis en colère parce que je sais qu’au Québec on pourrait faire mieux. Je suis en colère parce que je sais qu’il faudra un crime de sang atroce pour éveiller les consciences.