Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Josée Rioux,
Criminologue et Directrice générale

«Cent fois sur le métier nous remettrons notre ouvrage »

Une qualité essentielle que tous les intervenants oeuvrant auprès des agresseurs sexuels doivent posséder est sans aucun doute LA PATIENCE… Le titre en fait foi, il démontre tout le temps et la patience qui nous est demandée afin d’arriver à offrir des services adéquats aux agresseurs sexuels.

Des coûts importants

Selon le Centre national d’information sur la violence dans la famille, de nombreux problèmes de santé sont souvent liés à la violence sexuelle perpétrée contre des enfants. Également, selon une étude canadienne,
44 % des dépenses liées aux troubles de l’alimentation et 50 % des dépenses liées aux cas d’alcoolisme sont attribuables à la violence sexuelle perpétrée contre des enfants.
Au Canada, les coûts estimés de la violence sexuelle à l’égard des enfants dépassent la somme de 3,6 milliards de dollars. Les coûts réels sont probablement encore plus élevés à cause du secret qui entoure ce problème et de la relation de dépendance qui existe souvent entre les enfants et leurs agresseurs. 
En matière de santé le coût global de la violence sexuelle à l’égard des enfants est estimé à (1) 718 643 751 $ À cette somme s’ajoute plus de 900 000 $ qui représentent les coûts liés aux services sociaux et aux services publics. Les programmes thérapeutiques offerts aux délinquants sexuels à l’égard des enfants reviennent à environ 47 557 090 $ par an. 

Les dix dernières années ont servi à bien documenter la problématique des agressions sexuelles et à mettre en évidence les lacunes du système. Pourtant, peu d’actions concrètes ont été réalisées afin d’améliorer les services aux agresseurs sexuels.

En 1996, le Service correctionnel du Canada1 estimait qu’un délinquant sexuel passait en moyenne, un peu plus de quatre ans dans une prison fédérale, coûtant à l’État près de 50 000$ par an. Les autres dépenses (2) (frais de justice, frais légaux, indemnisation des victimes, hospitalisation) ajoutent au bas mot 25 000$ à la note. Le traitement d’un délinquant sexuel, par contre, revient à environ 7 400$ par an. Par conséquent, même si le traitement n’agit que sur une faible minorité des délinquants ou seulement pendant une courte période, il aura quand même réduit le fardeau économique de la société. Enfin, on ne peut pas, sans être déraisonnable, passer sous silence les effets extrêmement néfastes de l’infraction sexuelle sur la victime. Bien que la détresse personnelle soit difficile à quantifier objectivement, les effets négatifs à long terme subis par les victimes d’agression sexuelle sont incontestables (3). Marshall et Pithers (1994) ont noté, avec beaucoup de justesse (4):

« Nous avons le devoir moral d’offrir des traitements à autant de clients que possible, compte tenu des conséquences désastreuses de la récidive pour des femmes et des enfants innocents. Comme les délinquants sexuels qui récidivent s’attaquent souvent à plus d’une victime, un seul traitement efficace peut éviter de grandes souffrances. » (p.23)

Ce qui a été fait en matière de traitement…

Le Québec a tenté, au cours des dernières années, de s’impliquer dans le traitement des agresseurs sexuels, tant par la formation de comités de travail que par l’adoption d’orientations en matière d’agression sexuelle. Les résultats de ces tentatives s’avèrent très décevants. Voici un bref aperçu des réalisations faites depuis les dix dernières années.

En décembre 1993, le ministère de la Santé et des Services sociaux du moment met sur pied le « Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel ». Ce groupe avait pour mandat de réfléchir sur la question des agressions sexuelles en vue de parvenir à une plus grande cohérence des choix, des actions, de l’organisation et de la coordination desservices en matière d’agressions sexuelles. Le rapport du groupe a été déposé en mai 1995. Il souhaitait que le Québec se dote d’orientations en matière de traitement et proposait la mise sur pied d’un comité d’orientation. Les recommandations de ce rapport ont été endossées par les cinq ministères concernés par cette problématique (Santé et des Services sociaux, Justice, Sécurité publique, Éducation, Secrétariat à la condition féminine) qui se sont tous engagés à faire le maximum pour répondre aux besoins identifiés.

En février 1996, sous l’instigation de plusieurs intervenants impliqués dans le traitement des agresseurs sexuels, le regroupement des intervenants en matière d’agression sexuelle (RIMAS) a été mis sur pied. Il a été créé de manière spontanée sans soutien financier d’aucune sorte, ni de l’État, ni d’organismes privés. Le regroupement est donc un organisme communautaire, sans but lucratif et géré par un conseil d’administration élu. Ce conseil est formé de sept intervenants issus des différents secteurs oeuvrant auprès de cette problématique, soit les secteurs hospitalier, universitaire, privé, jeunesse, communautaire, services correctionnels canadiens et québécois et d’une directrice générale.

Un concept novateur

Le RIMAS est donc un concept novateur et très prometteur dans l’amélioration du traitement des agresseurs sexuels. Il est issu des constats que faisaient les intervenants impliqués dans le suivi quotidien des agresseurs sexuels.

Ils remarquaient d’abord, selon les régions du Québec, le manque des ressources de prise en charge des agresseurs sexuels. Également, ils déploraient l’absence d’une vision nationale dans la mise en place de ressources adéquates sur l’ensemble du territoire québécois. Ils notaient aussi l’absence de mesures d’évaluation des impacts de programmes existants permettant de mieux identifier les pratiques efficaces. Finalement, les intervenants souhaitaient la mise en place de normes nationales et d’un système de formation continue pour ceux qui étaient impliqués dans le traitement. C’est donc dans le but de répondre aux besoins exprimés par le groupe de travail de 1993 et par les intervenants que le RIMAS a été constitué. Une partie de son mandat étant de fournir un lieu d’échanges pour les intervenants auprès des agresseurs sexuels et d’offrir des opportunités de formation continue afin d’assurer une meilleure mise à jour des connaissances dans un champ d’intervention qui est en constante évolution.

Le RIMAS oeuvre aussi à élaborer des guides généraux quant à la qualité de l’évaluation et du traitement des agresseurs sexuels, à fournir des avis sur les politiques en matière d’agression sexuelle concernant les agresseurs et à favoriser une vision intégrée et concertée de la prise en charge des agresseurs sexuels. Finalement, un autre mandat important du RIMAS est de promouvoir l’importance du traitement des agresseurs sexuels.

Peu d’actions concrètes

En décembre 1995, peu après la création du RIMAS, le gouvernement du Québec confiait au Comité interministériel de coordination en matière de violence conjugale et familiale le mandat d’assurer le suivi des recommandations du rapport Les agressions sexuelles : Stop. Le ministère de la Santé et des Services sociaux prenait donc l’engagement de coordonner l’élaboration des orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle. Un comité consultatif a donc été mis en place afin de faire reconnaître l’importance de ce problème et réduire son incidence et ses conséquences, tant pour les personnes qui en sont victimes que pour l’ensemble de la population. Le dépôt des orientations s’est fait en mars 2001. Plusieurs pistes d’intervention avaient été identifiées tant dans l’aide à donner aux victimes que dans le traitement aux agresseurs, mais aucune aide financière n’a été donnée au traitement des agresseurs.

En février 2002, monsieur le Sous-ministre Pierre Michaud (Santé et Services sociaux) demandait au président Jocelyn Aubut et à la directrice générale du regroupement des intervenants en matière d’agression sexuelle Josée Rioux de mettre sur pied un comité d’experts et de gestionnaires sur l’organisation des services aux agresseurs sexuels au Québec.

Ce comité d’experts avait pour objectif de faire l’inventaire des ressources existantes pour le traitement des agresseurs sexuels pour chaque région du Québec, incluant les pratiques mises de l’avant. Il devait aussi identifier clairement les corridors de services actuels entre les établissements et la situation souhaitable. Il avait aussi le mandat de proposer un modèle d’organisation de service pour le traitement des agresseurs sexuels, incluant la conception d’une structure de prise en charge, le renforcement de l’encadrement communautaire et le rehaussement de l’offre de service, tant pour la clientèle adulte que pour les agresseurs mineurs. Finalement, il s’est aussi intéressé à l’adaptation des services à la réalité autochtone.

Ce document, travaillé avec la collaboration d’experts de différents milieux concernés par le traitement des agresseurs sexuels, a été remis à madame la Sous-ministre Renée Lamontagne (Santé et Services sociaux) en janvier 2003. À ce jour, nous sommes toujours en attente d’une prise de position quant à ce document. La réécriture du document est terminée et celui-ci repose sur une tablette du ministère depuis ce temps, les auteurs du rapport n’ont pas été en mesure de prendre connaissance du nouveau document et d’évaluer les recommandations retenues.

Ces dix dernières années ont donc servi à bien documenter la problématique des agressions sexuelles et à mettre en évidence les lacunes du système pour traiter adéquatement les délinquants de toutes les régions du Québec. Peu d’actions concrètes ont été réalisées afin d’améliorer ces services aux agresseurs sexuels.

Si les services existent dans certaines régions, c’est grâce à des intervenants patients et persévérants engagés dans la protection de la société, je vous lève mon chapeau pour ce que vous faites et surtout continuez à croire en vos organisations, c’est la clé de notre réussite.


(1) Blanchette, K. (1996). Évaluation, traitement et risque de récidive des délinquants sexuels : analyse de la documentation, Ottawa : Service correctionnel du Canada.

(2) Williams, S. M. (1996b). Une stratégie nationale pour la gestion des délinquants sexuels. Forum - Recherche sur l’actualité correctionnelle, 8 (2), 33-35.

(3) West, D. J. (1991). The Effects of Sex Offences. In : Clive R. Hollin & Kevin Howells (Eds.), Clinical Approaches to Sex Offenders and their Victims. Wiley Series in Clinical Approaches to Criminal Behaviour (pp. 55-74). Chinchester, England : John Wiley & Sons.

(4) Marshall, W. L. & Pithers, W. D. (1994). A reconsideration of treatment outcome with sex offenders. Criminal Justice and Behavior, 21 (1), 10-27.