Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Jules Beaulac,
Prêtre

Un curé en prison

J’ai travaillé plusieurs années, une quinzaine en tout, comme aumônier catholique en milieu carcéral tant provincial que fédéral. Tout au long de ce ministère, j’ai tenu un journal que j’ai publié l’an dernier aux Éd. Novalis. Voici quelques convictions qui m’animaient en accomplissant ce travail pastoral très particulier et que j’ai consignées dans ce livre.

La personne est sacrée

Quand je rencontrais une personne incarcérée, je me disais toujours qu’il ne s’agissait pas d’un cas ni d’un numéro matricule, mais bien d’une personne. Peu importe ce qu’elle avait fait, ce qu’on disait d’elle, pour moi c’était un être humain que j’étais appelé à accueillir et à écouter de façon inconditionnelle, qui commandait mon respect et mon attention. Ma foi me disait en plus que c’était un enfant de Dieu comme tout le monde et que Jésus était mort et ressuscité pour elle comme pour toute personne. Dieu ne rejette personne, il est ouvert à tous.

La personne est unique

Il n’y a pas deux personnes exactement pareilles. C’est Pierre, Jean ou Louis qui entrent en contact avec moi. Ce n’est pas un dossier. C’est un être bien particulier, unique. De même qu’un médecin ne soigne pas seulement une maladie, mais surtout tel ou tel patient bien précis, de même je m’intéressais d’abord à la personne qui me rencontrait, à ce qu’elle portait de joies et de souffrances, de paix et de trouble, d’espoir et de désespoir. Il m’est toujours apparu important d’entretenir des rapports très personnalisés, c’està- dire le mieux ajustés possible au vécu, actuel et passé, de chacune des personnes incarcérées. Dans la Bible, Dieu appelle chaque personne par son nom, elle compte beaucoup pour lui et elle a du prix à ses yeux.

La personne ne se réduit pas à son délit

J’ai appris très tôt à distinguer entre le crime et le criminel. Si l’on peut et doit mesurer le délit à sa juste grandeur, on est appelé tout autant ne pas juger ni condamner le délinquant. Il l’a déjà été par la Cour, cela suffi t. Je n’ai pas, comme personne humaine ni comme prêtre, à l’enfermer dans une catégorie qui l’empêcherait de grandir. Dans l’Évangile, Jésus, s’il condamne le péché, ne condamne jamais le pécheur. Cet espace qu’il y a entre l’acte répréhensible et son auteur est le lieu de sa croissance personnelle. Il illumine sa vie de la lumière de l’espérance et constitue souvent le lieu de sa rencontre avec Dieu.

Aucune personne n’est totalement mauvaise

Il y a dans chaque personne du bon, du moins bon et du pas bon. Qui peut dire de lui ou d’un autre qu’il est totalement pur ou totalement impur ? Tout est question de dosage. Et, même dans la personne la pire, la plus récidiviste, la plus crapuleuse, la plus odieuse ou la plus rejetée à cause de ses crimes, il y a toujours un petit rayon de lumière quelque part. Il est souvent relié à une personne aimée ou aimante. Je demandais souvent à un détenu de me parler de sa mère ou de sa petite amie. Alors ses yeux s’illuminaient et le meilleur de lui-même apparaissait. C’est sur ce petit rayon d’espoir qu’il faut s’embarquer pour accompagner l’autre dans sa propre réhabilitation.

La personne incarcérée, c’est Jésus lui-même

Quand je rencontrais une personne incarcérée, j’avais la conviction profonde que je rencontrais Jésus luimême. Je me remémorais constamment la parole du Christ : « J’étais prisonnier et vous êtes venus me voir » et « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matthieu 25, 31-40) Ces paroles m’ont beaucoup aidé dans mon ministère et il m’est souvent arrivé de les répéter au détenu ou au prévenu qui venait causer avec moi dans mon bureau. Elles ouvraient souvent chez eux une porte d’espérance qu’ils s’empressaient de franchir. Ce fut un beau ministère. Pas toujours facile. Mais toujours exaltant et souvent gratifi ant. Ce rapport détenu-aumônier, cette relation pastorale, je crois bien que c’est l’exemple des vases communiquants qui le décrit le mieux. Car, en ce ministère, nul ne sait qui donne le plus à l’autre ou qui reçoit le plus de l'autre.