Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Propos recueillis par Marie-Andrée Proulx,
ASRSQ

Discipline, responsabilité et liberté : Le retour en communauté vu par un pédophile

Il occupe un emploi de caissier, emploi respectable qui ne le soumet pas à la tentation. Tous les jours, il mène sa petite vie et jase avec les gens du quartier où est située sa maison de transition. Dans le quartier, on sait bien que les gens qui habitent dans « cette maison-là n’ont pas un passé « ordinaire », mais lui, en somme, c’est un gaillard bien sympathique qui ne « mène pas de trouble » et à qui on envoie la main quand on le voit passer. Si on savait, serait-on aussi amical avec celui qui a été reconnu coupable d’agression sexuelle contre des mineurs ? Probablement pas…

C’était il y a dix ans. Vous ne trouverez pas ici les détails sordides de l’affaire, ni aucun renseignement qui pourrait permettre de l’identifier. Exit le fait divers Ce que j’ai cherché à savoir, c’est comment on revit après s’être permis l’impardonnable. Comment on se rebâtit sous le regard des autres, des intervenants, de sa famille et son propre dédain face à ce qu’on a fait.

Le regard des autres

Au début, je croyais que tout le monde savait que j’avais fait de la prison…C’est ce que j’ai trouvé le plus difficile dans mon retour en communauté, il y a trois ans.

On le sait, les agresseurs sexuels n’ont pas la cote dans nos discussions de salon. Combien de fois entend-ton quelqu’un dire que si l’agresseur était devant lui, il lui ferait vivre ce qu’il a infligé à ses victimes ou tout autre sort plus atroce ? Mon invité comprend la rage des gens envers les agresseurs, puisqu’il vit lui-même ce dédain face aux gestes qu’il a commis : Moi aussi quand j’entends ce genre de nouvelles, j’aurais envie de brasser le coupable.

«Il y a 15 ans, j’ai failli aller chercher de l’aide. Il y avait une thérapie près de chez moi, mais la peur d’être dénoncé m’a empêché d’y aller. À ce moment, je n’avais qu’une victime et il n’était pas trop tard.»

Le regard des autres prisonniers lui a été difficile au début, mais, à force de discuter avec eux, il dit avoir appris à les comprendre : Y’ à des gars qui sont là à vie et qui ont eu leurs enfants pendant qu’ils étaient en dedans… Ils ne peuvent pas être là pour eux, ils ne peuvent pas jouer avec eux et les protéger. Inquiets de ce qui pourrait arriver à leurs enfants, ils passent donc leur rage sur les pédophiles auxquels ils peuvent avoir accès, ceux du pen. Au pénitencier, mon invité a toujours refusé d’être mis en isolement pour sa propre protection. Il y a un bout où je me disais qu’on ne devrait pas mettre les agresseurs sexuels et détenus « ordinaires » dans le même pen. Je ne le pense plus aujourd’hui parce que ça force le délinquant sexuel à vivre avec ce qu’il a fait et à s’habituer au regard des autres.

Peines et récidive

Les peines sont-elles assez sévères ? Mon invité s’est montré partagé. Il aimerait avant tout plus d’uniformité dans les sentences : Tu as des agresseurs qui vont avoir des sentences de 10, 12, 15 ans, c’est beaucoup. Certains profs, eux, qui étaient en position d’autorité, ont parfois un 6 mois avec sursis. Pis c’est pas des petits délits.

Au moment où il commettait ses abus, une longue peine n’était pas pour lui un argument de dissuasion : Si quelqu’un recevait une grosse peine, je me disais : Regarde donc, y’en a un qui s’est fait pogner, il est pas chanceux… Moi, je ne me ferai pas pogner. Et si ça arrive, le jeu en vaut la chandelle. C’est incroyable comme ce n’est pas vrai, mais c’est comme cela que je pensais avant.

Pour aborder un changement de comportement et travailler assez sur soi pour comprendre le mal qu’on a fait, mon invité considère qu’il faut entre trois à six ans de réflexion. Pourquoi trois ans? Parce qu’avec trois ans, le détenu purge une peine fédérale et il pourra avoir accès à un encadrement et une programmation adaptée. Il nous rappelle ainsi l’importance d’avoir accès à une thérapie et d’avoir devant soi suffisamment de temps pour s’engager dans une démarche de changement.

La prévention

Comment prévenir les crimes contre les enfants ? Mon invité appelle à la vigilance des citoyens, à de simples actions préventives : Il y a toujours des gens qui remarquent, mais qui ne disent rien. Par exemple, si une personne s’aperçoit que quelqu’un tourne en rond, qu’il passe son temps à regarder les jeunes jouer au hockey dans la rue… Y’ a rien de bien intéressant à regarder des enfants que tu connais pas jouer au hockey dans la rue, pour un adulte normal. Tu es en droit de te poser des questions sur cette personne-là. Pas besoin d’appeler la police. Juste à dire au gars : « Je te regarde aller et je trouve ça bizarre. » Le gars sera peut-être frustré, mais il ne reviendra pas. Et si c’est comme ça partout où il va, c’est encore mieux.

Il pose aussi un défi de taille face aux obligations des thérapeutes et de ceux qui aimeraient aller chercher de l’aide avant qu’il ne soit trop tard : J’ai failli aller chercher de l’aide au moins 15 ans avant d’être arrêté, quand je venais de commencer. J’avais entendu parlé qu’il y avait une thérapie (près de chez moi) pour les agresseurs sexuels. Cependant, j’avais déjà pris des cours de droit et je savais que les thérapeutes étaient obligés de me dénoncer. C’est ce qui m’a empêché d’y aller. À ce moment, je n’avais qu’une victime et il n’était pas trop tard.

Soi, les autres et la thérapie

Au bout de dix ans de thérapie, surtout en groupe, il devient parfois frustrant de se retrouver en présence d’individus qui ne sont pas au même niveau d’évolution face à leur problème : Certains qui sortaient n’avaient rien acquis durant leur thérapie et tu savais qu’ils allaient revenir. Des fois, tu avais envie d’en brasser d’autres et de leur dire : Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis… Quand est-ce que tu vas comprendre?

Les multiples « logues » rencontrés lors de son séjour au pénitencier lui ont parfois laissé un goût amer, une certaine méfiance. Pour lui, ces derniers représentaient l’autorité carcérale et il faisait attention à ce qu’il leur disait de peur que l’information recueillie se retourne contre lui. La principale critique qu’il leur adresse est le manque de détails, selon lui, mis dans les dossiers à la suite de tests standardisés. Parfois, je trouvais que les tests ne me correspondaient pas et ça me fâchait, surtout quand on nous présentait des fantasmes sadiques envers les enfants. Parce que je m’étais mis en colère, la mention « réaction avec violence » inscrite dans mon dossier me suivait partout dès que j’avais un nouvel intervenant, et, chaque fois, on pensait que j’avais des fantasmes de violence, mais ce n’était pas vrai.

Avec les agents n’ayant pas fait des études pour analyser ses faits et gestes, il se disait plus amical, car il sentait que c’était une relation « d’être humain à être humain. » Il préfère aussi le suivi en maison de transition : Le suivi y est plus individuel. Les intervenants ont moins de cas et c’est plus intime.

Quand la famille va, tout va

À part un frère, tous les autres membres de la famille de mon invité ne lui parlent plus.

Pourtant, selon lui, le réseau est d’une importance capitale : J’en ai vu qui avaient leur famille derrière eux et ils s’en sortaient plus facilement. C’est pour cette raison qu’il espère se recréer éventuellement une nouvelle famille, avec des membres qu’il aura choisis : Les amis que je trouve aujourd’hui, c’est pour la personne que je suis devenu. C’est pas pour celui d’il y a dix ans. Celui-là a perdu ses amis et il a mérité de les perdre… mais celui d’aujourd’hui il va bien et il mérite d’en avoir. Je veux me faire des amis, mais je ne suis pas intéressé à ce que le système s’en empare et fasse des enquêtes sur eux. Le système n’a pas à leur dire : « êtes-vous conscient de ce qu’il a fait hier ? » Pas : « savez-vous qu’il a fait cela, mais qu’il a travaillé ceci, qu’il a fait ses thérapies, qu’il a évolué, qu’il a fait tout ce qu’il fallait et qu’il va bien. » Lorsque je serai en liberté et que je pourrai l’annoncer moi-même, je pourrai expliquer par où je suis passé.

Toujours sous alerte

C’est en soi une nouvelle vie qui nous attend lors du retour. Une vie qui ne sera jamais plus pareille, alliant discipline, responsabilité et liberté : Je me fais des routines et des itinéraires afin d’éviter les endroits où il y des enfants. Je ne regarde pas d’émission ou de films où les enfants sont en vedette. C’est le genre de discipline que j’ai l’intention de m’imposer lorsque ma sentence sera complètement terminée. Je travaille pour moi. Je suis mon meilleur surveillant. Je suis le seul qui sait ce qu’il y dans ma tête.

Guérit-on de la déviance sexuelle ou apprend-on à vivre avec ? Peut-on un jour dire, c’est fini, c’est derrière moi… Le jour où tu dis que tu es guéri, que tu ne le feras plus jamais, ça c’est le jour où tu devrais te poser le plus de questions. L’agression sexuelle, tu traînes cela toute ta vie. J’ai été moi-même agressé quand j’étais jeune. J’ai des peurs dans la vie qui viennent de cela. J’ai un manque de confiance en moi qui vient de cela. Je me méfie des gens, ça vient de cela. Il vient un point où tu n’as plus le choix. Il faut que tu en sois conscient. Si tu te débarrasses de ce que tu as fait, aussi bien te débarrasser de ce qui t’est arrivé. Mais je ne veux pas me débarrasser de ce qui m’est arrivé parce que ça m’aide à avancer. Je vais vivre avec et je l’accepte. Je me dis à moi-même : je sais par où tu es passé, je suis conscient du travail que tu as fait, je suis conscient d’où tu es rendu, mais ne recommence pas par exemple, parce que je ne te le pardonnerai pas. Si je n’ai pas compris là, aussi bien me pendre tout de suite, parce que je ne comprendrai jamais...