Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Propos recueillis par Marie-Andrée Proulx,
ASRSQ

Femmes agresseurs sexuelles : Un conflit d’identité entre la femme et la mère

Difficile de faire des généralisations et de créer des outils d’intervention en ce qui concerne les abus sexuels perpétrés par les femmes. Monique Tardif, professeure et chercheuse à l’Université du Québec à Montréal, en sait quelque chose. En effet, en raison du petit nombre de sujets rencontrés dans les cliniques de traitement, les études statistiques ou démarches scientifiques sont plus difficiles. Néanmoins, son expérience en clinique externe au Centre de Psychiatrie légale de Montréal, affilié à l’Institut Philippe Pinel, où elle et ses collègues ont pu rencontrer un certain nombre de patientes, lui permet de dégager certaines conclusions qu’elles ont publiées dans le dernier numéro du Child abuse and neglect. (1)

Ayant un désir de relation fusionnelle avec leur partenaire, les agresseurs féminins se montrent parfois prêtes à le satisfaire à tout prix, à réaliser ses fantasmes et à participer à l’abus de jeunes.

Différence entre la délinquance des femmes et celle des hommes

On ne retrouve pas, chez les femmes, de cas de viol sur des victimes adultes et inconnues de l’agresseure comme chez les hommes. Rarement, on rencontrera une femme ayant un profil de prédateur, qui fait la tournée des parcs à la recherche de ses prochaines victimes. Madame Tardif, avoue, elle, n’avoir jamais rencontré de ces cas en clinique.
Ce qui particularise l’abus des femmes est l’âge de leurs victimes, mais surtout le fait que ces dernières leur sont connues et sous leur responsabilité. Ceci étant dit, deux profils majeurs se présentent généralement en clinique de traitement. Celles qui abusent des adolescents ou préadolescents et celles qui agressent des enfants de six ans et moins, généralement les leurs. Comme nous le savons, beaucoup d’abus perpétrés par les hommes le sont aussi sur des enfants sur lesquels ils sont en position d’autorité. Les enjeux et les motivations soulevés par ces abus ne sont cependant pas les mêmes, comme nous le verrons.

Des sentiments ambivalents envers l’enfant

Dans le cas d’abus de ses propres enfants, beaucoup plus courants, la femme présente souvent une histoire de sentiments ambivalents envers ceux-ci. Premièrement, plusieurs de ces femmes ont vécu des situations d’abus chroniques durant l’enfance et reprochent à leur propre mère de ne pas avoir été une bonne mère, soit par manque de protection ou par mauvais traitements. L’enfant devient alors le lien qui leur permet de se prouver qu’elles peuvent être de « bonnes » mères. À cet égard, elles font souvent preuve d’une extrême rigidité envers l’enfant lorsqu’il a des comportements considérés comme normaux par plusieurs (comme l’agitation ou l’insubordination) parce que ces gestes viennent perturber l’étiquette qu’elles aimeraient se donner de « bonne » mère. Elles peuvent alors entrer dans une rage disproportionnée et c’est souvent dans moments que les abus surviennent.

De par les abus subis durant l’enfance, beaucoup de ces femmes ont un passé où la sexualité devient une monnaie d’échange, une manière de s’assurer une certaine sécurité par la séduction. Cette logique de séduction contre protection et attention devient même pour certaines une notion de survie. Spécifions qu’elles ont pour beaucoup une figure paternelle absente ou déficiente et angoissent à l’idée d’être abandonnée. Celles dont le père est parti durant leur enfance reprochent souvent ce départ à leur mère, qui n’aurait pas su le retenir. Par peur de l’abandon et de répéter le parcours de leur mère, elles peuvent ainsi montrer le désir d’une relation fusionnelle avec leur partenaire et être prêtes à tout pour le satisfaire. Lorsque l’enfant se présente, il est souvent perçu comme un obstacle à la relation avec le père. Si ce dernier part, elles diront que l’enfant en est responsable. S’il est un bon père, qu’il reste et s’occupe de l’enfant, une rivalité entre la mère et l’enfant peut se créer. L’enjeu devient alors l’attention du père.

La victimisation des adolescent(e)s par les femmes : Contrôle et séduction

La victimisation des adolescent(e)s se produit généralement dans deux contextes. Premièrement, on la rencontre dans une situation de contacts réguliers avec un adulte en position d’autorité (teacher lovers). L’autre situation la plus fréquente est l’abus en compagnie d’un partenaire. Ayant un désir de relation fusionnelle avec leur partenaire, les agresseurs féminins se montrent parfois prêtes à le satisfaire à tout prix, à réaliser ses fantasmes et à participer à l’abus de jeunes, habituellement des adolescent(e)s. Les femmes ont-elles seulement un rôle passif avec leurs victimes ? Attention, nous dit l’étude, car parmi les femmes qui abusaient leurs propres adolescent(e)s avec leur partenaire, seulement une d’entre elles n’abusait pas son propre enfant en l’absence de son conjoint. L’hypothèse avancée pour expliquer cette situation est que la femme tente, par ces abus, de regagner le rôle dominant et de cesser d’être une victime.

La colère comme justification

De manière générale, en thérapie, les femmes reconnaissent davantage la notion d’agressivité de leurs actes que celle liée à l’excitation sexuelle. La plupart se justifient en effet, par la colère envers l’enfant. Il est cependant difficile, dans l’état actuel de la connaissance, de savoir si c’est parce que cette excitation n’est pas présente ou si c’est parce qu’elles sont réticentes à la dévoiler, à cause des tabous actuels concernant la sexualité des femmes.

Le procès de sa mère

L’identité sexuelle des femmes repose en grande partie sur l’intégration d’une identité maternelle, c’est-à-dire, la capacité à assumer des fonctions parentales. La perception négative de ces femmes qui ont été dénigrées ou abusées dans leur propre famille ne leur permet pas de s’identifier à leur mère sous un jour très positif. Plusieurs perçoivent que leur mère a été une mauvaise mère et ce, pour différentes raisons. Les perturbations de la relation mère-enfants dans la majorité des cas étudiés, permettent de croire à l’importance de ce facteur dans la perpétration d’acte de violence sexuelle par les femmes. Les observations cliniques ont d’ailleurs démontré la profonde difficulté de ces femmes à prendre soin des autres. De plus, 92% des sujets avaient un lien maternel avec leurs victimes (fille, fils, neveu ou nièce) et l’environnement familial de la moitié des sujets de l’étude ne présentait pas un milieu normal pour le développement d’une identité féminine, car les relations y étaient déterminées par la domination et le contrôle.

Bref, on rencontre la plupart du temps chez ces femmes un conflit entre l’identité de mère et celle de femme. Elles veulent être de bonnes mères, mais n’ont pas nécessairement les compétences parentales pour l’être. De plus, leur désir de séduire, afin de s’approprier un contrôle et d’éviter l’abandon les laisse dans un dilemme de taille, surtout si on considère qu’elles recherchent habituellement, malgré elles, des relations fusionnelles et dysfonctionnelles qui ont l’avantage de leur procurer un sentiment de sécurité, du moins, pour un court laps de temps.

Limites à la préparation d’outils d’intervention auprès des femmes

Lorsqu’on parle de l’étude des femmes agresseures sexuelles, on manque de connaissances approfondies parce qu’il n’y a pas beaucoup de cas en clinique. Par exemple, la dernière étude présentée par madame Tardif et ses collègues, après 10 ans de consultation en clinique externe, présentait 13 femmes adultes et 15 adolescentes. De plus, l’occurrence d’abus par les femmes est plus difficile à évaluer, car les mythes et les préjugés (par exemple, celui de l’initiation chez les jeunes adolescents mâles) concernant ces offenses ont un impact sur la dénonciation de ces dernières et sur la perception qu’on a de leur gravité.

Une autre difficulté est les caractéristiques mêmes des femmes abuseures. Ayant de la difficulté à admettre la notion d’excitation sexuelle, ces dernières révèlent rarement des fantasmes… On ne sait pas si c’est parce qu’elles n’ont pas ce genre de pensées ou si c’est parce qu’elles sont réticentes à l’avouer. Aussi, étant donné le petit nombre, il est impossible de faire des thérapies de groupes comme avec les hommes. Les femmes ont donc peu de relations avec des semblables, ce qui créerait un contexte où il serait plus facile d’admettre la dimension sexuelle du délit.

Finalement, les femmes reçoivent plus souvent des obligations de se faire traiter plutôt que des sentences où elles ont des comptes à rendre pendant une plus longue période de temps. Une fois le traitement terminé, on les perd de vue. C’est pour cette raison que nous bénéficions de peu de données sur la récidive. D’ailleurs, les femmes sont habituellement référées par la D.P.J. qui n’a pas de banques de données aussi étoffées que la C.N.L.C.

Piste d’intervention pour les intervenants

Les femmes amènent souvent leur propre victimisation comme prédominante, mais ce n’est pas nécessairement la chose à travailler à fond dans une thérapie. Selon madame Tardif, cette manière d’aborder l’abus a une nature défensive pour l’accusée. On devrait davantage se concentrer sur le sens du délit dans la relation qu’a la contrevenante avec la victime et comprendre quels sont les malaises ou enjeux que suscite ce comportement. Étant donné que la plupart des sujets proviennent d’un milieu familial déficient, il est aussi primordial de travailler avec elles les compétences parentales, étant donné que plusieurs en sont démunies. Un programme de traitement des agresseures féminines devrait donc couvrir ce volet. La troisième sphère à travailler en réhabilitation est celle de l’insertion sociale et professionnelle, car plusieurs de ces femmes vivent des situations précaires. Elles ont en effet peu ou pas de réseau de soutien et la plupart vivent d’un emploi peu rémunérateur ou de l’aide de l’État.

Tendances

Les pistes d’intervention dégagées par l’expérience clinique présentée dans cette étude permettent d’identifier des moments cruciaux où les abus seraient perpétrés par les femmes. Ces moments critiques seraient : La grossesse et la naissance, les expressions de dépendance ou d’indépendance du jeune enfant, la séparation du conjoint, et la perception de l’adolescent comme un rival. La prochaine grille d’étude de madame Tardif et ses collègues devrait d’ailleurs inclure ces moments dans l’évaluation des cas. Un autre phénomène à surveiller est la consommation de pornographie par les femmes agresseures. Présentement, elle est surtout centrée sur les femmes ayant un complice masculin. Cependant, la nouvelle tendance est, autant chez les adolescents que chez les adolescentes, à un accroissement de consommation de la pornographie, ce qui aura peut-être un effet sur la nature des délits.

Le vent tourne et les mentalités changent dans les cours de justice et dans la société, car les dénonciations et les condamnations sont à la hausse. On peut donc prévoir éventuellement une prise en charge plus importante des contrevenantes par le système. À ce moment, les études, ayant plus de cas à analyser et les statistiques de récidive seront plus accessibles.


(1) Tardif, M., Auclair, N., Jacob, M., & Carpentier, J. (2005). Sexual abuse perpetrated by adult and juvenile females : an ultimate attempt to resolve a conflict associated with maternal identity.Child Abuse & Neglect, 29, 153-167