Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Benoît St-Jean ,
Sexologue clinicien et coordonnateur au CRIPHASE

Les hommes abusés sexuellement durant leur enfance : Une réalité!

Depuis plusieurs années, différents organismes, centres familiaux et institutions travaillent avec des survivants d’abus sexuels. Dans les médias, les abus sexuels sont d’actualité. L’image véhiculée est que les victimes sont des femmes ou des enfants. Le public oublie que certains de ces enfants sont de sexe masculin. Les impacts sur la vie des hommes abusés sexuellement dans leur enfance sont passés sous silence. Dans cet article, un bref portait de la situation au Québec, un survol des conséquences au plan sexuel, physique, psychologique et affectif, ainsi que les services offerts seront présentés.

Situation au Québec

Selon diverses recherches, 16% (1/6) des garçons subiraient des agressions à caractère sexuel dans leur enfance et/ou leur adolescence. Au Québec, comme ailleurs, il s’agit là d’une problématique sociale en émergence. Il faut mentionner que cette statistique n’est que la pointe de l’iceberg. Une grande majorité d’abus sexuels ne seront jamais dénoncés à cause des tabous, secrets, menaces et/ou sexe de l’abuseur (si l’abuseur est une femme, l’abus pourrait être perçu par le garçon comme une initiation/rite de passage). L’abus sexuel dans l’enfance ou l’adolescence englobe tout contact ou comportements à caractère sexuel qu’un adulte pose sur un enfant. Ces gestes peuvent être imposés avec violence, agressivité ou douceur, mais toujours sous le contrôle et le pouvoir de l’abuseur. Aucun enfant ne peut comprendre et donner un consentement éclairé sur tous gestes posés sur lui par un adulte. Toute personne qui subit un abus sexuel est une victime. Ce ne sont pas les gestes posés qui détermineront l’ampleur de la gravité des abus, mais les conséquences qu’ils ont pour le survivant. L’abus sexuel est toujours un abus émotionnel, souvent physique, auquel se rattache un abus affectif causant des impacts sur les plans social et spirituel. Le survivant est blessé dans son intimité, son identité et ses appartenances familiales et sociales.

Les victimes se sentent souvent trahies par leur corps, car l’excitation sexuelle, qui est une réponse normale aux stimuli physiques, entre en conflit avec les sentiments ressentis lors de l’abus.

Les conséquences sur la sexualité

En premier lieu, il est essentiel d’aborder les stéréotypes et préjugés entourant les rôles sexuels masculins. Notre société s’attend des hommes qu’ils soient autonomes, forts, en contrôle de leur vie, qu’ils n’aient pas besoin des autres pour se défendre et pour passer à travers diverses situations. Ce stéréotype va à l’encontre de l’expérience vécue par les survivants masculins. Le survivant incorpore cette prémisse voulant qu’il ait dû régler ses difficultés seul et se défendre contre son agresseur. Cette perception renforce et accentue le secret et l’isolement. Les stéréotypes de genre touchent également directement l’identité sexuelle et l’orientation sexuelle de la victime. Ces dernières sont déjà fortement ébranlées pour le survivant du fait que beaucoup d’entre eux ont été abusés par un homme. Ainsi, les victimes masculines projettent leur identité d’homme mûr sur les souvenirs des abus en oubliant qu’ils étaient à l’époque des enfants et ils se considèrent coupables de ne pas avoir pu empêcher l’agresseur. Concernant leur identité masculine, des survivants ont un sentiment d’imperfection et d’impuissance en tant qu’hommes. Les idées rigides sur les rôles sexuels basées sur des impressions inexactes sont responsables d’une partie des souffrances existentielles des survivants. De plus, ne comprenant pas ce qui est arrivé durant les abus, certains survivants ont tendance à se référer à l’excitation physique et à l’orgasme avec l’abuseur pour identifier leur orientation et leur préférence sexuelle. Ainsi, ils identifient les abus sexuels comme un épisode homosexuel plutôt que comme un traitement abusif.

Concernant les comportements sexuels de la victime, plusieurs tangentes peuvent exister. Étant donné que l’enfant n’a pas la maturité émotionnelle, intellectuelle et sociale pour se positionner et comprendre l’expérience sexuelle, les abus peuvent créer des comportements qui s’avéreront dysfonctionnels à l’âge adulte. Les premiers contacts sexuels de tout individu façonneront sa perception et ses comportements à vie. Ainsi, certains survivants se réfugieront dans des comportements reproduisant l’abus. En effet, l’association problématique de l’usage du pouvoir, le non-consentement et parfois la violence peut être des stimulants érotiques ou fantasmatiques. Certains survivants élaboreront des fantasmes et des rituels masturbatoires reproduisant l’expérience d’abus. Certains seront excités par des activités sexuelles qui font intervenir agression, violence ou exploitation. Un survivant hésitera à parler de sa sexualité due à la honte et la culpabilité. De plus, certains survivants s’adonnent à des comportements sexuels obsessionnels, des activités sexuelles anonymes ou des masturbations compulsives. La honte et les remords sont amplifiés après s’être adonné à ces activités. Pour certains survivants, l’obsession sexuelle remplace l’intimité sexuelle. D’autres survivants s’efforcent de répondre à leur inconfort devant la sexualité en évitant tous contacts sexuels ou intimes.

Plusieurs survivants ne sont pas conscients que leurs comportements sexuels ont été façonnés par l’abus. Certains pensent qu’ils sont inadaptés, bizarres ou anormaux relativement à la nature de leurs désirs sexuels et la façon dont ils vivent leur sexualité. À noter qu’il est faux de croire qu’un homme ayant été abusé sexuellement dans son enfance reproduira systématiquement les mêmes comportements et abusera à son tour. C’est un mythe et il impératif de prendre en considération la source des statistiques qui tente de démontrer cette corrélation.

Conséquences sur le plan physique

Plusieurs symptômes physiques peuvent être observés chez l’enfant et chez le survivant adulte. Les enfants n’ont souvent pas les moyens de mentionner ce qui leur arrive. Il est possible qu’ils ne soient pas crus par les adultes ou que ces derniers refusent de dénoncer l’agresseur. Plusieurs symptômes physiques peuvent être observés chez un enfant abusé. Il est possible de remarquer : cauchemars répétitifs, troubles du sommeil, énurésie, douleurs physiques, etc. De plus, il est possible qu’il ait des douleurs somatiques dont aucune cause organique n’est apparente.

À l’adolescence et à l’âge adulte, l’image corporelle peut être affectée, ainsi le survivant peut ressentir dégoût ou haine pour son corps. Le manque d’hygiène ou une négligence des besoins physiques peuvent alors être observés. Les victimes se sentent souvent trahies par leur corps, car l’excitation sexuelle, qui est une réponse normale aux stimuli physiques, entre en conflit avec les sentiments ressentis lors de l’abus. Des comportements autodestructeurs peuvent alors être observés : pratiques sexuelles à risques, alcoolisme, toxicomanie, idées suicidaires, tentatives de suicide, problèmes avec la justice, jeu compulsif, imprudences lors de la conduite automobile, laisser-aller des responsabilités financières, etc.

Conséquences sur le plan psychologique et affectif

Plusieurs distorsions cognitives et émotionnelles seront présentes chez les victimes masculines. La honte, la culpabilité et l’isolement prédominent. Il est important de rappeler que les survivants projettent leurs valeurs et jugements d’adulte sur une situation qui est survenue étant enfant. Plusieurs vont tenter de nier, de refouler et d’oublier non seulement les événements, mais les impacts et les répercussions sur leur vie. Le tout viendra indéniablement les hanter par les « flash-back », cauchemars, difficulté de sommeil, etc. Les hommes en général n’ont pas appris à exprimer leurs sentiments et émotions à cause des standards et stéréotypes de genre. Il est encore plus difficile pour certains survivants de les identifier. N’étant pas en contact avec leurs colère, peur, angoisse, culpabilité et honte, ces émotions finissent par être vécues comme de la rage ou de la colère. Ces dernières sont plus acceptables pour un homme que de vivre de la vulnérabilité. Même les sentiments de bonheur et de plaisir peuvent être perçus comme impossibles et parfois malsains, car l’accessibilité aux émotions positives libère aussi les négatives. Étant habitués à se couper de toutes émotions, le bonheur et le bien-être deviennent anxiogènes. Ainsi, certains vivront toute leur vie comme victime, alors que d’autres tenteront, avec agressivité, d’incarner « les durs à cuire ». Enfin, certains auront des difficultés à respecter leurs limites et leur espace vital.

Les services offerts

Le stéréotype généralement accepté suggérant que l’homme soit abuseur et non victime affecte les services pour les survivants. Il est déjà difficile d’organiser des services pour les hommes, alors quand il est question d’abus sexuel, c’est pire. Le Centre de Ressources et d’Intervention pour Hommes Abusés Sexuellement dans leur Enfance (CRIPHASE) leur vient en aide. L’organisme communautaire offre la possibilité aux hommes adultes, autant francophones qu’anglophones, sans égard à l’orientation sexuelle, de s’inscrire à des démarches de groupe et de participer à diverses activités. Le CRIPHASE permet à ces hommes de sortir de leur silence et de leur isolement, de les aider à mieux comprendre ce qu’ils ont vécu et de trouver les moyens de se libérer des souffrances qui alourdissent leur vie. Différents services de groupes sont offerts pour les survivants, ainsi que pour leur conjointe/conjoint. Enfin, il faut se rappeler que les mythes, les préjugés, les rôles et les stéréotypes de genre, le secret, la famille, la pression sociale, la santé tant psychologique qu’émotionnelle et la situation financière sont des éléments d’un lourd fardeau que les hommes abusés durant l’enfance peuvent rencontrer. Pour ces raisons, plusieurs survivants garderont le secret durant une partie, sinon toute leur vie.