Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Jean-François Cusson ASRSQ,
ASRSQ

Après plus de 20 ans à l'ASRSQ Johanne Vallée accepte de relever de nouveaux défis

Le 23 juin dernier, Johanne Vallée nous annonçait offi ciellement qu’elle quittait l’ASRSQ. Elle venait d’accepter le poste de sous-ministre associée à la Direction générale des services correctionnels du Québec. Sur l’étage occupé par les bureaux de l’ASRSQ, l’émotion était palpable. On ressentait un mélange de grande fi erté pour cette importante nomination et une tristesse à la constatation que nous perdions toute une collègue de travail.

Avec toutes ces émotions et le brouhaha qu’entraînait son départ, c’est au retour des vacances que nous avons vraiment réalisé que Johanne n’était pas simplement partie pour quelques semaines. Il fallait se rendre à l’évidence que nous devions maintenant aller vers de nouveaux défis.

Cette nomination a, pour elle aussi, été un choc. Elle considère ce changement comme quelque chose de très stimulant, mais au moment de cette entrevue (une semaine après le début de ses nouvelles fonctions), elle tentait plutôt de se faire à l’idée qu’elle quittait le milieu communautaire. Malgré qu’elle reconnaisse que, sur le plan professionnel, elle était, peut-être, rendue à cette étape, elle avoue ne pas encore comprendre ce qui l’a mené au poste de sous-ministre associée.

Ce sont les bénévoles qui m’ont appris que les citoyens peuvent, par leur énergie et leur engagement, faire la différence.

Johanne Vallée reconnaît que cette décision a été des plus déchirantes d’autant plus qu’elle ne s’était jamais vraiment fixé d’objectifs de carrière précis. Même si pour plusieurs, il était évident, qu’un jour, elle occuperait ce genre de poste, il m’était difficile d’imaginer l’ASRSQ sans elle. Et bien honnêtement, étant donné le rôle critique que l’association joue à l’endroit des services correctionnels du Québec (financement, prison privée, virages correctionnels, rapport Corbo…), je m’attendais à tout sauf à ce qu’elle se retrouve à la tête de cette organisation. Compte tenu du rôle que j’ai toujours joué à l’ASRSQ par rapport aux dossiers des SCQ, la décision n’a pas été facile. Ce qui m’a poussé à accepter c’est qu’après 18 ans à avoir eu comme mandat de questionner et de critiquer les services correctionnels, j’avais l’opportunité d’aller voir de plus près ce qui s’y passait et de mettre à profi t mon expérience et mes connaissances.

Ses nouvelles fonctions l’amèneront à s’assurer que les actions des SCQ sont cohérentes avec la mission qu’ils se donnent. En plus de veiller au respect des orientations ministérielles, elle devra aussi s’assurer de la bonne gestion des budgets. Celle qui a toujours su défendre avec brio l’apport du communautaire, tout en reconnaissant le rôle important du gouvernement, souligne qu’elle se sent présentement en mode d’observation et d’apprentissage. Comment faire face à tous les défi s qui se présentent ?

Je vais continuer à vivre 24 heures à la fois. Je ne mets pas l’obligation d’avoir des réponses à toutes mes questions tout de suite. Je me rends maintenant compte combien mon mandat est vaste. Je dois prendre le temps de connaître les gens et les différents dossiers. C’est certain qu’il y en a que je connais, mais pour d’autres, je dois partir à zéro.

Il est toujours préoccupant de changer d’environnement de travail et de rencontrer de nouveaux collègues. Comment sera accueillie une personne qui a, au fi l des ans, souvent décrié les incohérences du système correctionnel québécois ? La perception des gens avec qui je vais avoir à travailler me préoccupe tout comme celle de mes anciens collègues qui me voient changer de camp. Cependant, ça ne m’obsède pas. Il y a toujours eu des perceptions sur mon travail.

Avec la nomination de quelqu’un qui provient du milieu communautaire, certains pourraient être amenés à penser qu’enfi n certaines difficultés seront réglées. Je suis consciente qu’il y en a qui ont beaucoup d’attentes, mais je ne me mets pas cette pression-là. J’y vais avec mes ressources personnelles et avec celle qu’on va me donner. Les gens doivent être réalistes. Il n’y a pas plus d’argent au Québec parce que je fais maintenant partie des services correctionnels. Le budget des SCQ n’a pas changé, les défi s sont toujours les mêmes. Avec sa nouvelle équipe de travail, Johanne Vallée espère être en mesure de favoriser le même esprit de collaboration qu’elle a connue au sein de l’ASRSQ.

Que d’événements

Au cours de sa carrière à l’ASRSQ, elle avoue avoir été marquée par de nombreux événements. Les moments les plus diffi ciles qu’elle avoue avoir connus ont été les crises internes rencontrées avec les membres de l’association. Elle se rappelle également de la construction du pénitencier de Joliette. Je me souviens avoir été ébranlée par cette décision parce qu’on avait eu tellement de rencontres avec les détenues à Tanguay... Toutes les raisons étaient là pour justifi er une construction dans la région de Montréal. Le dossier de Conrad Brossard a aussi été un événement marquant. Avec cet événement, il a été possible de voir combien le réseau est vulnérable. On a aussi vu la détresse humaine et le côté le plus sombre de la réinsertion sociale. En plus de l’impact pour les victimes et les proches, j’ai aussi vu des intervenants pleurer. On se rend alors compte que l’échec nous guette tout le temps et que les conséquences peuvent alors être très lourdes.

Comme gestionnaire, c’est dans ces moments de crise qu’elle admet avoir réalisé les plus grands apprentissages. Évidemment, elle n’a pas connu que des événements diffi ciles. Comme moment de réjouissance, elle rappelle la récente annonce du gouvernement qui laissait tomber le projet d’une prison privée. Au-delà des événements, ce sont des personnes qu’elle a côtoyées qu’elle garde le meilleur souvenir. Elle souligne avoir été touchée par plusieurs bénévoles. Ce sont eux qui m’ont appris que les citoyens peuvent, par leur énergie et leur engagement, faire la différence.

Et quels défis pour l’ASRSQ?

En examinant l’évolution de l’ASRSQ, Johanne Vallée remarque que l’association est devenue une organisation incontournable au Québec, et ce, surtout auprès de ses interlocuteurs gouvernementaux. Cependant, elle constate qu’il lui reste à se rapprocher encore plus des citoyens et à être encore plus présent dans les débats publics. L’idée n’est pas de faire la « une » des journaux à tout moment, mais d’apporter un point de vue crédible en mettant en valeur l’expérience et l’expertise du réseau communautaire.

L’évaluation de l’apport socio-économique du réseau communautaire de l’ASRSQ est un défi qu’elle n’aura pu compléter, mais elle aimerait bien que son successeur reprenne ce dossier. Dans un contexte où les organismes composent avec une clientèle peu intéressante pour bien des gens, les organismes devront de plus en plus démontrer l’importance de leur contribution.

Un meilleur financement

Johanne Vallée rappelle que les SCQ ont un rôle important à jouer et qu’ils ont toujours été sous financés. C’est pourquoi elle souhaite devenir une voie crédible et entendue. Les membres du gouvernement doivent comprendre l’importance du service correctionnel et de tous ses différents partenaires. Ils doivent réaliser la nécessité de les fi nancer à leur juste valeur pour qu’ils puissent s’acquitter convenablement de leur rôle.

Pour faire face à ces nouvelles fonctions, elle se sent bien outillée. À l’ASRSQ, elle a appris à composer avec un réseau dans lequel on ne retrouvait pas toujours de consensus. J’ai eu à faire des arbitrages et j’imagine que j’aurai encore à jouer ce rôle. Je crois aussi avoir su développerla capacité de mettre les bonnes personnes ensemble, de bien saisir les personnes qui pouvaient être complémentaires. Je souhaite être en mesure d’amener les valeurs qui m’ont toujours animé.

À l’ASRSQ, Johanne Vallée a toujours eu la préoccupation de rester la plus proche possible des gens qui travaillent sur le terrain. Est-ce qu’il lui sera possible de continuer à travailler de cette façon dans un aussi gros ministère ? Je suis quand même réaliste. À l’ASRSQ, je n’ai jamais été capable de visiter tout le réseau. En plus, c’est bien connu, il y a toujours des changements de personnel et il faut toujours s’ajuster. Je vais essayer de rester proche du terrain parce que c’est ça qui permet de rester collé sur la mission fondamentale de l’organisation.

Un grand vide

S’il n’est pas facile pour elle de quitter le réseau communautaire, il est tout aussi difficile pour ses collaborateurs de voir partir celle qui a oeuvré plus de 18 ans à la direction générale de l’ASRSQ. Côtoyer Johanne au quotidien a toujours été un immense privilège. Pour ma part, elle m’a considérablement aidé à progresser, autant sur le plan personnel et professionnel. Elle a toujours su s’intéresser à ceux qu’elle côtoie et elle possède la capacité de bien mettre en valeur les gens de son entourage. Offrant toujours de judicieux conseils, elle n’a jamais hésité à défendre la cause de la réinsertion sociale. Même dans les situations les plus délicates, elle s’avère une interlocutrice sérieuse et crédible.

À cause du rôle de leader qu’elle a su jouer au sein de l’ASRSQ, son départ laisse un grand vide. Cependant, avec un conseil d’administration aussi effi cace et un réseau de membres qui s’impliquent de plus en plus, l’ASRSQ est bien positionné pour répondre aux défi s que son départ suscite. Ce qu’elle souhaite pour l’ASRSQ ? J’espère juste une chose, c’est que les gens ne lâchent pas le morceau et qu’ils continuent de défendre les valeurs de l’association. La personne qui me remplacera devra accepter de prendre le bâton du pèlerin. Nous ne travaillons pas toujours dans des conditions idéales et il faut beaucoup de persévérance. Les différents services correctionnels ne peuvent pas arriver à affronter seul, tous les défis. La communauté doit continuer à prendre la place qui lui revient.