Revue Porte Ouverte

Démystifier la santé mentale et la criminalité

Par Marie-Joëlle Côté ,
Association canadienne pour la santé mentale- Saguenay

et Lise Lantagne ,
Association canadienne pour la santé mentale- Saguenay

En chemin vers la réhabilitation, une alternative à l’incarcération

Dans le district judiciaire de Saguenay, depuis bon nombre d’années déjà, les intervenants en justice avaient remarqué la présence récurrente devant les tribunaux d’hommes et de femmes aux prises avec une problématique de santé mentale associée à des problèmes de toxicomanie et à risque de désaffiliation sociale. Ces personnes vulnérables se retrouvaient régulièrement incarcérées pour des crimes commis en lien avec leurs problématiques.

Historique du programme

Ayant la préoccupation de sortir ces personnes du cycle de la criminalité et voyant que les moyens en place ne le permettaient pas, les intervenants en justice se sont questionnés sur les meilleures solutions à envisager pour éviter la récidive. Le constat fut que cette clientèle vulnérable, manquant de ressources, a besoin davantage d’encadrement et de soins que d’une privation de liberté. La Cour municipale de Montréal et la région Laurentides-Lanaudière avaient déjà mis en place depuis quelques années un programme d’accompagnement justice-santé mentale et les résultats préliminaires étaient vraiment intéressants. La direction de la Cour du Québec a donc encouragé les autres régions à reproduire ce type de projet chez eux. Ainsi, le juge coordonnateur du Saguenay-Lac-Saint-Jean fut le promoteur de ce programme dans la région, proposant une alternative à l’incarcération pour sortir ces personnes vulnérables du cercle vicieux qui les ramène sans cesse devant les tribunaux.

 Participants et objectifs du programme

Pour intégrer le programme PAJ-SM, la personne doit avoir commis un délit dans le district judiciaire de Chicoutimi, présenter des indicateurs d’une problématique en santé mentale diagnostiquée ou non, incluant la concomitance (déficience intellectuelle, trouble du spectre de l’autisme, délinquance, dépendance, itinérance, violence, etc.). Ces personnes doivent être criminellement responsables et aptes à subir leur procès. Elles doivent avoir commis des infractions admissibles selon l’évaluation du procureur de la couronne. Le lien entre l’infraction commise et la problématique de santé mentale doit être significatif. Surtout, le participant doit être volontaire à prendre part au programme et démontrer qu’il s’investit réellement dans différents objectifs de rétablissement (plan d’action) qui seront établis en fonction de ses besoins et de ses capacités, de ses intérêts et de ses limitations.

 

Il s’agit d’amener la personne à se mettre en action pour sortir elle-même du cycle de la criminalité et de ce fait, de développer son autonomie. L’objectif du programme est d’éviter le recours à l’emprisonnement des personnes présentant des troubles de santé mentale en favorisant l’encadrement et le suivi dans la communauté. Il s’agit d’offrir un encadrement plus complet. Les deux professionnelles en santé mentale-justice de l’Association canadienne pour la santé mentale-Saguenay élaborent des plans d’action personnalisés pour chaque personne inscrite au programme. L’approche multidisciplinaire fait en sorte que le participant bénéficie d’un soutien adapté et continu provenant de différents milieux en fonction de ses problématiques. Bref, les ressources s’arriment aux besoins de l’individu afin de réduire les risques de récidive tout en gardant comme priorité la protection du public.


Particularités du tribunal du PAJ-SM

Lorsque le participant se présente au tribunal dans le cadre du suivi de son plan d’action, le déroulement est différent de ce que l’on voit habituellement au tribunal régulier. Par exemple, même si les avocats sont présents, le participant répond directement aux questions du juge et nomme lui-même où il en est dans son cheminement, tant au niveau des difficultés que des réussites. Cela a pour effet de susciter chez le participant le sentiment d’être partie prenante du processus judiciaire. La personne qui participe au PAJ-SM est encouragée par les divers intervenants au dossier à démontrer son engagement par rapport à son plan d’action et son implication dans son processus de rétablissement.

 

Un des avantages de ce programme est que les acteurs impliqués au plan judiciaire comprennent davantage les symptômes et problématiques associés aux diagnostics des participants que dans le cas du tribunal régulier. Il est plus facile pour eux de comprendre la réalité des personnes vivant avec des troubles de santé mentale et d’où viennent certaines de leurs difficultés. Parallèlement, les intervenants du milieu de la santé impliqués dans le dossier du participant ont une meilleure compréhension du processus judiciaire. C’est l’occasion de faire le pont entre le système de justice, celui de la santé et du communautaire, puisque les intervenants de chaque milieu interagissent autour de la personne impliquée dans le processus. Cela permet l’accès à plus d’informations et une meilleure compréhension du contexte.


Rôle de l’ACSM-Saguenay et des intervenants impliqués

Ce pont entre la justice et la santé, c’est l’Association canadienne pour la santé mentale-Saguenay qui en est responsable. Organisme communautaire bien implanté dans sa région depuis 1966, l’ACSM-Saguenay a la particularité d’avoir deux expertises en un même lieu. Plusieurs associations canadiennes pour la santé mentale existent au Canada, et ce depuis 100 ans cette année, mais la filiale Saguenay est vraiment unique, car elle se démarque par des services spécialisés autant en santé mentale qu’en intervention auprès d’une clientèle judiciarisée. Le fait d’avoir des équipes de travail spécialisées sur place dans ces deux domaines crée un contexte propice pour la coordination d’un projet comme celui du PAJ-SM.

 

Comme la personne qui participe au PAJ-SM est au cœur du processus, les intervenants impliqués s’adaptent à ses besoins pour la mettre en action. Quand une équipe est déjà autour de la personne, on évalue ce qui a déjà été fait et ce qui peut être fait différemment pour supporter la personne dans son processus de rétablissement. Par exemple dans le cas d’une problématique de consommation, on envoie la personne en thérapie au début du processus. La personne revient ensuite au PAJ-SM avec l’accès à des ressources et des services autour d’elle.

 

Plus concrètement, la professionnelle en santé mentale justice va faire le contact entre les ressources locales du milieu et le participant. Son rôle est de créer et maintenir le lien avec les intervenants de divers organismes qui offrent des services pouvant accompagner le participant dans son cheminement.

 

La collaboration entre les partenaires et la confiance de ceux-ci envers le programme PAJ-SM est telle que dans certains services où la personne contrevenante avait été interdite d’accès auparavant pour divers motifs, une autre chance lui est accordée dans le contexte du programme, tout cela en respectant les règles et fonctionnements des organismes partenaires bien entendu.

 

Finalité du programme

À l’issue du programme d’une durée approximative de 6 à 18 mois, différentes avenues peuvent être envisagées allant de l’arrêt des procédures à l’imposition de peines non privatives de liberté, dans le cas où l’accusé complète le processus avec succès et démontre son engagement tout au long du programme. Pour ce faire, la personne doit participer, contribuer et communiquer de façon transparente tout en se maintenant dans l’action. Le dialogue entre les différentes parties prenantes du processus, le participant, les intervenants des ressources et du PAJ-SM, doit être constant et ouvert. L’objectif est que la personne puisse enfin briser le cycle de la criminalité et se réhabiliter en s’ancrant dans sa communauté.

Il faut souligner qu’il s’agit avant tout d’une participation volontaire et non imposée. Malgré que la motivation au départ est extrinsèque (pour éviter l’incarcération ou sortir de prison), au fur et à mesure que le participant s’implique dans le processus, on voit apparaître sa motivation intrinsèque, moteur de changement. Dans certains cas cependant, si la personne n’est pas volontaire à parcourir le chemin proposé par les intervenants, même si cette avenue est fortement encouragée par ceux-ci, rien ne peut être imposé. Sans sa collaboration, le participant doit reprendre la voie traditionnelle de la justice. Rappelons également qu’une des priorités des organismes et intervenants impliqués au PAJ-SM est d’assurer la protection du public.

  

Des résultats significatifs

Comme nous n’avons pas encore atteint les deux années d’existence du programme, nous pourrions nous attendre à ce que les résultats soient peu nombreux à l’heure actuelle. Pourtant, les résultats préliminaires sont impressionnants. Les premiers participants à avoir intégré le PAJ-SM l’ont fait à partir du printemps 2017, rappelons que la durée de la participation au PAJ-SM est de 6 à 18 mois tandis que le programme en est à environ 20 mois d’existence.

 

Depuis le début, 107 dossiers ont été soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales, de ces dossiers, 96 ont été admis et 77 ont été évalués par les professionnelles santé mentale-justice de l’ACSM-Saguenay. 

 

Présentement, 39 personnes sont en cheminement dans le programme, que ce soit en suivi actif, en attente de suivi ou en attente d’évaluation. À l’heure actuelle, 14 participants ont terminé le programme avec succès et trois sont en voie de le faire sous peu. Les acteurs judiciaires et autres intervenants impliqués dans le programme peuvent se targuer d’avoir influencé positivement le cours de la vie de ces 17 personnes qui ont réussi à atteindre les objectifs du programme. ▪