Revue Porte Ouverte

Démystifier la santé mentale et la criminalité

Par Me Marie Chouinard-Audet,
Avocate carcéraliste - Martel Savard & associés avocats inc.

Santé mentale et incarcération

Les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale représentent une partie  importante de la population carcérale du Québec et du Canada. Contrairement à la croyance populaire, des individus atteints de problèmes de santé mentale se retrouvent souvent dans des établissements carcéraux, bien que parfois un diagnostic précis soit déjà posé. Autrement dit, cela ne les exclut pas automatiquement du système judiciaire.

Relativement à cette situation, divers questionnements s’imposent. Est-ce que l’incarcération est la bonne solution afin de réduire le risque de récidive et protéger la société à long terme? Les établissements de détention favorisent-ils réellement la réinsertion sociale des personnes criminalisées ayant des problèmes de santé mentale? Le traitement des personnes incarcérées doit-il être le même pour celles ayant des problèmes de santé mentale? Les ressources en réinsertion sociale sont-elles adaptées pour intégrer et travailler avec ces personnes vulnérables? Voilà quelques questions auxquelles nous tenterons d’apporter certaines réflexions.

En vertu de l’article 16 du Code criminel la responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.1 Ainsi, en droit criminel, le fait de souffrir d’un trouble mental ne rend pas systématiquement une personne inapte à subir son procès et ne l’exempte pas automatiquement de sa responsabilité criminelle. C’est un examen judiciaire et psychiatrique qui détermine si un trouble mental exempte une personne de sa responsabilité criminelle.

D’un point de vue médical, l’Association des médecins psychiatre du Québec définit la maladie mentale de la façon suivante : « une maladie mentale est un ensemble de dérèglements au niveau des pensées, des émotions et/ou du comportement qui reflètent un trouble biologique, psychologique ou développemental des fonctions mentales. Une maladie mentale entraîne nécessairement une détresse pour l’individu et/ou une difficulté au travail ou dans les relations sociales.»2

Alors du côté médical on reconnait de manière tangible que la maladie mentale entraîne nécessairement une détresse pour l’individu, du côté juridique un diagnostic à lui seul n’est pas suffisant pour que l’on parle de non responsabilité criminelle. Ce faisant, bien des individus aux prises avec un problème de santé mentale, lequel est souvent étroitement lié à la criminalité, se retrouvent dans les établissements carcéraux.

En comparant la définition scientifique de la santé mentale à l’analyse qu’en fait le système judiciaire canadien on comprend alors que certains individus ayant des problèmes de santé mentale passeront dans l’appareil judiciaire sans même que la question quant à leur responsabilité criminelle n’ait été posée. La maladie mentale peut donc altérer le jugement d’une personne et l’empêcher de bien fonctionner en société sans pour autant la rendre incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de savoir qu’il était mauvais, au sens du Code criminel.

Du moment où le contrevenant est déclaré criminellement responsable, qu’il enregistre un plaidoyer de culpabilité ou qu’il est reconnu coupable d’un geste pour lequel une sentence d’incarcération est prévue ou donnée, il est à ce moment incarcéré dans un établissement de détention provincial ou fédéral, selon la durée de la sentence reçue.

Une fois que les contrevenants ayant des problèmes de santé mentale sont incarcérés, ils reçoivent alors un traitement similaire à tout autre personne incarcérée. Pourtant, leur capacité de compréhension et d’adaptation en est tout autre. En effet, les délinquants souffrant de troubles mentaux sont davantage victimes de violence et d’intimidation, placés en isolement préventif, classés à un niveau de sécurité plus élevé, incapables de terminer les programmes correctionnels et mis en liberté plus tard au cours de leur peine. Dans ce contexte,3 la préparation d’un projet de sortie structurée et pertinent au regard du risque de récidive devient un défi de taille.

De plus, il est malheureux de constater également que dans bien des cas, certains individus ne se reconnaissent tout simplement pas de problème de santé mentale et refusent catégoriquement tout traitement ou aide pouvant être apportés. Une telle situation complexifie davantage le passage dans l’appareil judiciaire et dans le système correctionnel. Il devient alors bien difficile de penser au succès d’une réinsertion sociale, à la diminution du risque de récidive et à la protection de la société à long terme.

Plusieurs éléments nous amènent à penser que les établissements carcéraux ne sont pas toujours bien adaptés ou outillés pour traiter les dossiers des individus atteints de problèmes de santé mentale. Cela est d’autant plus vrai pour les établissements provinciaux puisque les sentences qui y sont purgées sont plus courtes, laissant ainsi peu de temps pour s’attarder aux dossiers nécessitant plus d’attention.

D’une part, l’accès aux spécialistes de la santé pouvant poser un diagnostic précis et par le fait même prescrire une médication adaptée est complexe et parfois impossible. Cette situation est d’autant plus fréquente lorsque la personne incarcérée a peu ou pas de ressources à l’extérieur pouvant la soutenir financièrement. Dans ce dernier cas, la personne n’a tout simplement pas les moyens financiers pour obtenir ce type d’évaluation à l’extérieur du système de santé public. À la fin de la période d’incarcération, ces individus se retrouvent bien souvent dans la même position qu’ils étaient à leur entrée en détention. Le risque de récidive demeure alors bien présent.

En terme de chiffre, on remarque que le nombre de psychiatres travaillant dans les établissements de détention est limité par rapport au nombre de personnes incarcérées pouvant bénéficier d’un suivi psychiatrique. Notamment, certains établissements de détention dont les soins de santé sont sous la responsabilité du ministère de la Sécurité publique, ne disposent d’aucun psychiatre ayant une présence fixe au cours de l’année, c’est-à-dire les établissements de détention de Roberval, Sept-Îles et Sorel-Tracy. 4

Dans d’autres cas, bien qu’une personne ait reçu un diagnostic précis, ou qu’une médication lui ait été prescrite, c’est la régularité dans la prise de ladite médication qui est affectée. Par exemple, les différents transferts d’Établissement de détention peuvent provoquer un manque de régularité faisant en sorte qu’une personne peut se voir privée de sa médication pendant quelques jours, provoquant alors différents symptômes physiques et psychologiques de sevrage.

D’autre part, l’incarcération en soit peut avoir un effet néfaste sur la santé mentale. Plus précisément, les conditions physiques liées à l’incarcération telles que la privation, l’isolement et la séparation de la famille peuvent nuire à la santé mentale. De plus, les Établissements sont souvent bondés, austères, bruyants, dénudés de lumière naturelle, etc. Ces conditions ne favorisent pas le traitement et la réadaptation.5

 

Un autre obstacle encouru par les personnes incarcérées souffrant de problèmes de santé mentale est le fait qu’elles rencontreront plus de difficultés que d’autres personnes dans le cadre d’une demande de libération conditionnelle.  Pourtant, ces individus sont souvent ceux qui bénéficieraient le plus d’une libération conditionnelle puisque leur criminalité est souvent étroitement reliée à leur état de santé mentale. Un bon suivi jumelé à un encadrement et à une médication adéquate peut alors s’avérer être la clé du succès pour mener à terme une réinsertion sociale.

 

En effet, il devient souvent difficile d’obtenir une libération anticipée, c’est-à-dire avant la date de libération probable laquelle survient au deux tiers de la peine, lorsqu’une personne reconnaissant avoir des difficultés sur le plan psychologique ou psychiatrique n’a peu ou pas d’explication à apporter relativement au lien entre son état de santé mentale et sa criminalité.

 

En conclusion, l’objectif de la Commission québécoise des libérations conditionnelles et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada est de favoriser la réinsertion sociale tout en mettant de l’avant la protection du public. Cependant, Les personnes incarcérées aux prises lavec des problèmes de santé mentale sont plus vulnérables et nécessitent plus d’encadrement. En les accompagnant davantage et en favorisant l’accès aux spécialistes de la santé, nous croyons que cela aurait comme impact de diminuer le risque de récidive. Lorsqu’une telle personne est remise en liberté au terme de sa sentence, sans suivi, aide ni encadrement, elle se retrouve dans la même position qu’elle était avant d’entrer en détention.

Dans un tel contexte, favorisons-nous réellement la protection de la société à long terme? ▪

1. Code Criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, article 16 

2. Association des médecins psychiatre du Québec. (2019). Qu’est-ce qu’une maladie mentale? Repéré à https://ampq.org/info-maladie/...

3. Zinger, Ivan. (2012). La santé mentale dans le système correctionnel fédéral. Repéré à http://www.oci-bec.gc.ca/cnt/c...

4. Ministère de la sécurité publique, direction générale des affaires ministérielles, Québec, réponse à une demande d’accès à l’information, 25 janvier 2019.

5. Sapers, Howard. (2011). Santé mentale et système correctionnel. Repéré à http://www.oci-bec.gc.ca/cnt/c...