Revue Porte Ouverte

Les dépendances

Par Emilie Altimas,
ASRSQ

La rue, un chemin tracé d'avance?

Christian Levac est diplômé de l'Université de Montréal en anthropologie. Il travaille depuis plus de 10 ans comme intervenant social dans le milieu communautaire auprès des jeunes de la rue. Il complète actuellement une maîtrise en service social. Quant à France Labelle, elle est depuis plus de 20 ans, actrice de premier plan dans le milieu communautaire auprès des personnes en difficultés et des sans-abri. Elle est cofondatrice et directrice générale du Refuge des jeunes de Montréal. En 2002, elle a reçu le prix Robert-Sauvé pour souligner sa contribution à la promotion des droits des plus démunis.

La préface de l'auteur-compositeur-interprète Dan Bigras, qui est le porte-parole du Refuge des jeunes de Montréal depuis plus de 20 ans, amène dès le départ un ton de réflexion sur notre comportement comme société envers les jeunes vivants dans la rue : « Il est plus facile de préjuger que de se laisser toucher. Surtout quand cette façon de faire est encouragée par certains représentants du développement économique, au détriment du minimum d'humanité auquel chacun a droit ». Dans l'esprit de vouloir redonner le pouvoir sur leur vie à ces jeunes « sans visage », comme il les appelle, « ce livre leur donne enfin leur propre parole... et un visage ».

Christian Levac a voulu pousser plus loin sa recherche en allant directement sur le terrain. Pour les besoins de sa recherche, mais aussi par nécessité dans son cheminement personnel, il a vécu la même vie que ces jeunes de la rue durant 14 mois, loin du cadre protecteur de son organisme, pour essayer de comprendre leur réalité et les points de rupture dans leur parcours, qui les ont amenés à vivre dans la rue. « Ayant toujours cru, comme intervenant, à la nécessaire distance dans ma rencontre avec l'autre, je me suis tourné peu à peu vers une plus grande proximité. En leur ouvrant ainsi mon cœur, j'ai pu les rencontrer dans leur authenticité ».

La parole des jeunes est au centre de l'ouvrage. C'est probablement ce qui distingue l'ouvrage d'autres, où c'est plutôt la vision du chercheur, bricolée à partir d'informations recueillies sur le terrain. Ici, les témoignages sont rapportés textuellement et sans censure. Le langage employé par les jeunes reflète la réalité difficile à saisir. L'auteur ne fait que mettre un fil conducteur entre les témoignages, question de les mettre en forme, mais sans être contraignant ou encore sans tomber dans le jugement ou la nuance des propos recueillis. « Je souhaitais avoir la possibilité de sortir de la logique des discours standardisés – en lien avec l'insertion obligatoire – et de m'éloigner du cadre et des limites de l'intervention dans un hébergement temporaire ».

L'ouvrage décrit, par les témoignages, la notion de recherche de famille mais aussi la solitude ressentie et la fuite de la réalité. Dans la rue, au moins, ils sont en « gang ». Seuls, ils se retrouvent face au vide, ce vide bien souvent trop douloureux. L'appartement devient comme une prison pour eux. Alors, ils préfèrent rester dehors, malgré les difficultés que ça amène. « Ils y tissent des relations de nécessité pour éviter leur propre solitude ». Les liens créés sont régis par un instinct de survie et sont bien souvent à caractère économique.

Loin de tomber dans le mélodramatique, le livre est plutôt un constat des réalités de la rue, vu par différents individus, à travers leurs témoignages et est le point culminant des recherches de l'auteur mais aussi d'une expérience de vie riche en émotions, qui à ses dires, lui a aussi permis d'évoluer dans son propre cheminement en tant qu'être humain.

Publié aux Éditions Hurtubise en septembre 2009, tous les revenus de la vente de ce livre seront intégralement reversés au Refuge des jeunes de Montréal.