Revue Porte Ouverte

Les dépendances

Par Emilie Altimas,
ASRSQ

TAPAJ : Combattre l'exclusion par le travail, l'écoute et la référence

Spectre de rue Inc. est un organisme communautaire bien implanté dans son milieu, qui œuvre depuis 1990. Son mandat est d'intervenir dans le centre-ville de Montréal pour prévenir et réduire la propagation d'infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), auprès des personnes itinérantes ou marginalisées habitant, travaillant ou transitant sur le territoire. Le site fixe procède à l'échange de matériel (seringues, matériel d'inhalation, etc.), distribue des condoms et fait aussi de l'intervention et de la prévention des ITSS. Le centre de jour est un lieu d'accueil qui reçoit des gens qui, pour la plupart, sont dans la rue depuis longtemps. Ils prennent un « break » de la rue pour briser l'isolement et entamer des démarches personnelles. Le travail de milieu a été mis en place pour faire un pont entre la population avoisinante et l'organisme. Ils font, entre autres, le ramassage de seringues usagées dans le voisinage et tentent de sensibiliser la population aux réalités de ces personnes pour favoriser leur cohabitation.

Le programme TAPAJ (travail alternatif payé à la journée) est né d'une initiative de Spectre de rue Inc., suite à l'étude Le squeegeeing au centre-ville de Montréal : Perceptions et réalités, que l'organisme a réalisée en collaboration avec le Service des sports, des loisirs et du développement social de la Ville de Montréal. La création d'alternatives à la judiciarisation de ces jeunes qui pratiquent des métiers de la rue, considérés par la loi comme illégaux, était nécessaire. Le programme s'adresse aux 16-30 ans et vise à donner une alternative aux métiers de la rue. « C'est un dépannage économique, on met les jeunes en action et on travaille avec eux pour améliorer leurs conditions de vie et éviter qu'ils aient à pratiquer les métiers de la rue pour arriver à la fin du mois », explique Robert Beaudry, coordonnateur au programme TAPAJ depuis trois ans.

La création d'alternatives à la judiciarisation de ces jeunes qui pratiquent des métiers de la rue, considérés par la loi comme illégaux, était nécessaire.

Avec le temps, TAPAJ a évolué pour devenir un programme de « pré-préemployabilité », pour préparer les jeunes vivant une grande précarité, à intégrer soit le marché de l'emploi, soit un programme de préemployabilité, soit un programme de formation. « Il peut devenir un tremplin, selon la volonté de la personne, à une amélioration considérable de ses conditions de vie », souligne M. Beaudry.

Pour être admissible au programme TAPAJ, le participant doit être âgée de 16 ans et plus, vivre de grandes difficultés sociales et personnelles et présenter au moins une des problématiques suivantes : toxicomanie, sans domicile fixe, pratiquer les métiers de la rue, vivre dans une grande précarité.

La mise en action se fait en trois étapes

Étape 1 

Elle ne demande pas d'engagement de la part du participant. Les participants s'inscrivent de façon ponctuelle, en téléphonant à l'organisme. Les activités ont lieu de la fin mai à la mi-octobre. Environ 200 jeunes y participent chaque année. Les plateaux de travail varient entre deux et trois heures et les participants sont payés à la fin de la journée de travail, pour un maximum de 200 $ par mois. Ils peuvent demeurer à cette étape sur une période maximale de 20 participations par année. Par contre, il est possible qu'un participant y demeure sur une longue période, compte tenu de la complexité des difficultés vécues (plus d'une année).

Étape 2

Il y a un engagement de la part du participant. Il doit faire une réflexion et entreprendre des démarches concernant sa situation personnelle et professionnelle. Avec l'aide d'un intervenant de suivi, il va se fixer des objectifs réalistes. Des rencontres périodiques s'ensuivent au besoin, lors du parcours qui s'échelonne sur 12 mois. L'organisme offre des contrats de manière plus soutenue, en partenariat avec des entreprises privées, pour leur permettre d'aller chercher une véritable expérience de travail et commencer à se bâtir un CV. Les plateaux de travail varient entre 3 h et 7 h. Le participant est payé comptant le vendredi de la semaine travaillée, pour un maximum de 200 $ par mois. « Si tout se passe bien, on demande aux employeurs de faire une lettre de recommandation au participant », souligne Robert Beaudry. Durant ce temps, le participant travaille avec l'intervenant de suivi, aux différentes sphères de sa vie : logement, hygiène de vie, santé, consommation. Environ vingt-cinq jeunes participent à cette étape.

Étape 3

Elle sert d'abord à éviter l'échec. C'est du cas par cas, selon les besoins de chacun. C'est un suivi dans les démarches relatives à la situation sociale du participant, qui a généralement intégré un emploi ou un programme de formation. Il pourra être dirigé vers des ressources susceptibles de répondre à ses besoins, qui pourront le soutenir dans ses démarches.

Travail proposé et partenaires

L'an passé, l'organisme a obtenu 30 000 $ de contrats. « Le gros défi à TAPAJ, c'est de trouver les contrats. C'est une forme d'autofinancement et c'est une offre de service pour nos jeunes. La société de développement social de Ville-Marie, qui a été formée pour faire du maillage entre le communautaire et le privé nous a franchement aidée, en nous trouvant quatre contrats, dont deux à l'ÉTS, qui fonctionnent très bien », précise le coordonnateur, principal responsable du démarchage des contrats pour TAPAJ.

Il existe deux volets aux plateaux de travail. Le premier volet (vert) se situe dans l'implication environnementale et communautaire, qui permet aux participants de réaliser diverses actions de revitalisation de l'espace urbain (horticulture, ramassage de déchets, assainissement de ruelle, etc.). L'organisme a un partenariat avec un fermier biologique dans la région de Lanaudière. En travaillant à la ferme, les participants ont l'occasion d'explorer les différentes aptitudes nécessaires à l'exploitation d'une terre.

Le volet corporatif, quant à lui, permet aux travailleurs journaliers de développer plusieurs aptitudes afin d'entreprendre un processus de réinsertion vers le marché du travail. Parmi les contrats récurrents, on retrouve les services Ultramar, la CSN et l'ÉTS. Dans les contrats ponctuels, quelques partenaires : Tandem Ville-Marie (réalisation de murales artistiques), éco-quartier, Marché Public Frontenac, etc.

« À l'étape 1 et 2, on essaie le plus possible d'offrir des plateaux de travail qui ne demandent aucune expérience, qui s'apprennent vite et qui ne demandent pas de formation, pour faire en sorte que tout le monde puisse participer », souligne Robert Beaudry.

Limites et pouvoir du communautaire

À TAPAJ, les limites sont là où les jeunes les fixent et où s'arrête notre expertise. Il faut connaître ces limites pour pouvoir diriger les individus ailleurs, quand on les a atteintes », affirme M. Beaudry. Parmi ses constats, il note une augmentation des cas de problématiques de santé mentale, des individus non diagnostiqués et non médicamentés, ainsi qu'un changement du type de consommation. « Le réseau communautaire a besoin d'acteurs institutionnels afin d'obtenir, entres autres, des expertises poussées, des informations concernant les traitements appropriés (curatif), etc. Le réseau communautaire a une action plus locale, régionale, mais pour des actions qui sont de niveau provincial ou fédéral, c'est un peu plus compliqué. »

L'efficacité et la pertinence de ce programme ne sont plus à prouver, si on en juge par la création de programmes semblables dans d'autres organismes communautaires reconnus. Il aide réellement à atténuer les problèmes avec la justice en diminuant la pratique des métiers de la rue et en favorisant la compétence des jeunes, à atténuer les situations de crise par la mise en action, l'écoute, la référence et finalement, à briser leur isolement en leur offrant la possibilité de se développer un réseau social. Par le travail et le lien développé avec les intervenants du programme, les jeunes ont la chance de développer leur confiance en eux et envers les autres par leur implication dans la communauté.