Cet article est paru dans le bulletin semestriel RISQ-INFO, vol. 18 no 1, février 2010.
Au Canada, les drogues illicites, et souvent même la toxicomanie, ont depuis longtemps été considérées comme des problèmes qui doivent être approchés selon une perspective de justice pénale. La toxicomanie constitue donc un thème qui est régulièrement discuté dans les tribunaux canadiens : le contrevenant est-il réellement une personne souffrant d'un problème de dépendance? Son crime est-il relié à sa toxicomanie? Le traitement de la toxicomanie constituerait-il une alternative efficace à une peine de détention ou de probation? Cet intérêt pour la toxicomanie de la part des tribunaux canadiens a récemment donné lieu à l'instauration de tribunaux spécialisés pour toxicomanes.
Les tribunaux spécialisés pour toxicomanes ne constituent pas des programmes de traitement en soi, mais ils jouent plutôt un rôle de renvoi très actif vers des centres d'aide spécialisés. Ces tribunaux ne sont pas nouveaux puisque des expériences isolées ont eu lieu à Chicago et à New York au début des années 1950. Ces tribunaux, sous l'appellation de « Drug courts », constituent une façon de procéder qui s'est généralisée aux États-Unis, puis ailleurs dans le monde, depuis la fin des années 1980. Les juges et les procureurs qui y travaillent sont sensibilisés au phénomène de la toxicomanie et ont habituellement reçu une formation, ou du moins de l'information sur les drogues et ses méfaits possibles. L'objectif de ces tribunaux spécialisés vise à permettre au système de justice et aux agences de traitement de travailler de concert afin d'exercer un pouvoir coercitif sur les contrevenants de façon à favoriser leur persistance en traitement et leur abstinence face aux drogues illicites. Malgré le fait que de plus en plus de centres de traitement pour personnes dépendantes acceptent officiellement une philosophie de réduction des méfaits, il est extrêmement rare que des tribunaux spécialisés dirigent les justiciables vers des centres de traitement offrant une vision de la réduction des méfaits face à l'usage de drogues (Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT), 2007).
Ces tribunaux ciblent généralement des toxicomanes qui en sont à leurs premiers démêlés avec la justice pour des crimes de nature non violente; en somme, des personnes qui ne recevraient généralement pas une sentence de prison au Québec. Le juge invite ces personnes à recevoir une aide appropriée de la part de centres de réadaptation en échange du retrait des poursuites judiciaires ou d'une réduction de peine. Toutefois, les contrevenants qui acceptent de participer à un tribunal spécialisé en toxicomanie seront appelés à rendre compte de leur cheminement face à leur toxicomanie beaucoup plus fréquemment et longtemps qu'ils ne l'auraient fait s'ils avaient suivi le processus judiciaire normal (CCLAT, 2007; Fischer, 2002; Tremblay, 1999). Dans ce processus de suivi, le juge prend généralement une part active en revêtant le rôle d'un agent renforçateur ou punitif (application d'une peine d'incarcération, poursuite de la thérapie, élargissement de l'individu, ou autres) (Belenko, 2001).
Aux États-Unis, les taux de rétention enregistrés par la clientèle référée par ces tribunaux spécialisés s'élèvent entre 48 % et 70 % (auprès des jeunes contrevenants) (James et Sawka, 2002), ce qui s'avère très positif. Les contrevenants qui complètent un programme de traitement offert par un service associé à un tribunal spécialisé présentent généralement, lors des suivis, de plus faibles risques de récidives et moins de journées d'incarcération que des personnes au profil comparable n'ayant pas bénéficié des mêmes services (Belenko, 2001; Wilson, Micthell et MacKenzie, 2006). Toutefois, la situation semble différente au Canada puisque les tribunaux spécialisés de Toronto et de Vancouver affichaient des taux respectifs de rétention de 16 % et 17 % (CCLAT, 2007; Glicksman et coll., 2004; Orbis Partners Inc., 2005).
Les contrevenants qui acceptent de participer à un tribunal spécialisé en toxicomanie seront appelés à rendre compte de leur cheminement face à leur toxicomanie beaucoup plus fréquemment et longtemps qu'ils ne l'auraient fait s'ils avaient suivi le processus judiciaire normal.
Peu d'études répertoriées s'intéressent aux conséquences qui guettent le toxicomane dans les cas d'abandon du traitement, mais on peut croire que l'emprisonnement constitue une conséquence dans bien des cas; c'est du moins ce que laisse croire le juge qui tente d'influencer le contrevenant à persister dans sa démarche thérapeutique. On croit généralement que ces tribunaux ont un plus grand impact chez les jeunes toxicomanes qui se sont initiés récemment à la délinquance en réponse à leur besoin de drogue, ou à l'autre extrémité du continuum, chez les contrevenants plus âgés qui sont confrontés à un parcours toxicomane long et difficile (Schneeberger et Brochu, 2000).
Les tribunaux spécialisés en toxicomanie ont fait leur entrée au Canada en 1998. Si on se fie à la volonté du gouvernement fédéral actuel, ces tribunaux seront appelés à prendre de l'expansion au cours des prochaines années.
Le Service d'évaluation au tribunal
Au Québec, bien qu'aucun tribunal spécialisé en traitement de la toxicomanie n'ait encore été implanté, certaines initiatives ont été développées en regard des personnes toxicomanes aux prises avec des problèmes légaux. Ainsi, le Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances offre depuis 2007 un service d'évaluation au tribunal pour les personnes en attente de procès au Palais de justice de Montréal, et ce, tout au long de la démarche. Ce service permet de détecter si ces personnes présentent des problèmes de toxicomanie et s'il y a des risques pour leur santé associés à cette condition. Le juge dispose ainsi d'informations lui permettant de tenir compte des problèmes possibles de toxicomanie de ces personnes au moment de prendre sa décision et d'explorer la possibilité de mesures alternatives telles que la recommandation d'un traitement. Par ailleurs, un projet de collaboration entre le Tribunal de la jeunesse, le Pavillon Foster et le Centre Batshaw est en voie d'élaboration afin d'offrir aux parents de jeunes dont la sécurité est menacée la possibilité d'être évalués en ce qui concerne la présence d'une toxicomanie. Éventuellement, ces parents pourront recevoir un traitement accompagné d'un encadrement régulier de la part de la Cour et des centres de réadaptation impliqués.
Au Centre de détention de Québec, un processus de détection des problèmes de toxicomanie chez les personnes incarcérées à risque de suicide a été développé en collaboration avec le Centre de réadaptation Ubald-Villeneuve de Québec. Une aide est ensuite offerte aux personnes qui présentent un problème de toxicomanie. Mentionnons enfin qu'une réflexion impliquant le ministère de la Justice et celui de la Santé et des Services sociaux a été amorcée afin d'explorer la possibilité d'introduire au Québec des tribunaux spécialisés en toxicomanie et, éventuellement, leurs modalités d'application dans notre contexte.
Des études évaluatives des Tribunaux de traitement de la toxicomanie de Toronto et de Vancouver ont été entreprises. Toutefois, nous savons encore peu de choses sur leur impact à long terme sur la réduction de la consommation de substances psychoactives, la récidive, ou même le rapport coûts-bénéfices (Werb et coll., 2007). À l'instar de Werb et coll., nous croyons que le financement de tout nouveau tribunal spécialisé en toxicomanie devrait être accompagné d'une obligation d'en étudier l'impact sur une période de cinq années, et ce, en utilisant les méthodes de pointes en évaluation d'impact. De plus, à l'exemple du CCLAT, nous croyons qu'il est important de réaliser une étude sur les coûts de ces tribunaux en rapport avec les résultats qu'ils procurent.
Quelles que soient les modalités adoptées, il apparaît de plus en plus important d'établir des liens de collaboration entre le milieu judiciaire et les milieux d'intervention en toxicomanie pour offrir aux personnes toxicomanes judiciarisées la possibilité de faire face à ce problème et leur fournir des services adaptés à leur situation. Les tribunaux spécialisés de traitement en toxicomanie représentent une modalité d'intervention qui ne peut plus être ignorée, mais dont l'impact est encore mal connu. Nous croyons l'heure venue pour le Québec de trouver une formule adaptée aux besoins des personnes contrevenantes toxicomanes en tenant compte des avancées en matière de bonnes pratiques en ce qui concerne des objectifs de réduction des méfaits.
Le succès de l'implantation d'un tribunal spécialisé dans le traitement de la toxicomanie au Québec devrait reposer, comme ailleurs, sur de l'évaluation objective, l'accès à des programmes multimodaux selon les besoins des personnes (incluant des stratégies motivationnelles) et sur une optique de services intégrés. Toutefois, l'enjeu principal pour ceux qui auront à le développer reste la capacité à instaurer un processus de réflexion qui diminuera l'écart entre les objectifs et les priorités du système judiciaire et ceux du milieu de la réadaptation, ce qui contribuera à trouver un équilibre entre garantir la sécurité publique et respecter les droits des usagers à la confidentialité et aux services adéquats.
Belenko , S. (2001). Research on Drug Courts: A Critical Review. New York, Columbia University: The National Center on Addiction and Substance Abuse.
Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) (2007). FAQ sur les Tribunaux de traitement de la toxicomanie. Ottawa : CCLAT.
http://www.ccsa.ca/2007%20CCSA...
Fisc her , B. (2002). Doing Good with a Vengeance: Critical Reflections on Drug Treatment Court. Toronto: Aquinas Symposium, Coercion and Citizenship, CAMH.
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James , D., Sawka , E. (2002). Drug treatment courts: Substance abuse intervention within the justice system. ISUMA, 3 (1) : 127-133.
Ministère de la Justice Canada (2009) Programme de financement des Tribunaux de traitement de la toxicomanie, Évaluation formative, Annexe A – Sommaire des Tribunaux de traitement de la toxicomanie canadiens. http://www.justice.gc.ca/fra/p...
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Tremblay , S. (1999). Drogues illicites et criminalité au Canada. Juristat, (19) : 1-14.
Werb , D., Elliott , R., Fisc her , B., Wood , E., Montaner , J., Kerr , T. (2007). Drug treatment courts in Canada: an evidence-based review. HIV/AIDS Policy and Law Review, 12 (2-3): 12-17. http://www.aidslaw.ca/publicat...
Wilson , D.B., Mict hell , O., Mac Ken zie , D.L. (2006). A systematic review of drug court effects on recidivism. Journal of Experimental Criminology, (2): 459-487.