Revue Porte Ouverte

Détention : un état des lieux

Par Éric Bélisle,
Intervenant, Alter Justice

L'état de nos prisons

Récemment, on «apprenait» dans La Presse que la situation était critique à la prison de Bordeaux : problèmes d'insalubrité, de violence, d'intimidation, de surpopulation, et bien d'autres. Le nouveau ministre de la Sécurité publique du Québec, Stéphane Bergeron, a réagi en affirmant que la situation à Bordeaux n'est pas pire qu'ailleurs. Inquiétant… En fait, le ministre n'a pas tout à fait tort : ces problèmes sont loin d'être uniques à cette prison. Tout n'est pas complètement noir dans le réseau correctionnel québécois, mais tout n'est pas rose. Loin de nous, l'idée de jouer aux démagogues : ils sont déjà assez nombreux dans la sphère de la justice et de la sécurité publique. Toutefois, notre expérience nous permet de constater que de nombreux problèmes sont présents dans nos établissements carcéraux. En voici quelques-uns.

L'éternelle surpopulation

«À court terme, d'ici un an, nous voulons remédier aux problèmes qu'occasionne la surpopulation dans nos établissements de détention». C'était en février 2008. Jacques Dupuis, alors ministre de la Sécurité publique, annonçait fièrement l'ajout de 338 nouvelles places dans le réseau correctionnel du Québec, rendu possible par la construction de quatre nouvelles prisons et la réouverture de l'établissement de Percé. Dans l'attente de l'ouverture de ces nouveaux établissements, Québec débloquait 19 millions pour permettre l'ajout de 324 places «temporaires» afin de remédier au problème de la surpopulation carcérale que le gouvernement souhaitait régler, rappelons-le, en un an ou moins…

Alter Justice, tout comme l'ASRSQ et plusieurs autres organismes de réinsertion sociale, avaient alors averti le gouvernement et la population que cet ajout de places ne règlerait en rien le problème de surpopulation.

Alter Justice, tout comme l'ASRSQ et plusieurs autres organismes de réinsertion sociale, avaient alors averti le gouvernement et la population que cet ajout de places ne règlerait en rien le problème de surpopulation. Nous voici donc, quatre ans plus tard, avec un système correctionnel qui déborde toujours malgré que l'on compte maintenant 370 places de plus dans le réseau et une diminution du taux de criminalité. Et la situation n'est pas près de se régler en raison de l'impact des récentes modifications au Code criminel adoptées par le gouvernement fédéral.

Le plus ironique, c'est que le problème de surpopulation carcérale a été l'un des premiers dossiers sur lequel notre organisme a travaillé dès sa fondation… en 1977!

Le fait que nos prisons sont engorgées occasionne de nombreux problèmes qui affectent directement les personnes incarcérées et même leurs proches : personnel débordé, causant ainsi des retards dans l'évaluation des personnes contrevenantes; occupation double de cellules qui ne sont pas conçues à cette fin; «camping» et utilisation de locaux comme les gymnases pour les sentences de fins de semaine; nombreux et coûteux transferts causant l'interruption du processus de réinsertion sociale; et l'éloignement des proches.

Soins de santé

Depuis plusieurs années, les soins de santé sont parmi les sujets les plus fréquemment abordés à notre service téléphonique. Majoritairement, ce sont les coupures de médication qui suscitent le plus de questions. Nous sommes conscients que des personnes incarcérées arrivent en détention surmédicamentées et qu'un ajustement est nécessaire pour certains. Ce qui nous étonne cependant, ce sont les coupures de médication à des fins disciplinaires.

Une pratique qui a été confirmée lors d'une intervention : une personne incarcérée nous confirme avoir été impolie envers le personnel de l'infirmerie et reconnait ses torts. En raison de ce manquement, la personne incarcérée reçoit une sanction disciplinaire prévue par le règlement. Or, en plus de cette sanction, elle voit sa médication coupée. Après vérification à l'infirmerie, on nous confirme «qu'en raison du comportement de monsieur, sa médication a été coupée».

La décision de couper la médication a dû (nous l'espérons) être approuvée par le médecin de l'établissement, puisqu'il en va d'une décision médicale. En conséquence, cet acte est certes légal, puisqu'un médecin est libre de prescrire ou non un médicament ou de le modifier. Toutefois, cette situation pose, à notre avis, un sérieux problème éthique. Comment un médicament, jugé nécessaire pour la santé d'une personne une journée, peut-il lui être retiré le lendemain, sans qu'il n'y ait aucun lien avec l'état de santé du patient?

À notre avis, les soins de santé doivent être totalement indépendants du système carcéral. Si la personne commet un manquement disciplinaire, une sanction disciplinaire s'impose. Néanmoins, la modification d'une médication ne devrait jamais servir de sanction.

Contraintes administratives

Depuis quelque temps, on remarque un resserrement des règles administratives, laissant de moins en moins de place à l'humanisme. Par exemple, on semble oublier que la loi permet à une personne incarcérée de recevoir la visite d'une personne autre que ses proches. Ce problème a même été soulevé par le Protecteur du citoyen dans son rapport annuel de 2007-2008.

Plusieurs personnes nous contactent en raison des difficultés à faire reconnaître des proches – particulièrement les conjoints – sur leur liste de visiteurs. Le problème est encore plus répandu chez les familles reconstituées. On a vu le cas d'une personne à qui l'on refusait de reconnaître l'enfant de sa conjointe – sous prétexte qu'il était né d'une union précédente –, alors qu'on avait accepté sur la liste des visiteurs le deuxième enfant, né de cette nouvelle union. Et que faire lorsque la famille d'une personne incarcérée vit dans une région éloignée? Si on lui refuse la visite d'amis, qui viendra alors la visiter de façon plus régulière?

De surcroît, la difficulté qu'ont les personnes incarcérées à faire reconnaître des personnes qui n'entrent pas dans la définition stricte de «proches» engendre maintenant de nouveaux problèmes. Nous ignorons si cette procédure s'étend à l'ensemble des établissements de détention, mais dans certains, seules les personnes inscrites sur la liste des visiteurs sont autorisées à aller porter des vêtements et de l'argent à une personne incarcérée. Dans les cas où une personne n'a aucun proche, soit parce qu'ils sont décédés, soit parce que les contacts sont coupés (ce qui arrive), ou que les proches vivent dans une région éloignée, cette situation pose problème. À notre avis, d'autres mesures peuvent être prises pour assurer l'équilibre entre la sécurité et la possibilité pour une personne incarcérée de recevoir de l'argent et des vêtements.

Système Débitel

Le système téléphonique Débitel, en place dans les centres de détention, oblige les personnes incarcérées à faire des appels téléphoniques – locaux ou interurbains – seulement à frais virés, ce qui cause de plus en plus de problèmes.

Premièrement, il est impossible pour une personne incarcérée de communiquer avec des personnes utilisant un téléphone cellulaire. En 2013, cette contrainte nous apparaît totalement dépassée. De nos jours, bon nombre de personnes ont troqué leur ligne téléphonique résidentielle pour un téléphone mobile. Pourquoi ne pourraient-elles pas être rejointes?

Deuxièmement, il est de plus en plus difficile pour une personne incarcérée de contacter une entreprise ou un organisme gouvernemental, voire un avocat, en raison de ce système. Ce problème est principalement causé par le fait qu'il est impossible pour une personne incarcérée d'utiliser les numéros de type 1-800 et que de plus en plus d'organisations disposent d'un système téléphonique automatisé ne permettant pas d'accepter les frais d'appels. Bien sûr, la personne incarcérée peut toujours demander à un agent si elle peut, exceptionnellement, utiliser le téléphone de la console pour faire un appel. Nous croyons toutefois que les agents sont déjà fort occupés sans avoir à gérer les appels téléphoniques. Et encore, cette façon de faire laisse une grande place à des décisions arbitraires.

Troisièmement, ce système peut causer une sérieuse pression financière pour les proches des personnes incarcérées, qui doivent accepter les frais d'appels et interurbains. Recevant nous-mêmes des appels en provenance de l'ensemble des établissements de détention du Québec, nous comprenons les proches qui nous contactent pour nous parler de leur facture téléphonique «salée», causée par ce système.

Loin de nous l'idée de demander à ce que les appels soient assumés par les services correctionnels et les contribuables. Cependant, n'y aurait-il pas lieu de trouver des solutions de rechange pour soulager ces problèmes?

Du positif

Comme nous l'avons mentionné, tout n'est pas noir dans le réseau correctionnel. Nous ne pouvons passer sous silence les récentes initiatives en matière de réinsertion sociale mises en place par le ministère de la Sécurité publique. Nous pensons entre autres au département spécialisé en toxicomanie de l'Établissement de détention de Québec ou encore au programme spécialisé en délinquance sexuelle offert à l'Établissement de Percé. Il y a longtemps que nous réclamions davantage de programmes permettant de s'attaquer aux problématiques sous-jacentes à la criminalité. Nous ne pouvons qu'espérer la mise en place de nouveaux programmes de ce genre, et ce, dans tous les établissements. C'est là la véritable clé de la réinsertion sociale et de la réduction du risque de récidive.