Revue Porte Ouverte

Détention : un état des lieux

Par Guy Lemire,
Criminologue

Pérennité de l'enfermement ?

Il fut un temps, pas très lointain, où plusieurs universitaires occidentaux parlaient avec conviction de l'abolition de l'incarcération. D'autres, plus modérés, croyaient qu'avec le développement de mesures pénales alternatives, l'importance relative de l'emprisonnement diminuerait. Trente ans plus tard, il faut bien se rendre à l'évidence : nous avons eu un succès semblable à celui des économistes qui essaient de prévoir les crises économiques. Prédire l'avenir demeure un exercice aussi périlleux qu'incertain. Et c'est vrai, non seulement pour les politiques pénales, mais aussi pour la prédiction de la dangerosité et du risque. Plus un évènement est rare, moins il est prévisible.

Ce qui mène au constat fort navrant sur la situation actuelle : malgré une criminalité en déclin depuis plus de 20 ans, les prisons et pénitenciers sont surpeuplés. Encore plus navrant, il n'y a plus de véritables projets de réinsertion sociale des contrevenants. C'est l'entreposage humain avant tout! Au niveau fédéral, les orientations semblent s'inspirer du créationnisme en ce sens qu'elles rejettent le développement des connaissances et se limitent à des choix idéologiques archaïques tels que la vengeance. Cela relève davantage de la religion que de la science. Du côté provincial, c'est la politique du vide. Les reportages récents sur la situation déplorable de l'établissement de détention de Montréal (Bordeaux) parlent d'eux-mêmes.

Les politiciens et hauts fonctionnaires, tant fédéraux que provinciaux, lorsque poussés dans leurs derniers retranchements au sujet de la situation actuelle, nous servent invariablement le même mot magique: «protection de la société». Cela justifie tout et on n'a pas à expliquer l'inexplicable.

Mais quelle véritable protection offre-t-on à la société en libérant après de longues périodes privatives de liberté des contrevenants mésadaptés parce qu'incarcérés trop longtemps? En outre, et il s'agit d'une réalité bien documentée, la majeure partie des délinquants ne sont pas incarcérés. Ce n'est qu'une minorité qui se retrouve dans le système pénal car la majorité des problèmes sociaux et criminels sont traités ailleurs. Il faut donc travailler en amont plutôt qu'en aval. Ça aussi, on le sait depuis longtemps et les coûts sont beaucoup moins élevés. Mais ces réalités n'intéressent pas les personnes qui privilégient des points de vue simplistes et démagogiques.

En choisissant de consacrer le présent numéro de Porte ouverte à l'emprisonnement et en proposant un état des lieux sans complaisance rédigé par des experts, l'ASRSQ confirme, si besoin est, qu'elle demeure un acteur privilégié et incontournable de la justice pénale québécoise, soucieux d'affronter les problèmes urgents auxquels nous sommes confrontés.

Je l'ai déjà écrit, mais il est pertinent de le répéter : compte tenu de l'indigence ou de l'absence de véritables politiques de réinsertion et de réintégration de la part des gouvernements, les organismes communautaires seront appelés à exercer un plus grand leadership dans la résolution des problèmes sociaux.