Revue Porte Ouverte

Détention : un état des lieux

Par Gilles David,
Bénévole

Les questions d'un bénévole

Je suis le récipiendaire du Prix Taylor 2011 que le Service correctionnel du Canada (SCC) remet chaque année à un «bénévole méritant» choisi par un comité ad hoc, parmi les candidatures proposées par des organismes de bénévolat reconnus œuvrant en milieu carcéral. Lors de la cérémonie de la remise du Prix Taylor le 30 novembre 2012, j'ai prononcé une allocution «officielle» qu'on peut lire sur internet. Mais j'en avais préparé une autre plus incisive, plus percutante, plus réaliste que j'avais mise de côté par politesse, par convenance… C'est celle-là dont je livre ici de larges extraits pour la revue Porte ouverte.

Je suis reconnaissant au SCC de m'accorder le prix Taylor 2011 en appréciation du bénévolat que j'ai effectué dans divers pénitenciers au cours des dix dernières années pour le compte du Centre de Services de Justice Réparatrice. Mais en même temps que je me sens réconforté par ce prix et ces souvenirs, je me sens triste et inquiet par ce que j'observe au SCC depuis un an ou deux

L'ambiance me semble avoir beaucoup changé dans les pénitenciers. C'est plus rigide, plus militaire, plus «by the book». J'entends plus souvent qu'avant des membres du personnel déclarer : «on a reçu des ordres», «faut se protéger», «on applique le règlement». J'ai entendu des détenus de longue date déclarer : «ce n'est plus comme c'était il y a une couple d'années; ça ressemble de plus en plus à un camp de concentration; leur objectif (aux surveillants et agents de libération) c'est de nous prendre en défaut; on est continuellement sur le stress».

L'ambiance me semble avoir beaucoup changé dans les pénitencier.

Ce qui me semble prévaloir actuellement dans les pénitenciers, c'est l'observance du règlement, l'exécution «bébête» des ordres et directives venus d'en haut, la punition du criminel, la surveillance des détenus. La mission de répression du crime (et de pseudo protection de la société) semble prendre toute la place au détriment de la mission de réhabilitation, de reconstruction de soi, de responsabilisation, de reconquête de sa dignité et de son statut d'honnête citoyen.

Le Service correctionnel sanctionne ainsi le préjugé social largement répandu : les auteurs d'actes criminels sont des indésirables, des fardeaux, des membres inutiles de notre société. Pas de pitié pour eux! Il faut les punir!

En conséquence, un climat malsain est en train de s'installer dans les établissements de détention. Un climat malsain qui repose sur la répression, la surveillance, la suspicion, la méfiance et la disqualification envers les détenus. Un climat malsain qui est nourri par l'intransigeance, la froideur verbale et émotive, la ligne dure, l'indifférence, etc. à l'égard des détenus par certains agents de correction (comme dans l'émission Unité 9).

Vous pensez que j'exagère? Demandez aux employés, aux prisonniers, ce qu'ils en pensent; comment ils décrivent la situation, le climat qui prévaut à l'intérieur des murs! Forcément un tel climat, dépourvu d'empathie, de confiance en l'autre, d'optimisme, d'espoir, d'encouragement ne peut pas favoriser chez les détenus ni les projets, ni les gestes, ni les désirs de se réhabiliter. Ne peut pas favoriser la prise de conscience de ses lacunes, de ses erreurs et la volonté de se corriger. Ne peut pas favoriser l'aveu, le regret, l'amendement ni les gestes de réparations, encore moins les changements de comportement, l'épanouissement personnel, la «libération intérieure».

On agrandit les prisons mais on rétrécit le climat, on ratatine l'humain, on évacue la vie, on tue l'âme! Qu'est-ce qui se passe au SCC? Est-ce là l'orientation que nous attendons du Service correctionnel? Quel est l'avenir de la réhabilitation des détenus dans le système correctionnel? Quel est l'avenir du «bénévolat» au SCC? Quel est l'avenir de la participation de la communauté à la réhabilitation des détenus et à leur réinsertion dans la société?