Revue Porte Ouverte

Détention : un état des lieux

Par David Henry,
Coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Paroles d'intervenants – La réinsertion sociale, ça fonctionne!

Entrevue avec Josée Meilleur, coordonnatrice clinique, Maison St-Laurent.

Le 1er mars 1967, la corporation Maisons de transition de Montréal inc. ouvre les portes de la première maison de transition pour personnes contrevenantes adultes au Québec, la Maison Saint-Laurent. L'organisme s'est donné pour mission de favoriser l'amélioration de la qualité de vie des membres de sa communauté et celle des citoyens du Québec en contribuant à une réduction significative de la délinquance et à une augmentation sensible de leur sentiment de vivre dans un environnement juste et solidaire, pacifique et sûr. Ainsi, l'organisme communautaire pose différents gestes axés sur le progrès social : promouvoir une conception humaniste du phénomène de la délinquance, contribuer à une redéfinition juridique de celui-ci, favoriser une modification des perceptions à son égard et, surtout, participer activement à sa prévention prise au sens large.

Josée Meilleure travaille depuis 23 ans au sein de l'organisme. D'abord comme intervenante puis comme coordonnatrice clinique de l'Agence sociale St-Laurent (suivi en communauté) et finalement comme coordonnatrice clinique de la Maison St-Laurent (maison de transition). Elle a accepté de nous parler de son expérience et de nous dévoiler certaines de ses réussites.

Aller au-delà de ses propres préjugés

«Je commençais ma carrière comme intervenante et ce monsieur avait eu des accusations pour avoir agressé sexuellement et physiquement ses cinq enfants en compagnie de sa conjointe dans un petit village du Québec. Il m'a beaucoup marqué parce qu'il m'a fait beaucoup avancé comme intervenante. Toute sa pensée était construite autour du fait qu'il disait faire de l'éducation, notamment sexuelle, auprès de ses enfants. Lui-même avait d'ailleurs été abusé par son père étant plus jeune. Il était tellement convaincu et convaincant que même ses enfants, répétaient ce discours».

«Il était très rigide dans sa pensée particulièrement dans son rapport aux femmes. Au début, quand il sortait de mon bureau, j'étais presque enragée tellement il était confrontant, dénigrant à la limite. Il pouvait être assez agressif et j'ai l'impression que les gens n'osaient pas lui dire les affaires négatives. Son avocat m'appelait parfois pour que j'annonce les mauvaises nouvelles à son client car il n'osait pas lui dire! Moi, je ne me gênais pas… Il pensait qu'en sortant du pénitencier, la vie allait reprendre son cours comme avant, qu'il allait revoir ses enfants. Je lui ai tout de suite dit que ça ne se passerait pas comme ça. Je ne le jugeais pas mais je lui donnais l'heure juste».

«À chaque entrevue, il commençait toujours par la même chose : tout va bien, je reste à la même place, je travaille à la même job… Il finissait toujours par rester au moins une heure dans mon bureau. Je l'ai vu toutes les semaines pendant deux ans. Petit à petit, il a commencé à s'ouvrir et à me tester pour voir comment je réagissais. Je crois qu'il était très en colère contre son père qui l'avait abusé mais qui n'a jamais été dénoncé et incarcéré. Il trouvait ça injuste. Il a recommencé à voir ses enfants sous supervision et là, il a commencé à comprendre des affaires, notamment avec sa plus vieille. Plus ça allait, plus il prenait conscience des dommages qu'il avait fait subir à ses enfants».

«La première réaction qu'on a face à de tels comportements, c'est de se dire que c'est dégueulasse mais justement, il faut faire quelque chose! Je travaillais pour qu'il ne recommence jamais et ce n'est pas en l'haïssant que j'allais arriver à faire ça. Ça te fait travailler tes valeurs... Je pense que je l'ai aidé à s'ouvrir, à cheminer, à comprendre ce qu'il avait fait. J'ai vu son changement de mentalité au cours du suivi. Il s'est souvenu des dommages qu'il avait vécus et s'est rendu compte qu'il a infligé les mêmes dommages à ses enfants. Le fait que j'étais un peu marginale à l'époque, je crois que ça m'a aidé à créer un lien avec lui contrairement à une figure plus institutionnelle. Il m'a fait comprendre qu'on pouvait quand même faire un bon bout de chemin même avec des problématiques très difficiles. On peut faire un travail sur la rigidité, les distorsions. Il faut être attentif, c'est souvent ce que je dis à mes intervenants : soyez attentifs aux gars, à ce qu'ils disent, à ce qu'ils vivent et soyez attentif envers vous-même. C'est une des clés».

Il a construit sa vie pour se protéger

«C'est une personne condamnée à une sentence fédérale de 10 ans pour des délits de trafic. Son enfance, c'est comme dans un film, tellement c'est intense. Son père fait une crise cardiaque et meurt alors qu'il n'a que 4 ans. Sa mère le blâme et lui en fait porter la responsabilité. Il sera abusé sexuellement et physiquement de 5 à 9 ans par ses autres frères et sa mère. C'était le mouton noir de la famille. Il s'est révolté, a rencontré dans son quartier un caïd qui l'a pris sous son aile et s'est devenu sa nouvelle famille. Il a commencé en bas, il a graduellement monté dans la hiérarchie. Ils lui ont même payé l'Université, des cours en administration».

«Dans le fond de lui-même, ce n'était pas de cette vie qu'il voulait. Quand je l'ai rencontré, il était à la croisée des chemins… Il est resté à la maison de transition environ 3-4 mois et il a fini par louer un logement à côté, il passe régulièrement nous donner des nouvelles. C'était un cas de dépannage car le service correctionnel trouvait qu'il était trop dangereux pour aller dans un autre type de ressource comme Old Brewery Mission ou la Maison du père. Il a bien cliqué avec son intervenant, il a beaucoup travaillé sur les blessures qu'il avait vécues étant enfant. Il a eu l'opportunité de retourner dans son ancien milieu, il a eu plusieurs appels mais il s'est rendu compte au fil du temps que son ancienne vie, c'était tout de même pour «patcher» quelque chose».

«Pendant un bon moment, il venait tous les samedis faire des crêpes aux résidents, des gâteaux au fromage, etc. Maintenant, il vient de moins en moins souvent, il prend de l'autonomie. C'est une belle histoire. Il a ouvert sa compagnie d'entretien ménager et ça marche vraiment bien. Il s'est reconstitué une nouvelle famille avec une amie qui a deux enfants. Il a d'ailleurs pris sous son aile (de manière positive) le plus vieux qui a environ 19 ans».

Ouvrir la porte

«Cet homme est né dans la criminalité, toute sa famille est hautement criminalisée son père, son frère. Il a grandi là-dedans, mais il a toujours eu une relation difficile avec son père. Les forces positives qui l'habitent maintenant sont des forces qui sont considérées comme négatives dans ce milieu. Toute sa vie, il a cherché à impressionner son père, il en parle comme s'il avait deux ans. Il cherche encore son approbation. Pour se sortir de ce milieu il s'est donné des gros projets dont notamment celui d'aller étudier au CÉGEP».

«Il a été suffisamment convaincant car, même si son père et son frère ne comprennent pas sa démarche, ils l'aident et l'appuient. Par exemple s'il a besoin d'un ordinateur pour l'école, son frère va lui acheter. Il a tout de même encore beaucoup de travail à faire. Il ne prend pas toujours les conseils, tu vois qu'il n'écoute pas toujours. Il est quand même ouvert, il aborde sa vie avec nous très franchement. La différence avec l'exemple précédent, c'est que le premier était toujours en ouverture, alors que lui est en ouverture mais moins longtemps. La souffrance est différente. Même si son séjour est terminé à la maison de transition, il vient encore presque tous les jours. Il a vraiment créé un lien exceptionnel avec nous et au début je croyais qu'il voulait peut-être juste jouer une «game». Parfois, c'est les plus «tough», ceux qui ont le masque le plus agressif avec qui on travaille le mieux. Quand on finit par trouver la brèche, on peut les confronter sur n'importe quoi. Certaines portes sont plus difficiles que d'autres à ouvrir mais tout le monde à sa porte».