Revue Porte Ouverte

Les droits des détenus

Par Propos recueillis par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Droits des détenus : Insister sur l’empathie

Raymonde Saint-Germain a été nommée Protectrice du citoyen le 13 avril 2006 (1). Elle a commencé son mandat en entreprenant une réflexion sur la mission de l’institution. Des mesures concrètes ont été prises, notamment une rationalisation à l’interne pour faire en sorte que certaines équipes, par exemple celle de santé et celle de détention, collaborent plus étroitement.

Afin de comprendre les rouages du processus de traitement des plaintes, elle a collaboré à chacun des secteurs, à divers postes. À la détention, elle s’est impliquée en deuxième ligne, là où les techniciens en droit prennent les appels des détenus. De plus, des tournées régionales ont été effectuées pour rencontrer la population afin de faire connaître l’institution. Puisque trop souvent les personnes vulnérables accroissent leur fragilité en hésitant, honteuses, à parler de leur problème, ces tournées visaient aussi à convaincre qu’il n’y a pas de sujet tabou en ce qui a trait aux services publics au Protecteur du citoyen. Son implication lui a permis de connaître les besoins de la population et de réaliser que le concept de citoyen ne se conjugue pas au singulier : «Les citoyens ont beaucoup de différences, de niveaux de connaissance et de situations spécifiques qui font qu’on ne peut pas appliquer de façon uniforme les procédures.»

Être à la tête du Protecteur du citoyen

Pour elle, être à la tête du Protecteur du citoyen est un défi constant d’écoute, de rigueur, d’objectivité et de conviction. «C’est aussi un défi de convaincre que des services publics de qualité sont des services qui, en plus de respecter les droits, sont rendus dans la considération, l’écoute et le meilleur intérêt de la personne», ajoute-t-elle. Parmi les valeurs intrinsèques de l’institution, elle nomme la compassion, le respect de l’autre et l’écoute empathique. D’ailleurs, le dernier rapport annuel a beaucoup insisté sur la question de la vulnérabilité : cette dernière ne doit pas se traduire par un manque de considération ou un service inadéquat. «Au contraire, l’empathie et la compassion sont fondamentales, non seulement chez le Protecteur du citoyen, mais chez toute personne qui travaille au sein des services publics».

Il est faux de penser qu’après avoir purgé sa peine on peut franchir les murs, prendre le métro, rentrer chez soi et reprendre la vie là où on l’avait laissée.

Le système de traitement des plaintes

À leur arrivée en prison, les détenus sont informés de l’existence du Protecteur du citoyen ainsi que de leurs droits. Il est interdit à quiconque d’intervenir dans la transmission d’une communication entre une personne détenue et le Protecteur du citoyen, et vice-versa. De plus, un système de ligne sécurisée et directe permet les communications téléphoniques dans tous les centres de détention.

«L’équipe détention» est importante : composée de 9 personnes, elle est chargée de recevoir les appels et, selon la nature des plaintes, de faire des enquêtes. Lorsque la plainte est fondée, elle est chargée de communiquer avec le centre de détention pour s’assurer que l’objet de la plainte est rapidement corrigé. L’équipe des délégués visite chaque année tous les centres de détention; Mme Saint- Germain a déjà effectué la visite de huit centres.

Détention et santé mentale

50 % des détenus et des prévenus ont des problèmes de santé mentale à des degrés divers, ce qui est très préoccupant. C’est pour cette raison que le signalement par un tiers est accepté — mais pas par une personne incarcérée — entre autres pour assurer la présence d’une voix venant de l’interne. De plus, les différents rapports sont régulièrement examinés. «Les délégués qui se rendent sur place bénéficient d’un très bon accès à l’information, de même que d’une grande capacité à parler aux détenus.»

Ce qui ressort des visites dans les centres de détention — et le nombre d’appels reçus chaque année le confirme — c’est que les détenus ont facilement accès aux services du Protecteur du citoyen. «Quant à pouvoir exprimer clairement ce qu’elles vivent, il est vrai que certaines personnes ne sont pas en mesure de le faire mais des mesures sont prises à ce niveau, et devront être bonifiées puisque l’on reconnaît l’importance d’être particulièrement vigilant». En collaboration avec quelques spécialistes externes, un mandat d’initiative en santé mentale et détention est en cours au sein de l’institution. «Il vise à connaître les conditions de détention, l’état des services et la façon dont les responsabilités sont assumées pendant la période de détention. Il s’intéresse aussi aux liens créés avec le réseau de la santé, de telle sorte que si des problèmes sont constatés, des recommandations et un suivi soient faits.»

Défendre les droits de gens ayant contrevenu aux lois… 

Le volet concernant la détention dans le dernier rapport du Protecteur du citoyen a soulevé beaucoup de commentaires positifs. Par contre, là où il faut justifier la défense des droits de gens ayant contrevenu aux lois, c’est quand les fonds de l’État sont nécessaires pour d’autres interventions. «Il devient alors difficile de faire comprendre que les services correctionnels nécessitent aussi une part du budget». Mme Saint-Germain insiste toutefois sur l’importance d’assumer les responsabilités publiques face à tous les citoyens et de se rappeler que les détenus sont aussi des citoyens — «des citoyens temporairement privés de certains droits, certes, mais néanmoins des citoyens qui demain matin redeviendront, pour la plupart, des citoyens à part entière». Ce qu’il faut le plus défendre donc, c’est cet équilibre dans les services publics qui doit être offert à tous les citoyens, sans préjugé et sans discrimination.

La nouvelle Loi sur les services correctionnels du Québec insiste sur l’importance de la réinsertion sociale. Si ses fondements sont profonds et pertinents, la mise en œuvre de cette loi est trop lente, souligne Mme Saint-Germain; le dernier rapport annuel en a d’ailleurs fait état aux parlementaires. Faute de ressources humaines et financières, d’importants volets de cette loi n’ont pas encore été mis en œuvre. «Actuellement, la prison est surtout un lieu de garde où l’on prépare peu la sortie et où l’on offre peu de formation ou de plans individuels de traitement appropriés. C’est la minorité des centres de détention qui le fait, parce que la majorité n’en a ni les moyens ni le temps; de plus, les agents des services correctionnels ne sont pas des agents de réinsertion sociale.» Peu des effets bénéfiques escomptés ont donc été observés dans les centres de détention : «L’objectif de réinsertion sociale prévu par la loi est celui sur lequel il faudra le plus s’investir.»

L’impact du Protecteur du citoyen

L’écoute et la collaboration avec le ministère de la Sécurité publique quant aux aspects liés au quotidien pendant la détention sont excellentes. Là où c’est plus lent — parce que plus complexe et lié à un besoin de ressources additionnelles — c’est au niveau d’une gestion plus adéquate de la surpopulation et de ses conséquences, des soins de santé et de la réinsertion sociale. «Il est faux de penser qu’après avoir purgé sa peine on peut franchir les murs, prendre le métro, rentrer chez soi et reprendre la vie là où on l’avait laissée», d’où l’importance de la préparation de la sortie, des ressources intermédiaires, des organismes communautaires et de tout ce qui est prévu dans les politiques — sur papier — «et qui est excellent, mais pas encore harmonisé, organisé de manière adéquate».

De la récurrence de certaines problématiques

Il y a des problématiques qui sont constantes, parce qu’il y a des problèmes constants. Des problèmes de fond. Depuis 1997, le ministère de la Sécurité publique a subi d’importantes compressions. «Au mieux, on a stabilisé, c’est-à-dire qu’on n’a pas compressé de façon accrue. C’est donc clair que le problème de surpopulation est omniprésent, avec tout ce qu’il implique dans le quotidien (insuffisance des services de santé, difficultés à avoir accès à certains services hors des murs pendant la détention, éloignement des familles, problèmes de changements de ressources, etc.).»

La Loi sur les services correctionnels du Québec votée en 2002 n’est en vigueur que depuis février dernier, avec des ressources qui n’ont pas toujours suivi : il est donc clair que ces problèmes fondamentaux ne sont pas réglés. «L’aspect positif, c’est la reconnaissance par les autorités de l’importance d’entendre les personnes détenues, d’entendre leurs insatisfactions. L’amélioration du traitement des plaintes à l’interne et la collaboration avec le Protecteur du citoyen est manifestement quelque chose qui s’est amélioré et qui est très bénéfique.»


(1) Le Protecteur du citoyen a pour mandat de veiller au respect des droits des citoyens en intervenant auprès des ministères et des organismes publics relevant du gouvernement du Québec ainsi qu’auprès des diverses instances composant le réseau de la santé et des services sociaux en vue de remédier à une situation préjudiciable à un citoyen ou à un groupe de citoyens. Au besoin, il recommande au ministère, à l’organisme public ou à l’instance concernée les mesures nécessaires à la correction des erreurs, négligences, abus ou manquements qu’il a constatés.