Revue Porte Ouverte

Les droits des détenus

Par Propos recueillis par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Travailler à la protection des droits des détenus : Can I? May I? Should I?

Dans le bureau de Shereen Benzvy Miller, une étrange tenue, bleue, imposante, est accrochée au mur : impossible de ne pas la remarquer en entrant. Conçue pour les détenus soupçonnés d’avoir caché sur eux de la drogue, dits en cellule sèche, elle ferme de façon étanche aux chevilles et aux poignets; de plus, la fermeture éclair est située dans le dos afin que le détenu ne puisse se défaire lui-même de la combinaison. Pensée pour faciliter la tâche des surveillants, elle n’a cependant pas survécu aux trois questions — qui sont plus sexy en anglais, précise Mme Miller — «Can I?», «May I?» et «Should I?» et qui servent de cadre au SCC pour garantir le respect des droits de la personne. Ainsi, le seul exemplaire jamais créé se trouve dans les bureaux du ministère de la Sécurité publique.

La division de la direction des droits, des recours et des résolutions

Cette division interne du SCC veille au respect de la loi, des politiques et des droits de la personne. Elle gère le domaine de l’accès à l’information et la vie privée et s’occupe du système de plaintes et de griefs des détenus et des relations avec les organisations externes comme l’Enquêteur correctionnel, la Commission canadienne des droits de la personne ou le nouvel Ombudsman des victimes. Elle participe aussi à l’élaboration de nouvelles politiques. En somme, cette division veille sur tout ce qui est relatif aux droits des détenus ainsi que ce qui risque de bafouer ces droits.

Dans une démocratie, la façon dont on traite les gens les plus faciles à maltraiter est une mesure de notre civilisation, je ne suis pas la première à le dire.

Perçue comme la conscience de l’organisation, elle est fréquemment consultée lors d’un éventuel changement dans la façon d’opérer, ou quand une situation délicate se présente. Des exemples? Le cas de deux détenus qui ne fument pas mais qui, vu la prochaine interdiction totale de fumer dans les pénitenciers, achètent du tabac à la cantine. Peut-on leur confisquer leur tabac? Leur interdire d’en acheter? Ou encore le cas d’un détenu portant deux tatouages véhiculant des messages haineux au visage qui demande à se les faire enlever afin de faciliter sa réinsertion sociale : ce service n’est pourtant pas habituellement couvert par le système de santé. Il argue de son côté que sans cela, et malgré tous les programmes suivis et la formation reçue, jamais il ne pourra trouver un emploi. Que faire? Payer, ou non?

Défendre les droits de gens ayant contrevenu aux lois…

«Ce sont des citoyens comme n’importe qui. La punition ne doit pas consister en un retrait de leur citoyenneté ou de leur humanité. L’incarcération vise à réparer le dommage causé et peut-être en faire un exemple pour éviter que d’autres ne fassent la même chose. Toutefois, le plus important, c’est une réinsertion sécuritaire. C’est le but, la raison d’être du système. En les traitant comme des animaux au lieu de les traiter comme des êtres humains, comme des citoyens, le but ne serait pas servi. Parce que si on traite les gens mal, ils vont agir mal. Ce qu’on essaie de faire, c’est de les amener à vivre dans la collectivité d’une façon sécuritaire, d’en faire des citoyens qui contribuent à la collectivité. L’administration de la sentence relève du SCC et ne vise pas à les punir plus qu’ils ne le sont déjà par l’incarcération.»

Insister sur le savoir-être

«Dans une démocratie, la façon dont on traite les gens les plus faciles à maltraiter est une mesure de notre civilisation, je ne suis pas la première à le dire. On traite les personnes incarcérées avec respect, pas parce que c’est gentil de le faire, mais parce qu’on essaie de les intégrer dans la communauté. Au fédéral, on tente de déterminer dès le début de la sentence quels sont les besoins de l’individu (toxicomanie, éducation, etc.) ainsi que les risques qu’il représente. Et dans notre système, les améliorations qu’on apporte sont basées — j’espère! - sur les besoins de ces gens-là. C’est pour cette raison qu’on fait des efforts énormes pour servir les détenus qui ont des problèmes de santé mentale. Parce que sans des traitements adaptés à ces problèmes, nous ne pourrons pas les aider à surmonter leurs problèmes, une fois libérés.»

Détention et santé mentale

Selon Mme Miller, en détention, les gens qui ont des problèmes de santé mentale sont plus ou moins aptes à faire respecter leurs droits : il faut pouvoir rédiger un grief pour le faire et évidemment, certains n’ont pas la capacité de le rédiger, de l’exprimer au gestionnaire de cas ou même de l’intellectualiser. «Ce qu’on essaie de faire, c’est de former le personnel de l’établissement pour qu’il soit en mesure d’aider les détenus à rédiger leurs plaintes. Par contre, l’emphase est mise sur la résolution à la base, à l’établissement même et au début du conflit, avec les gens qui sont impliqués de façon immédiate avec la personne incarcérée. Ainsi, la plupart des problèmes se règlent de façon immédiate», précise-t-elle. Elle ajoute qu’il arrive que des détenus souffrant de problèmes de santé mentale utilisent le système de griefs de façon compulsive, ce qui peut être une façon dont leurs troubles se manifestent. Pour régler ces situations, «on essaie d’engager les gestionnaires de cas, les chefs d’établissements, tous ceux qui sont impliqués de façon immédiate, qui encadrent les détenus dans la résolution». Un tiers peut formuler la plainte, et ce même s’il provient de l’extérieur de l’établissement. Contrairement aux établissements provinciaux, un autre détenu peut se charger de la rédaction.

L’opinion publique

«Je fais, avec des collègues, des présentations dans la communauté où l’on parle des services correctionnels. On me demande souvent “pourquoi est-ce qu’on leur donnerait la télévision? Pourquoi est ce qu’ils auraient droits à tel ou tel truc?” Mais dès qu’ils commencent à comprendre ce qu’on fait et pourquoi on le fait, ils réalisent que ça vaut la peine de supporter ce système, que c’est profitable à la communauté. D’autre part, je me rends compte qu’il est fréquent dans les opérations qu’on s’interroge sur la frontière entre les droits et les privilèges. Ce n’est pas la bonne question à poser; ça, c’est un chemin par lequel on se perd dans la forêt. La même chose peut être un privilège et un droit. Prenez la télévision, par exemple. Les gens me disent tout le temps “Mais c’est un privilège, on peut le leur enlever!”. Non, ce n’est pas un privilège. Si tu as le droit de voter et que la télévision est le seul moyen de communiquer avec l’extérieur, de savoir pour qui voter et comment le système fonctionne, ça devient un droit.»

Restreindre les droits des détenus pour les inciter à entreprendre leurs plans correctionnels 
Publié en décembre dernier, le Rapport du comité d’examen du SCC avait pour mandat d’examiner les priorités opérationnelles, les stratégies et les plans d’activités du Service correctionnel du Canada. Les recommandations portaient entre autres sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). Le Comité recommandait que l’article 4 soit modifié de la façon suivante : «le délinquant continue à jouir des droits et privilèges fondamentaux reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée ou s’impose pour inciter le délinquant à entreprendre ou à poursuivre son plan correctionnel (1).»

La LSCMLC est tellement restrictive qu’il y a des limites à ce qu’on pourrait faire. Comme elle est basée sur la Charte canadienne des droits et libertés, avant de changer quoi que ce soit, il va falloir qu’on s’assure que nous respectons toutes les lois et les droits de la personne qui existent actuellement. On peut dire n’importe quoi, mais je ne sais pas comment ça pourrait être mis en œuvre.

Bien sûr, tout est possible, la loi pourrait être changée demain si ce gouvernement ou un autre le voulait. Par contre, la mission du Service correctionnel du Canada est basée sur le principe que si on veut garder des communautés saines et sauves, il faut réintégrer les détenus. Il faut que les délinquants fassent partie de la communauté des personnes respectueuses des lois. Les envoyer en prison sans les aider à se réinsérer, c’est inutile et très coûteux. De plus, si on commence à aller à l’encontre de ce qui a été démontré comme étant efficace par la recherche, ça nous servira mal» s’exclame Mme Miller avant de conclure : «Donc, oui, c’est possible que les choses changent, mais si on veut servir le Canada et les Canadiens, il va falloir véritablement se demander si les changements qu’on désire apporter vont aider».


(1) Comité d’examen du SCC, rapport publié sur le site Internet du ministère de la Sécurité publique le 13 décembre 2007, http://www. publicsafety.gc.ca/csc-scc/cscrpreport-fra.pdf.