Revue Porte Ouverte

Les droits des détenus

Par Propos recueillis par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

S’impliquer auprès des détenus : Rencontre avec Marie Beemans

Marie Beemans est âgée de 17 ans la première fois qu’elle entre en contact avec le monde carcéral. Depuis lors, elle n’a cessé de s’impliquer auprès des détenus. Dévouée et anticonformiste convaincue, elle est de toutes les luttes, intervenant autant auprès des médias que des Commissions parlementaires. Pendant longtemps présidente du Conseil des Églises pour la justice et la criminologie et membre du conseil d’administration de l’ASRSQ, elle a aussi participé à la mise sur pied du programme Face à face permettant aux personnes incarcérées de recevoir la visite de bénévoles. En 2001, dans le cadre de l’année internationale des bénévoles, le gouvernement honorait son engagement exemplaire.

«Je visite le milieu carcéral depuis presque 60 ans : les conditions de détention ont beaucoup changé. Je pense entre autres au film Histoire de pen (1) : maintenant, ce genre de scénario est impossible. C’est vrai qu’il y a quelques détenus en trop et qu’il va y en avoir plus avec Harper si ça continue, mais on est prêt à construire des prisons…

Le problème avec la détention, c’est qu’on prend quelqu’un qui a eu des problèmes avec la notion de pouvoir et qu’on le met dans un milieu totalitaire. On prend quelqu’un qui n’a pas respecté les droits des autres, et on lui manque de respect. On prend quelqu’un qui agit de façon non responsable et on lui ôte toute responsabilité, ce qui fait que les détenus ne peuvent ni s’affirmer ni être des individus à part entière. Ce qui est déplorable, c’est que le Canada fait partie des pays qui condamnent aux plus longues sentences et que les détenus sont incarcérés de plus en plus longtemps. À la fin de leur peine, ils sont complètement démunis : ceux qui ont purgé de longues sentences sont comme des adolescents de 40, 50 ans.

Quand on me demande pourquoi je ne m’occupe pas des victimes, je réponds que je m’en occupe souvent, des victimes : ce sont souvent elles qui se ramassent en dedans.

Les droits des détenus

Je dirais qu’au fédéral, 1982 marque un point tournant au niveau de la problématique des droits des détenus. La Charte canadienne des droits et libertés venait d’être promulguée, puis, en juillet, une émeute a éclatée à Archambault, faisant cinq morts et sept blessés. Ces deux événements ont contribués à la publication, un peu plus tard, de la mission des services correctionnels. Par contre, depuis quelques années, ces textes — qui parlent entre autres de réinsertion — semblent avoir été relégués aux oubliettes.

Dans chaque pénitencier, il y a un téléphone à partir duquel les détenus peuvent appeler l’Enquêteur correctionnel s’ils ont l’impression que leurs droits sont bafoués. Certains disent que c’est trop long avant de pouvoir le rejoindre, que ça ne sert à rien. Il y a toutefois des gens sincères qui y travaillent. Le problème, c’est que l’Enquêteur ne peut faire que des recommandations : il n’a pas assez de pouvoir. Comme dans la société, il y a quelques personnes qui sont toujours en train de gueuler, ce qui occupe beaucoup de son temps. De plus, les personnes incarcérées sont rendues tellement amorphes en détention qu’elles ressentent souvent un sentiment de futilité face à ce service, sans compter que l’histoire de Ronald Stewart, qui a pris tout le budget pour s’amuser, n’a pas aidé à donner confiance dans cette institution (2)!

Les réalités provinciales

À mon avis, le respect des droits des détenus est plus grand au niveau fédéral qu’au provincial. Les détenus sont beaucoup plus conscients de leurs droits dans les pénitenciers que dans les prisons, où les gars ont souvent les deux pieds dans la même bottine. À Bordeaux, par exemple, les détenus font généralement la navette entre Old Brewery, la Maison du père, la prison et la rue. Le temps moyen passé en détention, c’est quarante jours. Oublie les droits : personne n’y pense, là-bas. Premièrement, ce ne sont pas des gens qui attirent la sympathie du public. Ce sont des clochards, des itinérants, des maringouins qui dérangent; d’ailleurs, ils considèrent souvent eux-mêmes qu’ils n’ont pas de droits. De plus, il y a une grande partie de la population carcérale qui a des problèmes de santé mentale.

Ceux qui souffrent de problèmes graves vont à Pinel. Le problème, c’est tous ceux qui ont des problèmes plus légers. À Bordeaux, un pourcentage très inquiétant des personnes incarcérées a un problème de déficience, de personnalité, a souffert de traumatismes cérébraux, de malnutrition infantile, du syndrome d’alcoolisme fœtal ou de troubles d’apprentissage. Quand tu ne peux pas performer en classe, tu performes dans la cour de l’école, avec tes poings. C’est là où tout commence, et ça laisse des séquelles. Bref, il y a tout un travail à faire avec cette population-là et on ne le fait pas. Les qualifications nécessaires pour travailler dans les prisons sont très, très faibles et il n’y a que deux screws — qui n’ont reçu aucune formation pour intervenir en santé mentale — pour surveiller 80 détenus.

Un autre problème propre au provincial, c’est qu’il y a beaucoup de prévenus. À Bordeaux, plus de la moitié de la population carcérale en est constituée alors que selon les Nations Unies, détenus et prévenus ne doivent pas être mêlés. Ces derniers, théoriquement, sont en effet innocents jusqu’à preuve du contraire : le fait qu’il soient traités comme des détenus bafoue leurs droits.

Notre système de justice actuel brime le droit à la justice : lors d’accusations mineures, on pousse les accusés à plaider coupable, arguant “il va aller à Bordeaux pour une semaine, ne complique pas les choses!” S’il était accusé d’un homicide, d’une accusation majeure comme une prise d’otages, là, on s’occuperait de lui. Mais en ce qui a trait aux crimes mineurs, ils n’ont pas de droits. En plus, en quelques semaines, c’est impossible de régler une vie de problèmes. Ceux qui ne sont pas respectés donc, comme toujours, ce sont les plus fragiles. Je ne pleurerai certainement pas sur le sort de Vincent Lacroix!

L’érosion de l’opinion publique

Une des choses qui a énormément changée, c’est l’opinion publique. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, les gens ont fait beaucoup de vagues au Québec avec la campagne contre la peine de mort! Je me souviens d’une émission où Claire Lamarche demandait s’il fallait axer la justice sur la punition et la répression ou sur la réinsertion. Le public reconnaissait, à l’époque, l’importance de la réinsertion sociale. C’est loin de ce que j’entends maintenant! Ce que j’entends, ces tempsci, c’est plutôt des commentaires comme “Quoi? Il a violé des petites filles et il va quand même toucher sa pension de vieillesse?! ». Pourquoi y a-t-il eu un tel glissement de l’opinion publique qui renie dorénavant les droits des détenus?

Ce qu’on oublie — et c’est dans la Charte canadienne des droits et libertés — c’est que, quand tu es incarcéré, tu demeures un citoyen, tu gardes tes droits. Le seul droit que tu perds — et c’est ça la punition — c’est le droit de circuler librement en société et les droits qui découlent de ça pour la bonne administration du pénitencier. C’est tout. De nos jours, l’opinion publique ne veut pas que les détenus aient des droits. Il y a une mentalité très, très punitive. Je sens un backlash qui est très bien organisé derrière lequel il y a un enjeu politique évident.

Les conservateurs — plutôt que de parler des gens qui sont tués en Afghanistan — concentrent l’opinion publique sur le crime. Le taux de criminalité baisse, le taux d’homicides baisse et les gens ont de plus en plus peur. À preuve, les titres de Garda viennent de grimper de 74 % en bourse.

Changer les choses

Si l’on en croit la nouvelle Loi sur les services correctionnels du Québec, l’accent sera dorénavant mis sur la réinsertion sociale. Un changement de mentalité est toutefois indispensable si on veut trouver des solutions. En ce moment, le droit le plus bafoué, c’est le droit à la dignité. Si on traite quelqu’un comme une bête, il va devenir une bête : si tu ôtes à quelqu’un sa dignité, tu crées un fauve. Et on se demande pourquoi on a des problèmes avec eux!

Avec Harper, on ne cherche plus de solutions. La preuve, c’est qu’on coupe sur des programmes à gauche et à droite et qu’on dépense tout l’argent pour se protéger contre ces maudits terroristes qui n’existent pas! C’est sûr qu’on n’a pas le beau jeu quand on parle de pédophilie devant des familles en larmes suite à la mort de leur enfant. On n’a pas une cause facile à défendre. Quand on me demande pourquoi je ne m’occupe pas des victimes, je réponds que je m’en occupe souvent, des victimes : ce sont souvent elles qui se ramassent en dedans. Et puis, est-ce qu’on reproche à un cardiologue de ne pas s’occuper des reins ou du système pulmonaire?»


(1) Réalisé par Michel Jetté, ce film relate les dures expériences de Claude, 19 ans, condamné à purger une peine de 10 ans dans un pénitencier à sécurité maximum.

(2) Selon Radio-Canada, l’ancien Enquêteur correctionnel, M. Ronald Stewart aurait touché des paiements irréguliers ou suspects pour une somme totale de 325 000 $ et se serait absenté du bureau 319 jours ouvrables pour des activités n’étant pas reliées à son travail. Une partie de la somme a été recouvrée par le gouvernement du Canada à la suite d’une enquête effectuée par la vérificatrice générale révélant ces abus et irrégularités.