Revue Porte Ouverte

Écoutons ce qu'ils ont à dire

Par Dominique Garneau,
Bénévole

La chemise au fond du placard parce qu’il ne faut jamais oublier d’où l’on vient!

Dans la vie, certaines rencontres s’avèrent marquantes et significatives. Cela m’est arrivé à l’automne dernier, à mi-chemin entre Montréal et Québec.

En ce matin du 15 novembre, j’ai fait la connaissance de Normand, qui avait alors été désigné pour être mon guide pour une visite des plus singulières.

Unique au Canada, le concept du Musée québécois de culture populaire offre la possibilité de plonger dans l’univers carcéral. On s’y retrouve à une autre époque, en des lieux où plusieurs hommes et femmes ont séjourné. Pas pour des vacances. Vieux de 185 ans, le monument historique que j’ai découvert est celui de la Vieille prison de Trois-Rivières.

N’ayant jamais mis les pieds dans un centre de détention, je me sens plus que novice… Être accompagnée par Normand lors de cette visite fut donc un privilège. En sa qualité d’ex-détenu, Normand m’a généreusement offert des informations accessibles et des plus crédibles. Il faut savoir que le Musée emploie quatre guides-animateurs connaissant bien les prisons pour y avoir vécu. Avec ces deux années d’expérience de travail, Normand est le guide qui cumule le plus d’ancienneté.

Il me fait remarquer combien la Vieille prison a pu changer depuis sa fermeture. L’édifice a été en quelque sorte aseptisé. Au troisième étage de l’établissement, on retrouve maintenant des bureaux administratifs. Également, une partie du second étage a été convertie en salle de conférences pouvant accueillir des groupes d’une vingtaine de personnes. Au rez-de-chaussée, on retrouve une salle de bain n’ayant rien à voir avec les fameuses chaudières que l’on voit dans les cellules. L’établissement a été aussi repeint et des améliorations majeures ont été apportées à l’éclairage et au chauffage. «Ça n’a rien à voir avec ce qu’ont connu les détenus», explique Normand. «Il n’y a pas les bruits, l’atmosphère, l’odeur, etc.»

«Je ne veux pas juste faire faire une visite des lieux. Je veux également partager l’expérience du détenu et montrer qu’il est aussi un être humain.»

Pour ne pas banaliser la prison 

Malgré ces rénovations, nous n’avons pas de difficulté à imaginer les raisons pour lesquelles l’établissement a été fermé, en 1986 : l’insalubrité. Il ne faut que visiter le secteur des femmes. Il s’agit d’une petite salle étroite où se trouvent quelques cages juxtaposées, à l’intérieur desquelles il n’y a que l’espace nécessaire pour un lit.

Alors, pourquoi Normand a-t-il choisi de se replonger quotidiennement dans cet environnement douloureusement évocateur? «Il fallait que je trouve un emploi. Des personnes m’y ont référé et j’ai postulé.» Il a ensuite passé l’entrevue de sélection et a participé à la formation. Tout s’est déroulé relativement bien et il a décroché le poste. Venait par la suite le vrai défi : la relation avec les visiteurs. «Il est important, pour moi, de permettre aux visiteurs de ne pas banaliser la prison. En détention, il y a beaucoup de souffrance et d’émotion. Je ne veux pas juste leur faire faire une visite des lieux. Je veux aussi leur partager l’expérience du détenu et montrer qu’il est aussi un être humain. Mon défi est de faire de la sensibilisation pour que les visiteurs comprennent qu’il est possible de s’en sortir. Et tant mieux si ça fait de la prévention pour les jeunes qui nous visitent.»

Depuis 2002, le Musée québécois de culture populaire embauche des ex-détenus à titre de guide-animateur, afin de permettre à ses visiteurs de vivre une expérience unique à la Vieille prison de Trois-Rivières, classée monument historique. Datant de 1822, ce bâtiment était, jusqu’en 1986, le plus vieil établissement carcéral en opération au Canada. Par une reconstitution fidèle des lieux, tels qu’ils étaient dans les années 60-70, le visiteur est confronté aux difficiles conditions de détention qui y régnaient. Outre la visite des cellules, c’est davantage les conditions de vie carcérale que l’on veut évoquer, avec le manque d’intimité, les rituels, le rapport de force et la hiérarchie entre les détenus, la violence et l’ennui. Ce qui permet vraiment de vivre une expérience unique est la présence de guides-animateurs qui ont connu la prison et qui partagent leur expérience. Ils permettent aussi aux visiteurs d’être sensibilisés à la réalité des personnes incarcérées et des défis qui les attendent lors de leur retour en société.

Pour plus d’information : www.enprison.com

Saison touristique ou non, la clientèle très variée se succède. «Parmi les visiteurs, il m’arrive d’avoir des gens que je connais. Certains connaissent mon passé, d’autres pas. J’ai eu des anciens voisins, même un ancien gardien…» Les visiteurs sont bien évidemment curieux et ils n’hésitent pas à poser toutes sortes de questions. Qu’elles soient indiscrètes et même saugrenues, Normand prend le temps de bien répondre aux interrogations. Et que dire des commentaires insensés, obtus et souvent préjudiciables? «Il faut vivre avec…»

La chemise au fond du placard

Et au jour le jour, qu’en est-il? Mon sympathique guide-animateur me partage les deux facettes d’une même médaille. «D ’un côté, je retire beaucoup de cette expérience. Je rencontre des jeunes qui vivent plein de difficultés. J’ai la conviction que ça peut les aider de venir ici et de discuter avec moi. C’est une partie du travail qui est merveilleusement gratifiante. Quand on m’invite à l’extérieur pour témoigner : quelle belle réalisation! Après, j’ai l’impression de flotter tellement je suis heureux.»

Je suis contaminée par une curiosité maladroite et je n’épargne pas la patience de mon guide. Qu’en est-il du retour à la vie «ordinaire», sans que tous les détails du quotidien (lever et coucher, repas, sorties extérieures, hygiène corporelle, protocole médical, etc.) ne soient imposés par une institution? Normand me répond spontanément : «C’est difficile, très difficile… La gérance de ton temps, de ton budget et du reste, c’est quelque chose. Par exemple la décision d’honorer un rendez-vous, de magasiner tel ou tel truc ou de partager un repas tranquillement. Pas facile, pas facile du tout. Mais c’est tellement gratifiant de le réussir. Ça, les gens ne peuvent pas l’imaginer…»

Sortir de la vie en prison peut devenir un exercice périlleux. «En prison, t’as ton monde. Tu viens à apprendre à dealer avec le rythme, les conditions de détention, les relations entre les détenus et avec les gardiens. Même si tout ça est complètement fou, tu viens à t’y habituer. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, t’as une certaine reconnaissance en prison. Tout le monde te connaît et tu peux avoir un certain statut. Sortir dehors remet tout ça en question. Perdre ses repères instantanément, ça peut déboussoler. En tant que citoyen à part entière, tu fais quoi de ta liberté et tout ce qui en découle?»

Mais l’expérience de la prison ne s’oublie pas. Pour Normand, il est important de se rappeler d’où il vient. «Moi, j’ai gardé une vieille chemise que je portais en prison et je l’ai suspendue dans mon placard. Quand je la vois, je me rappelle le chemin que j’ai parcouru. Ça me motive à continuer.»