Revue Porte Ouverte

Écoutons ce qu'ils ont à dire

Par Catherine-Eve Roy,
ASRSQ

Le succès d’une démarche de réhabilitation

Les bras recouverts de tatouages, plus de 25 ans de détention au compteur et l’étiquette «irrécupérable» au dossier… Peu de gens auraient été prêts à parier sur le succès de la réhabilitation sociale de Serge1. Beaucoup se seraient trompés. Heureusement.

Les racines de la délinquance de Serge sont malheureusement trop communes : père alcoolique, mère abusée, enfance fragile. Le parcours qu’il emprunte par la suite n’a également rien d’étincelant. Jusqu’à il y a près de 5 ans où, à sa sortie de pénitencier, il revit : «de retour en communauté, j’étais comme un nouveau-né.» L’ex-contrevenant a donc su bénéficier de cette opportunité unique pour repartir à zéro, tout en sachant qu’une telle renaissance impliquerait une gamme de défis à relever.

La volonté

À la suite d’une incarcération, la démarche de retour en communauté est une étape cruciale, souvent garante d’un rétablissement durable. Une des conditions sine qua non de la réhabilitation sociale, à développer prioritairement, est la sphère professionnelle. Se retrouver sans emploi ni ressources, c’est être confronté à l’impossibilité de subvenir à ses besoins primaires. Un des moyens de s’en sortir étant de renouer avec son passé, la récidive peut donc pendre au bout du nez de chaque individu judiciarisé démuni. Afin de ne pas retomber dans la criminalité, Serge avait pris des résolutions, bien avant sa sortie. «Une des premières choses à faire, c’est de changer de cercle social. Couper les anciens liens. Couper le cordon.»

Dans sa phase préparatoire, il s’était également déterminé à modifier certaines valeurs qu’il avait acquises en détention, sachant que celles-ci ne seraient pas conformes à la société. «En dedans, c’est un autre monde. Tu ne dois montrer aucune faiblesse. La dynamique fait donc en sorte que c’est toujours une question de survie.»Sans attaches et dépourvu de son cadre de valeurs, Serge a ainsi plongé dans sa nouvelle vie, déterminé à profiter de cette ultime chance. «La base du cheminement, le cœur du processus, c’est le désir et la volonté d’y arriver.»

«Il faut prendre la chance de donner une chance.»

Les ressources

La première halte de Serge a été longue, mais bénéfique. Les trois ans qu’il a passé en maison de transition lui ont permis de s’accommoder. Au niveau pratique, ce sont les détails du quotidien qu’il a appris à maîtriser, «des petits gestes stupides qui sont pris pour acquis». C’est toutefois au niveau émotif que le réajustement à été le plus vital. Et le plus difficile. Comme pour les valeurs, il y a des émotions, en détention, qui ne sont pas tolérées. La froideur est plutôt de mise. En dehors, Serge a été heurté par le contraste des univers et s’est senti déphasé. L’étape de transition lui a ainsi permis de vivre sa nouvelle réalité à petites doses, et d’être épaulé par des personnes expérimentées qui sont impliquées dans la communauté.

En maison de transition, Serge a rapidement manifesté son désir de se trouver du travail. Le personnel lui a donc parlé d’une ressource spécialisée pour les personnes judiciarisées, qui pourrait l’outiller et le soutenir dans ses démarches de recherche d’emploi. L’information fournie par les intervenants était juste : grâce à l’assistance d’experts en employabilité, Serge a acquis de nouvelles compétences, tout en ayant accès à diverses opportunités d’emploi. Ainsi, avec son intervenante, il a entre autres ciblé les domaines de travail susceptibles de l’intéresser, déterminé ses forces à exploiter et appris à mieux se préparer en entrevue. «Toutes les étapes par lesquelles je suis passé ont eu leur raison d’être.» La force de la ressource, selon Serge, réside dans son encadrement personnalisé et soutenu, qui ne prend pas fin dès qu’un individu est placé. «La première entreprise pour qui j’ai travaillé me convenait, mais au bout d’une certaine période, elle ne pouvait plus m’assurer un emploi à temps plein. Comme j’étais toujours en contact avec ma responsable, j’ai pu l’aviser de ma situation. Je suis donc allé travailler ailleurs, mais les tâches que je devais faire étaient finalement trop physiques pour moi. Ma ressource a été compréhensive.»

Donner une chance

Cherchant un nouveau milieu de travail pour Serge, les intervenants du service d’emploi ont contacté Pierre, un employeur potentiel qu’ils savaient intéressé à la cause de la réinsertion professionnelle des individus judiciarisés. «À la sortie de prison, les personnes se retrouvent à la croisée des chemins. Ils doivent décider quelle route prendre : la bonne ou l’ancienne? Quand ils choisissent de se prendre en mains, il faut les aider. Leur permettre d’avoir du travail, c’est essentiel.» En acceptant d’accueillir Serge au sein de son entreprise, Pierre donnait lieu, sans s’y attendre, à une précieuse association.

Le nouveau poste que devait occuper Serge était spécialisé. L’expérience qu’il avait acquise en détention lui permettait d’assurer la base des opérations, mais il devait apprendre à développer d’autres techniques. Grâce à un programme de formation, il a donc pu concilier apprentissage et travail, à son rythme. «Il faut être patient (avec les individus judiciarisés), parce qu’ils ont un long cheminement à faire. Il faut aussi rebâtir leur confiance, particulièrement en eux-mêmes.» Effectivement, Serge ne vivait pas simplement une transition professionnelle; c’est toute sa vie qu’il reconstruisait. Le soutien de Pierre, quant à lui, ne s’est pas limité au travail. Sa portée s’est déployée à l’ensemble du quotidien de Serge. Ainsi, il lui a trouvé un logement abordable, lui a présenté de nouvelles personnes et lui a proposé diverses activités à pratiquer les soirs et les fins de semaine.

Voilà maintenant deux ans que les routes des deux hommes se sont croisées. En tant qu’employeur, Pierre réitère son entière satisfaction du travail de Serge. «M aintenant, je ne pourrais plus m’en passer!» Son expérience avec une personne judiciarisée a été très enrichissante. Désormais, il affirme être particulièrement sensibilisé à la réinsertion professionnelle et sociale. «Ça peut sembler être un risque d’engager un ancien contrevenant, mais à partir du moment où tu prends le temps de connaître la personne et qu’elle te manifeste sa volonté de cheminer, il ne reste qu’à la soutenir vers la réussite. Les gens doivent prendre la chance de donner une chance.»

Serge, pour sa part, croit que c’est d’abord sa volonté qui lui a permis de se réhabiliter. Toutefois, il assure que la présence de gens tels que Pierre lui a été indispensable. «J ’ai eu besoin d’être reconnu, encouragé. Ce sont mes réussites qui m’ont incité à rester dans le bon chemin.» À travers ses démarches, Serge est également parvenu à acquérir une estime de lui-même, un sentiment qu’il avait perdu depuis trop longtemps. «Tu ne peux pas donner aux autres ce que tu n’as pas. Maintenant, je me soucie de moi. Et des autres.

Projet de sensibilisation

Malheureusement, dans le domaine de la réhabilitation sociale, il n’est pas seulement question de réussite. Revers et difficultés caractérisent également le parcours de certaines personnes judiciarisées, qui subissent entre autres les impacts de leur casier judiciaire. À cet effet, le Comité aviseur pour une clientèle judiciarisée adulte a initié un projet de sensibilisation visant à exposer les réalités de cette situation au public québécois. Dans un premier temps, ce sont les conseillers des divers centres locaux d’emploi de la province qui sont visés par les démarches de sensibilisation. Par l’entremise de conférences et de documentation, ils seront appelés à mieux comprendre les multiples répercussions du casier judiciaire sur les sphères quotidiennes, telles que l’emploi, les assurances et les déplacements.

Également, la population en général demeure un public à informer. En connaissant les différents enjeux du casier judiciaire, les gens pourront être plus aptes à saisir la problématique de la réhabilitation sociale. Dans ce projet, les personnes judiciarisées y trouveront aussi leur compte, alors que des informations, pistes d’action et conseils leurs seront prodigués au moyen de dépliants et d’un site Internet pratique.

La réalisation de ce projet est rendue possible grâce à une subvention d’Emploi-Québec. L’Association des services de réhabilitation sociale du Québec a, quant à elle, effectué la recherche et l’élaboration. Diverses personnes-ressources et organisations du domaine de la criminologie et du droit, ainsi que du milieu communautaire y ont également contribué. Les premiers outils d’information seront disponibles dès la fin de l’été 2007.


1 Prénom fictif