Revue Porte Ouverte

Écoutons ce qu'ils ont à dire

Par Catherine-Eve Roy,
ASRSQ

Quand les détenus s’expriment

Lors de la dernière campagne électorale, le gouvernement conservateur en a fait une des pierres angulaires de sa plate-forme. Chose promise, chose due. Après une période d’un peu plus d’un an, le parti de Stephen Harper a consacré près du quart de ses projets de loi (11 sur 45) à ce sujet. Au Québec, ce sont les médias qui témoignent de son importance, en y consacrant une grande part d’information. L’opinion publique s’y mêle également, affirmant son point de vue à coup de lettres ouvertes, de coalitions, de recours, de dénonciations… La Justice. Elle anime les ardeurs. Provoque les discussions. Engendre des conversations. Tous et chacun ont un avis à partager. Une critique à formuler. Une problématique à soulever. Mais qu’en est-il du point de vue de ceux qui sont ciblés par le système? Leurs préoccupations atteignent-elles la place publique?

Afin d’établir une autre perspective, en l’occurrence celle de l’intérieur, trois détenus ont accepté d’échanger sur le sujet de la justice. Jack, Rocky et Dragon1, respectivement en détention depuis 2,25 et 30 ans, témoignent donc de leur expérience en offrant des réflexions personnelles sur le milieu carcéral, ainsi que sur son «avant», «pendant» et «après».

«On n’est pas ici pour se plaindre. On a fait un crime et on doit payer pour, mais il faut trouver des moyens d’utiliser adéquatement le temps durant lequel on est ici.»

Les tendances

À travers les années, le système pénitentiaire a été sujet à certaines réformes. En réponse à la dynamique de sa population et aux exigences de la communauté, les établissements de détention ont été marqués par diverses phases, tantôt répressives, tantôt libérales. Dans les années 70, l’arrivée de Rocky en pénitencier coïncidait avec un règne empreint de souplesse. Il a ainsi connu les unités résidentielles, qui favorisaient la vie de groupe. Puis il y a eu l’implantation de programmes, rigides prérequis à toute éventuelle libération, qu’ils soient profitables au cheminement individuel du détenu ou non. S’est ensuite manifestée la période où les gardiens s’habillaient en civil, afin de limiter les écarts entre les détenus et ceux-ci. Et qu’en est-il de l’ère actuelle? D’emblée, les trois individus perçoivent des changements menant vers une nouvelle méthode de gestion. Selon Jack, «le système se referme et devient plus répressif. On ne sanctionne plus individuellement. On punit le groupe.» Cette observation, portée sur cette réalité en détention, souligne un phénomène qui fait écho dans la société, et non seulement dans le domaine judiciaire. En effet, si les lois promulguées par les autorités sont aujourd’hui cautionnées par les mots «sévérité» et «contrôle», la notion de sécurité, quant à elle, prend une ampleur monumentale. Au quotidien, la peur et l’esprit du «tolérance zéro» semblent désormais régir une certaine conduite collective.

Les programmes

Conçus pour répondre aux besoins spécifiques des membres de groupes différents, les programmes offerts en détention visent spécifiquement «l’intervention structurée (agissant) sur les facteurs liés directement au comportement criminel du délinquant.» 2 Sont proposés, entre autres, des programmes de compétences professionnelles (CORCAN), de formation, de lutte contre la violence familiale, d’acquisition de compétences psychosociales, de délinquance sexuelle, de toxicomanie, de prévention de la violence, d’évaluation et d’accréditation. Le mandat est fondamental et la théorie efficace, mais la réalité n’a pas de lieux communs et implique son lot de contraintes individuelles. Ainsi, en dépit du fait que les programmes servent à outiller les contrevenants, l’initiative demeure vaine si elle ne s’inscrit pas dans une démarche volontaire, tel que l’indique Jack : «les programmes ne te changent pas si tu ne le veux pas.» Évidemment, il est souvent nécessaire de presser des contrevenants qui, à prime abord, n’entrevoient pas les effets bénéfiques des programmes. Le temps passé en détention doit être investi de façon constructive pour la rédemption sociale du délinquant. Des programmes entièrement suivis par obligation risquent toutefois de résulter davantage en diplôme vide qu’en acquisition de compétences personnelles. De plus, la rigidité de certains programmes semble également rebuter des individus qui, comme Dragon, ne parviennent pas à «entrer dans le moule». Ce cadre trop structuré peut-il représenter une des raisons pour lesquelles des détenus ne veulent pas s’y soumettre?

Bien que critiques envers la forme, les trois hommes concèdent toutefois le bien-fondé des programmes qui, jumelés au temps, leur a permis d’améliorer leurs aptitudes personnelles. À cet effet, Rocky affirme être parvenu à atteindre une maturité et un contrôle de luimême : «je ne me suis pas guéri de la révolte, mais j’ai appris à me maîtriser.» Abondant dans le même sens, Dragon affirme, quant à lui, avoir acquis de la sagesse, au détriment de la haine. Satisfaits d’avoir eu le dessus sur leurs émotions, ces détenus aspirent désormais à atteindre des compétences professionnelles, par l’entremise de formation. Certains programmes mériteraient donc, selon eux, d’être réorientés en fonction de la réinsertion sociale. Davantage pratiques, ces derniers prépareraient les contrevenants à leur sortie, tant pour l’emploi que pour les obligations quotidiennes. D’une voix commune, ils réclament davantage de cours en formation professionnelle qui leur apporteraient la certification et les qualifications requises pour réintégrer le marché du travail. «Ça prend des métiers.»

En plus de ces cours, Jack, Rocky et Dragon revendiquent une formation en économie familiale, qui se présenterait comme un programme pratique de la vie courante. «En détention, on se déresponsabilise et on devient des handicapés sociaux.» Ce constat fracassant, exposé par Rocky, témoigne de la longue durée de son incarcération, particulière situation qu’il partage toutefois avec d’autres contrevenants. Détenu depuis 25 ans, il souligne ne plus avoir les réflexes quotidiens reliés aux obligations que doit normalement assumer un citoyen. Parce que le retour à la réalité, ce n’est pas seulement recouvrer sa liberté. C’est également le retour aux responsabilités. À l’instar des jeunes qui découvrent les rudiments de la vie, ces hommes devront réapprendre à se charger d’eux-mêmes, dans la société actuelle, et non celle qu’ils ont quittée il y a plus de vingt ans… C’est dans cette optique que se fonde leur demande : être mieux outillés pour le retour à la réalité, en ce qui a trait aux obligations monétaires, aux assurances, au logement, etc. Munir les détenus pour leur sortie, c’est également leur donner les moyens de réussir, tel que le souhaite Jack : «dehors, j’ai besoin d’un métier. Et d’une chance.»

La sortie…

La philosophie du système de justice canadien met l’emphase sur la réhabilitation sociale. Afin d’en assurer la réussite, il faut établir des plans de sortie efficaces qui permettront aux détenus d’être prêts et aptes à réintégrer la société. Conséquemment, la mise sur pied de programmes pratiques, axés sur la sortie des contrevenants est en totale adéquation avec ce principe : ils leur octroient des outils professionnels qui sont garants du succès de la réinsertion. Ces mesures ne sont toutefois pas suffisantes sans la maturation des détenus. L’expérience de Dragon témoigne de ce besoin d’être mûr. Emprisonné depuis 30 ans, ce dernier affirme n’être prêt que depuis 4 ou 5 ans. Une très longue période de temps lui a donc été nécessaire pour reprendre le dessus sur son passé. Se sentant désormais apte à recouvrer sa liberté, il espère pouvoir compter sur des gens, à sa sortie : «je vais devoir m’adapter, demander de l’aide, du support et des ressources.»

Un suivi en communauté, voilà ce qu’attendent les trois hommes pour leur retour en société. Parce qu’il redoute que la «réalité (ne) frappe beaucoup plus fort en dehors qu’en dedans», Jack estime que la sortie doit être effectuée par étapes, afin d’estomper le choc que provoque la confrontation des deux milieux. Ou plutôt des deux mondes. En graduant ce retour, les individus peuvent alors mieux s’y préparer, en étant supervisés par des personnes-ressources. D’abord à l’intérieur des murs, ils acquièrent des compétences personnelles et professionnelles. Ensuite, sur le terrain, ils réintègrent progressivement la communauté, en structurant leur nouveau quotidien. Pour ce faire, ils doivent toutefois sortir, car pour assurer la réhabilitation d’une personne, il faut l’amener dehors! En l’encadrant. Dans cette optique, les détenus jugent essentielle la libération d’office qui donne l’opportunité aux contrevenants fédéraux de bénéficier d’une telle zone d’adaptation contrôlée. Prévoir la sortie, c’est donc offrir une chance aux contrevenants de réussir leur retour en société. Prévoir la sortie, c’est aussi limiter les chances qu’ils reviennent.

Acteurs du système

Pour ces détenus d’expérience, la critique est prompte. Les frustrations peuvent toutefois être compréhensibles. «On n’est pas ici pour se plaindre. On a fait un crime et on doit payer pour, mais ils doivent trouver des moyens d’utiliser adéquatement le temps durant lequel on est ici.» Leurs opinions personnelles demeurent pertinentes, dans la mesure où elles sont basées sur leurs besoins et leur vécu. En complémentarité aux études et statistiques des autorités, ce sont finalement leurs réponses qui témoignent du succès ou de l’échec d’un programme.

Sur l’ensemble du système, c’est essentiellement la tendance répressive qui les préoccupe actuellement. Témoins de l’activité pénitentiaire, ils assistent aux allées et venues de détenus qui se frappent à des règles extérieures rigides qui ne favorisent aucunement l’individualité des cas. L’emprisonnement, pourtant considéré comme un moyen de dernier recours, est une alternative trop souvent utilisée aux yeux de Rocky : «la prison a tendance à devenir un fourre-tout.» C’est ainsi qu’il côtoie des individus qui, selon lui, n’ont manifestement pas leur place au sein d’une institution carcérale. En corrigeant des personnes avec les mauvais outils, «ça créé des conditions gagnantes pour empirer (leur) cas.» Pour Dragon, Jack et Rocky, la justice, la criminalité et la sécurité sont toutes des questions de société qui doivent être prises au sérieux. Ils considèrent toutefois que les mesures doivent être plus proactives et que les efforts ne doivent pas se limiter à la punition, car «ce n’est pas avec un système plus répressif que les problèmes se régleront. Il faut plutôt aller à la racine du problème et s’occuper de la jeunesse.»


1 Par souci de confidentialité, les prénoms des personnes interviewées ont été modifiés.
2 Services correctionnels canadien (programmes correctionnels)