Revue Porte Ouverte

Écoutons ce qu'ils ont à dire

Par Catherine-Eve Roy,
ASRSQ

Savoir profiter de sa deuxième chance

Certains ex-délinquants retournent délibérément dans les rouages du système correctionnel. Attention aux préjugés! Les personnes dont il est question sont loin d’être des récidivistes; ce sont plutôt des guides qui profitent de cette deuxième chance que leur donne la société pour aider les leurs. Pour ce faire, ils se servent positivement de leur expérience, afin de faire un témoignage d’espoir. C’est avec courage qu’ils acceptent de revenir dans un environnement qui leur rappelle des moments difficiles, dans le but de soutenir des gens qui auront, eux aussi, droit à leur deuxième chance. Rencontre avec un de ces guides : Gilles Thibault.

Du crime à la vocation

L’histoire de cet homme est particulière. Condamné à vie dans les années 1970, il met un terme à sa détention en s’évadant pendant trois ans, une période durant laquelle il conserve tout de même son identité et… émet ses rapports d’impôt. Un fugitif conformiste. «Je me suis évadé parce que je ne me sentais pas à ma place. Je n’étais pas considéré comme un criminel par les autres détenus. Ils m’appelaient le “citoyen.” J’étais l’intello de la gang.» Au total, M. Thibault a purgé 10 années de pénitencier. Pour sa libération, il propose un plan de sortie avec un contrat de travail rémunéré. Du jamais vu à l’époque. Sa détermination lui permet d’aspirer à un futur prometteur.

En communauté, il travaille alors dans le domaine de l’informatique, donne quelques conférences à des étudiants universitaires et participe à des causeries qui traitent de la criminalité.

Sans gêne, il partage ouvertement son expérience personnelle. Pour lui, étaler son statut de condamné à perpétuité n’est pas honteux; c’est une opportunité de témoigner de la valeur d’une personne, quelle qu’elle soit. «Je n’affiche pas qui je suis par fierté, mais pour sensibiliser les gens. Aussi pour réparer ce que j’ai fait.» Au fil du temps, il exerce plusieurs métiers et s’amarre tranquillement dans un quotidien qui l’éloigne de son passé. Au bon moment, Gilles Thibault entend parler d’Option-Vie. Offert pour des condamnés à perpétuité, ce service est octroyé par des personnes qui purgent, elles aussi, une peine à perpétuité, mais qui se sont réinsérées dans la collectivité depuis au moins cinq ans. Le soutien qu’elles offrent permet aux délinquants de cheminer tout au long de leur peine. «Il ne faut jamais oublier qu’on a été en prison. Je l’ai presque fait. Pendant des années, tu as réfléchi, tu as travaillé sur toi. Oublier, c’est perdre de vue tout le travail que tu as fait.»

«Mon rôle, c’est d’être un point d’ancrage pour les personnes à la dérive.»

Voilà donc 7 ans que Gilles Thibault œuvre à Option-Vie. En tant qu’intervenant-accompagnateur, il apporte une aide aux individus en détention, en transition et ceux vivant des difficultés d’intégration en société. «M on rôle, c’est d’être un point d’ancrage pour les personnes à la dérive.» Ce qui était, au départ, une façon de se réinvestir dans un domaine qu’il connaît particulièrement bien représente désormais une certaine vocation. Lorsqu’il partage son expérience de travail, les yeux de cet ancien contrevenant s’illuminent. «J e continue (mon implication) parce que ça me fait vivre. Parce que je reçois des appels de mes gars à chaque soir. Ça me valorise. De voir le bonheur d’une personne qui s’en sort, ça m’anime.» Devenir «l’ange» d’une personne ou «celui qui lui a sauvé la vie» représente effectivement une mission extraordinaire. Pour cet ex-détenu, il s’agit désormais d’une passion.

Un regard critique et compréhensif

En tant qu’intervenant et ex-détenu, M. Thibault a une vision unique du système correctionnel : de l’intérieur et de l’extérieur, celle du passé et celle d’aujourd’hui. Sa perspective lui permet donc de porter un regard critique sur le milieu. En matière de justice, il partage son inquiétude face à la forte prolongation des sentences, qui ne semble être avantageuse ni pour les détenus ni pour la société. De plus, ce phénomène intensifie l’institutionnalisation qui laisse aux prisonniers des marques indélébiles nuisant manifestement à leur réhabilitation. Les commentaires qu’il formule pour le système correctionnel, quant à eux, se généralisent pour l’ensemble de l’appareil public. «C’est la même chose pour les hôpitaux et les écoles. Il y a trop de paperasses. Les gens s’investissent moins. Il y a un immobilisme. Un malaise de société.» Également, en fonction de son propre vécu et de son expérience d’intervenant-accompagnateur, il remet en question l’ensemble des programmes. Ceux qui sont offerts actuellement sont bénéfiques et nécessaires, mais ils ne concernent presque uniquement que les compétences personnelles. Donc, une fois ces aptitudes acquises et maîtrisées, que fera concrètement un contrevenant, en société, s’il n’a aucune qualification professionnelle? Gilles Thibault s’en inquiète. «Je crois que les gars seraient plus équilibrés s’il y avait un meilleur mariage entre «programmes» et «formation».

Afin de contribuer à l’amélioration des services offerts aux délinquants, l’intervenant projette de mettre sur pied des séances d’information, entre autres pour les conjointes. Car selon lui, «la pression est excessivement grande, à la sortie de prison.» Effectivement, en plus de devoir composer avec les exigences de son agent de libération conditionnelle, l’individu doit satisfaire les attentes de sa famille et de son entourage. Sans parler du travail qu’il doit rapidement trouver. Puisque les membres de la famille jouent un rôle primordial dans la réinsertion d’une personne, M. Thibault juge important de les informer des obligations et de la réalité de cette dernière. Quant à la prévention, ce représentant d’Option-Vie s’y engage en rencontrant des jeunes et en «démystifiant la prison.» En partageant son histoire, il espère en convaincre quelques-uns et sensibiliser les autres.

L’expérience de Gilles Thibault est un témoignage positif, qui confirme le bien-fondé d’une idéologie basée sur la réhabilitation des délinquants. Une organisation comme la sienne contribue, à sa façon, aux réussites du système; il s’agit d’une très bonne ressource qui complète les services déjà offerts par le milieu. Parce qu’ils ne font pas partie du réseau formel, ces intervenants-accompagnateurs ont la confiance des détenus. «Aussi, nous sommes de plus en plus estimés par le personnel en place.» Charitable, l’implication de M. Thibault est également caractérisée par un besoin personnel de satisfaction et d’accomplissement. «C’est une relation d’aide qui m’est bien rendue.» Avec ses «gars», il n’oublie plus d’où il vient et garde les pieds sur terre. «Lorsque tu es condamné à vie, c’est pour la vie. On ne sait jamais… Je ne prends plus rien pour acquis.