Revue Porte Ouverte

Écoutons ce qu'ils ont à dire

Par Leon Mar,
Réseau juridique canadien VIH/sida (www.aidslaw.ca)

Le tatouage en prison : épineux problème

Au Canada, les détenus sont de sept à dix fois plus susceptibles de vivre avec le VIH et 30 fois plus susceptibles d’avoir le virus de l’hépatite C (VHC) que le reste de la population. Cela est dû en partie à l’absence de matériel stérile de tatouage. Les détenus fabriquent des aiguilles et des encres de tatouage qu’ils réutilisent et partagent, ce qui accroît le risque de transmission du VIH et du VHC.

Dès 1994, le Comité d’experts sur le sida et les prisons (créé par le Service correctionnel du Canada) recommandait des programmes de tatouage sécuritaire en prison pour remédier à ce problème. En septembre 2005, le SCC a enfin annoncé la mise en œuvre d’un projet pilote de tatouage sécuritaire, d’une durée d’un an, financé par l’Agence de santé publique du Canada. Des salons de tatouage ont été ouverts dans six prisons fédérales, dont un au Québec (à Cowansville). Les responsables du fonctionnement des salons étaient des détenus, supervisés par des employés correctionnels. Le tatouage du crâne et des régions supérieures à la clavicule et inférieures aux poignets, de même que les tatouages à l’effigie de gangs, étaient interdits. Les détenus tatoueurs ont reçu une formation en prévention et contrôle des infections, afin de devenir pairs éducateurs à la santé.

Une abolition prématurée

Mais en décembre 2006, le ministre de la Santé publique, M. Stockwell Day, a annulé ce programme, avant même que l’évaluation finale en soit complétée. Où sont les données qui appuient cette décision? Quels sont les faits et chiffres qui démontrent que c’est une saine politique publique?

L’abolition du programme pilote de tatouage sécuritaire dans les prisons canadiennes est un choix irresponsable sur le plan fiscal et menace la santé publique et les droits humains. Les détenus sont condamnés à purger une peine en prison, mais non à contracter des infections mortelles et transmissibles. Ce programme aurait pu réduire les taux de maladies infectieuses (comme le VIH et l’hépatite C), non seulement parmi les détenus, mais aussi dans la population générale. Selon des données et l’avis d’experts, le tatouage sécuritaire sauve de l’argent et des vies; il devrait être introduit dans toutes les prisons du Canada. Toutefois, il est rare que les décisions politiques se fondent uniquement sur des données. D’aucuns pourraient se demander : pourquoi n’empêche-t-on pas, simplement, le tatouage dans les prisons? Parce que la prohibition n’a jamais fonctionné; elle n’a fait qu’encourager la clandestinité. En conséquence, le tatouage en prison se pratique de façon secrète, à la hâte, souvent dans des conditions insalubres et avec des outils de fortune comme des aiguilles à coudre, des trombones et des attaches de sacs à ordures. De telles pratiques augmentent les risques de transmission du VIH, du VHC et d’autres infections hématogènes dans le système carcéral.

Le problème ne se limite pas aux détenus; il s’étend jusqu’au public. La plupart des détenus retournent éventuellement dans la communauté, avec les infections contractées en prison, qui sont transmissibles par les rapports sexuels, l’usage de drogue et d’autres comportements. Il en résulte que le tatouage devrait être pratiqué de façon sécuritaire — que ce soit dans un salon au centre-ville ou en prison. C’est une question de santé publique. Certains diront qu’il est irresponsable d’utiliser l’argent des contribuables pour financer le tatouage entre détenus. Mais en réalité, si nous ne payons pas maintenant, nous le paierons plus tard.

Un projet rentable

Chacun des six projets de tatouage sécuritaire coûte un peu plus de 100 000 $ par année. Or, chaque cas de VIH coûte environ 20 000 $ par année à traiter et chaque cas de VHC 25 000 $. En prévenant seulement cinq cas d’infection dans chaque site pilote, le programme aura été rentable. La leçon est la suivante : l’introduction immédiate du tatouage sécuritaire est justifiée, sur le plan financier, parce qu’elle évitera des dépenses sanitaires bien plus élevées à long terme. En éliminant le besoin de dissimuler le matériel de tatouage, les salons de tatouage réduiraient la probabilité de tels incidents. Ils préviendraient ainsi la transmission du VIH ou du VHC entre détenus, aux employés correctionnels et, éventuellement, au public.

Ce gouvernement minoritaire, qui convoite la majorité, a cédé à l’idéologie. Est-ce que les électeurs, qui souvent ne saisissent pas le lien entre la santé des détenus et la santé publique, le laisseront faire?