Revue Porte Ouverte

Employabilité et réinsertion sociale

Par Marco St-Pierre,
Coordonnateur, La Jonction

Le travail de conseiller en emploi auprès de personnes judiciarisées

Lorsque nous œuvrons à titre de conseiller en emploi auprès de femmes et d’hommes ayant un casier judiciaire, nous avons comme mandat de favoriser l’intégration ou la réintégration de ceux-ci au marché du travail grâce au développement de leur employabilité. Il y a différents moyens qui peuvent être utilisés pour y arriver, que ce soit l’utilisation de programmes d’Emploi-Québec tels que la mesure Devenir, une entreprise d’insertion, une subvention salariale, une formation professionnelle et évidemment le marché du travail en ligne directe. Il ne faut pas oublier de nommer un des moyens essentiels : les organismes spécialisés auprès de la clientèle judiciarisée adulte, comme La Jonction. Nos pratiques d’interven-tions spécialisées en employabilité auprès de ces personnes visent à faciliter leurs démarches et à atténuer les obstacles auxquels elles font face. Nous n’entrerons pas dans le détail du comment concrè-tement intervenir avec la clientèle judiciarisée dans une démarche d’employabilité. Nous nous attarderons aux prédisposions requises pour travailler comme conseiller, aux éléments importants à connaître de notre client et aux connaissances nécessaires à l’ana-lyse éclairée de la situation de celui-ci.

Vouloir être conseiller en emploi auprès de personnes judiciarisées

À La Jonction, pour être conseiller en emploi, il faut que l’individu démontre qu’il a de l’intérêt à aider les personnes judiciarisées et qu’il croit au potentiel de changement et de réhabilitation de notre clientèle. La notion de choix est un impératif car essentiellement nous travaillons pour une organisation dont la mission est d’aider cette clientèle. Pour obtenir des résultats concrets avec le client, il faut développer un lien de confiance; le conseiller en emploi doit pour cela « faire ses preuves »… Plusieurs clients qui viennent quérir nos conseils sont de nature méfiante à l’égard des autres en général, et des intervenants en particulier. Dans le processus d’aide, la personne qui nous consulte sait qu’elle aura à confier des éléments de sa vie qui peuvent être très personnels et avant d’en dire beaucoup ou d’aller plus loin dans ses confidences, elle aura tendance à « tester » l’intervenant qui est devant elle. Le conseiller en emploi gagne en crédibilité, aux yeux de la clientèle, par son attitude générale, par ses réactions à des propos parfois durs, par son ouverture d’esprit et par ses compétences.

Le client qui se rend compte que le conseiller connaît la «game» aura tendance à être plus authentique, plus franc et à accorder sa confiance plus facilement.

Être crédible

Pour être crédible, le conseiller en emploi doit démontrer qu’il sait à qui il a affaire, par quoi cette personne est passée et qu’il connaît les difficultés qui la suivent peut-être encore. Premièrement, il doit connaître les systèmes correctionnels et leurs rouages. Nous nous devons d’être capables de faire la différence entre une prison et un pénitencier, un médium et un maximum, un détenu fédéral visé par la mesure de maintien en incarcération versus un autre obtenant sa libération conditionnelle facilement à cause de sa bonne conduite, etc. Le client qui se rend compte que le conseiller connaît la game aura tendance à être plus authentique, plus franc et à accorder sa confiance plus facilement.

Deuxièmement, nous nous devons de bien comprendre la différence entre les statuts judiciaires et leurs implications. Par exemple, une personne en probation sans suivi n’aura pas les mêmes contraintes qu’une autre qui est en sursis de sentence accompagnée d’une assignation à résidence de six mois. Cette dernière aura des contraintes particulières dont on devra tenir compte tout au long de la démarche.

Ces deux éléments, la détention et le contrôle post-détention exercé sur la personne judiciarisée, peuvent sembler banals pour certains, mais pour nous ils peuvent avoir ou avoir eu un effet majeur sur l’individu et sa vie. Ainsi, la connaissance approfondie de ces éléments nous aide à analyser et identifier à quel niveau le client peut en subir des impacts négatifs. La pertinence des conseils et des solutions proposées aux clients pour contrer ces impacts feront en sorte que la personne aidée aura tendance à faire confiance à son conseiller, ce dernier lui démontrant qu’il sait comment l’aider à atténuer les impacts négatifs de ses démêlés avec la justice.

L’évaluation de la situation judiciaire

Le point de départ d’une démarche est l’évaluation approfondie de la situation du client. Elle se fait à deux niveaux : sa situation judiciaire et sa situation de travailleur.

La situation de travailleur de la personne a un lien direct avec son potentiel d’embauche. Selon le niveau de ce potentiel ou de ce niveau d’employabilité, nous aurons comme tâche de trouver avec elle des solutions adaptées à sa situation et répondant le mieux possible à ses besoins. Ainsi, les moyens nommés au début de ce texte entrent en ligne de compte car ils deviennent une réponse à un ou des besoins précis face au développement de l’employabilité de notre client. Pour évaluer cette dernière, nous explorons un à un les facteurs d’employabilité : la motivation, les intérêts, l’ensemble des expériences de travail (déclarées, non déclarées, en détention, etc.), la scolarité, la santé, l’aptitude à se chercher du travail, les attitudes et comportements en emploi et autres facteurs complémentaires tels que le fait de posséder un permis de conduire valide ou un moyen de transport. Chacun de ces facteurs contient une panoplie d’éléments essentiels à l’évaluation exhaustive de notre client qui nous permettent en définitive de tracer le profil d’employabilité et le potentiel d’embauche de celui-ci.

En parallèle à ces facteurs, nous nous devons de connaître la personne sous l’angle de la délinquance afin d’identifier clairement quel sera l’impact de sa judiciarisation sur sa démarche d’intégration ou de réintégration au marché du travail. Pour ce faire, nous devons connaître toutes les causes criminelles de notre client : date, nature du délit, nombre de chefs d’accusation, contexte des délits, état de notre client lors de la commission des délits (état psychologique, intoxiqué, etc.) et l’objectif visé par chaque délit. Nous devons aussi avoir un portrait des peines obtenues : la durée de chaque peine, le lieu de détention, les expériences de travail en détention, les études et la formation professionnelle acquise durant sa peine. Ensuite, nous avons, à partir des précédents renseignements et d’un questionnement complémentaire, à identifier les facteurs criminogènes propres à chacun. Pour y arriver, nous explorons la sphère familiale, le milieu de vie, le réseau social, les problèmes possibles de dépendance (alcool, drogue, jeu, etc.), les difficultés relatives à la santé (mentale, physique, psychologique), les troubles de comportement (agressivité, impulsivité…), la capacité qu’a l’individu de gérer ses émotions, etc.

En ayant ainsi un historique criminel détaillé, un historique des peines et un profil des causes possibles de sa délinquance, nous sommes en mesure d’analyser, de mesurer et d’identifier précisément les impacts sur sa démarche d’intégration ou de réintégration au marché du travail.

L’impact du casier judiciaire

Les impacts sont nombreux, et les causes aussi. La simple présence d’un casier judiciaire, tout comme le fait d’avoir fait de la détention, le nombre de peines et la durée de celles-ci ont un impact. Le suivi légal exercé par le réseau correctionnel et les conditions à respecter en ont un aussi, de même que la nature du ou des délits et le style de vie de la personne. Il y a donc plusieurs causes aux impacts, pas seulement le casier judiciaire.

Une croyance populaire que nous avons observée dit que le casier judiciaire fait obstruction seulement au niveau du choix d’emploi… si ce n’était que ça, ce serait génial. Malheureusement, les obstacles se font sentir aussi au niveau du choix d’études, de l’embauche, de la recherche d’emploi et du maintien en emploi.

Un des rôles que nous avons, c’est de faciliter le passage d’un système de valeurs à un autre avec le moins de heurts possibles et avec un taux de succès optimal. Pour y arriver, nous devons identifier clairement l’impact du casier. Tous les éléments nommés ci-haut s’additionnent dans l’analyse que nous devons faire pour finalement nommer pour chaque personne aidée les impacts réels qui deviendront des obstacles sur leur route vers l’emploi.

En somme, à titre de conseiller en emploi œuvrant auprès de personnes judiciarisées, nous devons posséder des connaissances nous habilitant à évaluer les impacts possibles, posséder le savoir-faire et le savoir-être pour intervenir avec la clientèle judiciarisée, être en mesure d’identifier des solutions adaptées aux impacts observés et pouvoir bénéficier du support d’une organisation qui a développé une expertise concernant l’employabilité de cette clientèle.