Revue Porte Ouverte

Employabilité et réinsertion sociale

Par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Il était une fois dans l’Ouest

Les statistiques sont éloquentes, et ont été maintes fois répétées : en 2007, le taux de criminalité au Canada a atteint son plus bas niveau en plus de 30 ans. De plus, de nombreuses études ont permis de dégager plusieurs consensus : en matière de justice pénale, la prévention est plus efficace et moins onéreuse que la répression. La libération progressive est capitale à une démarche de réinsertion sociale. L’approche de réduction des méfaits a fait ses preuves. Les échanges de seringues en détention (qui existent en Biélorussie et en Iran, mais pas ici!) réduisent les risques d’infection et de propagation du VIH et de l’hépatite C. Et cetera.

Malgré tout, les menus législatifs des dernières années ont plutôt opté pour la voie contraire : répression, durcissement des peines, remise en question de la libération d’office, construction d’infrastructures et investissement massif dans la sécurité statique s’inscrivent dorénavant comme panacée à la criminalité et gage infaillible de la sécurité publique.

La position adoptée ces dernières années sur la drogue, guidée exclusivement par des critères idéologiques, est un excellent exemple de l’approche adoptée pour lutter contre le crime. Ainsi, des 120 millions de dollars investis pour éliminer les drogues dans les pénitenciers, pas un sou n’ira à la prévention, pas plus que le programme ne s’interroge sur les causes de la toxicomanie. Au programme, plutôt : plus de chiens détecteurs, d’agents de renseignements de sécurité, de détecteurs ioniques, de machines à rayons X et de fouilles à l’entrée des établissements de façon, notamment, à « éviter que des enfants soient utilisés pour le trafic de substances illicites». Ces mesures seront-elles d’un grand secours aux sept détenus fédéraux sur dix qui ont, d’après le Service correctionnel du Canada (SCC), un problème de toxicomanie? Dans son dernier rapport, l’Enquêteur correctionnel mentionnait que depuis 1998, le SCC intensifie ses efforts afin d’empêcher l’introduction de drogues dans ses établissements… et que des contrôles faits au hasard « montrent que la consommation de drogues [y] a diminué de moins de 1 % entre les exercices 1998-1999 et 2006-2007 ». Peut-être n’y avait-il pas assez de chiens.

Plus tôt cette année, le premier ministre a annoncé que Savoir plus et risquer moins, un livre commandé par le gouvernement précédent visant à informer les jeunes sur la drogue ne sortirait pas des entrepôts où dorment depuis les 500 000 copies imprimées.

La raison? On n’apprécie pas le ton général de l’ouvrage et, surtout, le fait qu’on y fasse allusion aux sensations agréables que peuvent provoquer les drogues. Le ministre fédéral de la Santé, celui-là même qui en août dernier a mis en doute l’éthique de ceux qui avalisent la consommation de drogues intraveineuses dans les centres d’injections supervisées, a déclaré à la suite de cette annonce que « les Canadiens ont droit à un message anti-drogue sans ambiguïté pour protéger leurs enfants ». Ce message clair a été diffusé peu après, dans un dépliant distribué à travers le pays: « les drogués et les revendeurs de drogue n’ont pas leur place près des enfants et des familles. Leur place est la désintox ou la prison», y est-il écrit. Ce même document fait état de trois mesures prévues pour régler le problème, dont «garder les drogués dans les centres de désintoxication et les chasser de nos rues».

Récemment, un projet de loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a été déposé dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue. En première lecture avant le déclenchement des élections - et mort au feuilleton vu ces dernières - il voulait notamment imposer des peines d’emprisonnement minimales pour les infractions graves liées aux drogues et augmenter les peines maximales. Au même moment, les États-Unis - pionniers des peines minimales et de l’incarcération massive - réalisent que ces mesures sont inefficaces, voire contre-productives et qu’à leur coût social astronomique s’ajoute une facture se chiffrant à plusieurs millions de dollars. Le gouvernement aura-t-il le moyen de ses ambitions?

Les mesures mises en place dans le cadre de la lutte à la drogue l’illustrent bien : de plus en plus, la justice pénale tend vers une division manichéenne du monde axée sur les notions de bien et de mal. Des positions purement subjectives (et coûteuses!) y défient toute logique et l’emportent sur le travail des chercheurs et l’expertise des intervenants. La répression remplace peu à peu la prévention, ce que justifient des discours de plus en plus démagogiques.

Pendant ce temps, tout est mis en oeuvre pour faire croire aux citoyens que des problématiques complexes peuvent être résolues par des solutions simples. Pour ne pas dire simplistes…