Revue Porte Ouverte

Employabilité et réinsertion sociale

Par Michel Monette,
Directeur des opérations main-d’œuvre pour Via Travail Inc.

et France Bédard,
Directrice associée des Centres de main-d’œuvre OPEX 82 Laval, Laurentides et Lanaudière

L’importance du travail dans la réinsertion sociale des personnes judiciarisées… mythe ou réalité ?

Un des facteurs clés pour définir l’insertion sociale demeure l’emploi. En effet, l’occupation d’un emploi implique un important investissement de temps au quotidien, développe une estime de soi positive, permet de consolider un réseau social, représente une source de revenus essentielle à la vie en société et contribue au bon développement de cette société. D’ailleurs, la plupart des sociologues s’entendent pour affirmer qu’une grande importance est accordée au travail pour construire une identité conforme aux critères de normalité imposés dans la société.

C’est particulièrement vrai pour les personnes judiciarisées en processus de libération conditionnelle où l’occupation d’un emploi est fortement considérée dans l’évaluation de leur cheminement vers la réinsertion sociale.

Mais est-ce que le travail représente vraiment un facteur clé dans la réussite de la réinsertion sociale des personnes judiciarisées ?

Tout d’abord, établissons clairement les paramètres de cette réflexion. TOUS les intervenants et chercheurs impliqués dans le processus de réinsertion sociale des personnes judiciarisées sont unanimes pour affirmer que la réussite de celle-ci ne dépend pas d’un seul et unique facteur. Les problématiques rattachées à la réinsertion sociale d’une personne judiciarisée sont multiples, complexes et exigent des interventions qui touchent plusieurs facettes de la personnalité de l’individu concerné… et nous sommes bien en accord avec cette affirmation.

Un autre fait qui semble faire l’unanimité parmi ces mêmes intervenants et chercheurs, c’est que les personnes judiciarisées éprouvent de sérieuses difficultés à se trouver un emploi. En effet, en plus d’un manque de formation et d’expérience de travail caractéristiques, les personnes judi-ciarisées sont confrontées à de solides préjugés négatifs et une discrimination évidente de la part des employeurs.

En 2002, le Centre de criminologie comparée et l’ASRSQ ont tenu un colloque sur le thème de l’intégration sociale et professionnelle. Cet événement a permis la publication d’un ouvrage collectif sous la direction de Jean Poupart deux ans plus tard. Il regroupe des contributions de chercheurs francophones en provenance de la France, de la Belgique et du Québec.

Un texte de cet ouvrage (chapitre 11), rédigé par le criminologue Pierre Landreville, aborde l’impact du casier judiciaire lors du retour sur le marché du travail. Le criminologue y relate que : « l’une des conséquences sociales les plus décourageantes d’un dossier criminel est la difficulté de trouver un emploi.»

Par la suite, il présente plusieurs études juridiques réalisées tant aux États-Unis, en Europe qu’au Canada qui ont amplement documenté le fait que les conséquences légales des condamnations pénales sont très nombreuses, particulièrement dans le domaine de l’emploi.

Puis, il poursuit sa présentation : « Ces tendances semblent confirmées par l’étude menée à Montréal par Hattem et Parent (1982) pour le compte de la Commission canadienne des droits de la personne. (…) Les auteures ont constaté que, d’une façon générale, l’ancien contreve-nant doit faire face à de sérieux risques d’exclusion si ses antécédents judiciaires sont divulgués soit lorsqu’il cherche un emploi, soit lorsqu’il est candidat à une promotion. L’étude montre que dans les grandes entreprises, et dans certaines moyennes entreprises, la discrimination est moins le fait d’attitudes individuelles et volontaires, mais résulte de la logique et des mécanismes d’embauche de l’organisation qui désavantage les personnes qui ont eu une condamnation pénale et particulièrement celles qui ont été incarcérées. »

On pourrait continuer à citer plusieurs recherches qui arrivent aux mêmes conclusions. Pour ma part, les personnes judiciarisées que j’ai interrogées à cet effet m’ont toutes regardé d’un air soucieux et incrédule. Étonnamment, elles avaient toutes déjà vécu le même type de discrimination à l’embauche dans une situation où leur statut de judiciarisé était connu… peu importe les écarts énormes entre leurs délits et leurs sentences.

En plus d’un manque de formation et d’expérience de travail caractéristiques, les personnes judiciarisées sont confrontées à de solides préjugés négatifs et une discrimination évidente de la part des employeurs.

On peut donc affirmer que les difficultés et obstacles que rencon-trent les personnes judiciarisées pour intégrer le marché du travail sont bien identifiés et reconnus. À preuve, Emploi-Québec a officiellement reconnu la clientèle judiciarisée comme faisant partie des groupes fortement démunis au niveau de l’emploi et nécessitant des interventions spécifiques. De plus, les services correctionnels fédéral et provincial contribuent déjà à des projets visant à faciliter l’accès à l’emploi des personnes judiciarisées sous leur responsabilité.

Maintenant, reste toujours à vérifier si le travail représente un facteur important dans la réussite de la réinsertion sociale des personnes judiciarisées.

Revenons au recueil publié en 2004. Un autre texte traite de réintégration des personnes ayant vécu une expérience d’incarcé-ration. Les criminologues Véronique Strimelle et Jean Poupart y présentent les résultats d’entrevues réalisées auprès d’une douzaine d’ex-détenus :

« Pour la plupart des personnes rencontrées, s’en sortir sans retomber équivaut à se trouver au plus vite du travail. En général, le travail représente pour ces personnes une source de revenus, mais aussi une occasion de trouver ou de retrouver une place, même minime, au sein de la société «normale». Pour certains, le travail représente aussi le moyen de ne plus faire de mauvais coups, de rencontrer des gens, de reprendre confiance en eux et de rattraper le temps perdu en prison. Ainsi, un interviewé a mentionné avoir récupéré un peu de son identité de «citoyen» en décrochant son premier emploi. Deux autres interviewés ont dit que le travail prenait une place exagérée dans leur vie, mais qu’ils se sentaient pressés par l’urgence de ne plus gaspiller une seule minute de leur temps après avoir connu une longue période de privation de liberté.

(…) Par contre, la question du travail se pose en d’autres termes pour ceux qui ont vécu de longues périodes d’institutionnalisation (…) Pour les personnes qui sont restées longtemps en prison, le besoin de se conformer et d’accéder à un travail, même précaire, semble surtout dicté par le désir de sortir de la prison et d’en finir avec le monde des détenus. En ce sens, condamnées à occuper des emplois précaires et subalternes, sinon à être en chômage, ces personnes empruntent la seule voie acceptable (aux yeux des institutions) pour ne plus retourner en prison et se refaire une vie le plus possible en dehors du contrôle institutionnel.

Conclusion (…) ces personnes, qu’elles aient ou non accès à un emploi, ont toutes mentionné dans leurs propos l’importance qu’elles accordent au travail pour se reconstruire une identité conforme aux critères de normalité imposés dans la société. »

Ces propos illustrent bien le sens accordé au travail par les personnes judiciarisées. Le travail leur apporte une sorte de « conformité » importante à leur insertion sociale. De plus, des études démontrent que le travail constitue un moyen efficace de prévenir la récidive. À titre d’exemple, en 1998 les auteurs Gillis, Motiuk et Belcourt de la Direction de la recherche du SCC ont démontré l’existence d’une relation entre l’obtention d’un emploi dans les six mois suivant la mise en liberté et la récidive :

« le taux de nouvelles condamnations pour les délinquants employés était la moitié de celui des délinquants sans travail (17 % contre 41 %) tandis que leur taux de perpétration de nouvelles infractions de violence correspondait au quart de celui du second groupe (6 % contre 21 %. »

Tous les organismes communautaires d’employabilité spécialisés auprès des personnes judiciarisées adultes, membres du Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte (CCCJA), adhèrent à l’affirmation que l’occupation d’un emploi représente un facteur clé dans la réussite de la réinsertion sociale des personnes judiciari-sées et contribue à la diminution de la récidive.

Ces organismes œuvrent depuis plus de trente ans en étroite collaboration avec les réseaux correctionnels fédéral, provincial et communautaire qui leur réfèrent une grande partie de leur acha-landage. Il va sans dire que cette utilisation constante des services d’employabilité laisse supposer, à tout le moins, que plusieurs intervenants concernés croient à l’importance du travail dans la réhabilitation des personnes judiciarisées.

Pour nous, il ne subsiste plus aucun doute : l’occupation d’un emploi représente un des facteurs clés dans la réussite de la réin-sertion sociale des personnes judiciarisées adultes aptes au travail. Nous ajoutons même que si une personne judiciarisée rencontre des difficultés à se trouver un emploi, cette situation pourrait engendrer une problématique majeure, puisqu’elle peut contre-venir à sa réhabilitation.

C’est pourquoi il faut accentuer la collaboration et la communi-cation entre tous les intervenants impliqués dans le processus de réinsertion sociale des personnes judiciarisées, incluant à juste titre les intervenants en employabilité, et ainsi favoriser grandement la réussite de notre mission commune.