Revue Porte Ouverte

Employabilité et réinsertion sociale

Par Bernard St-Jacques,
Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)

Judiciarisation des personnes itinérantes : luttes passées et à venir des milieux communautaires et juridiques pour des alternatives et la défense des droits

Dans l’édition précédente, nous avons tenté de définir la place qu’occupe la personne itinérante dans le système judiciaire. Nous avons constaté que cette dernière s’intègre mal aux différentes étapes de la procédure pénale, que son accessibilité au système judiciaire est constamment compromise et que l’emprisonnement, mesure de dernier recours, constitue pour elle rien de moins que la norme. Mais si trop de portes se sont ouvertes au cours des années afin d’alourdir inutilement la situation judiciaire des personnes marginalisées, les organismes qui leur viennent en aide ne sont pas restés les bras croisés, oeuvrant à des « alternatives à la judiciarisation » avec l’apport des milieux juridiques et de défense de droits. Question de se laisser sur une note un peu plus positive, attardons-nous à quelques-unes de ces initiatives. Pour ce faire, nous suggérerons la définition(1) d’ « alternative à la judiciarisation » de l’excellente chercheure Céline Bellot, criminologue et professeure à l’Université de Montréal, que nous exemplifierons autour de ses trois volets :

  • Comme alternative à l’incarcération;
  • Comme alternative à la prise en charge pénale;
  • Comme outil visant à dénoncer le regard problématique et responsabilisant.

Petites victoires, les deux pieds dans le système

Le premier volet, aussi le plus simple à réaliser, s’applique aux initiatives demeurant dans le domaine pénal mais qui vise à éviter le pire à la personne. Le meilleur exemple est l’entente de travaux compensatoires en vue d’éviter l’emprisonnement pour non paiement d’amendes. Complétons ce volet par deux démarches d’envergure. Le RAPSIM a mis sur pied la Clinique Droits Devant en novembre 2006 après une analyse soutenue des besoins spécifiques des personnes aux prises avec l’appareil judiciaire. Le résultat : un service personnalisé et communautaire d’information, de référence, d’accompagnement et de suivi spécifique aux personnes itinérantes dans la sphère judiciaire. On y privilégie une intervention sociale à une intervention juridique, le support moral étant aussi important que de ressortir la globalité de la situation judiciaire d’une personne et conseiller cette dernière. Le carnet de rendez-vous rempli et les cas de situations judiciaires réglées témoignent du succès d’une telle démarche visant néanmoins à guérir le problème plutôt qu’à le prévenir.

Une autre démarche consiste en la mobilisation du monde judiciaire et de la défense de droits. Pour les besoins de la Clinique, des contacts réguliers ont été développés avec la cour municipale de Montréal et le YMCA (pour les travaux compensatoires). Sinon, il s’est créée une communauté d’alliés autour de l’Opération Droits Devant du RAPSIM qui se compose du milieu universitaire, d’avocats et de groupes comme d’institutions de défense de droits. Des contacts ont aussi été faits avec les ministères concernés (Justice et Sécurité publique) et de la sensibilisation réalisée auprès de juges et procureurs de plusieurs instances.

La rigidité du système judiciaire et sa très lente évolution renforcent la nécessité de tels contacts et alternatives en vue d’entraîner un minimum de sensibilité au constat selon lequel cet appareil est mal conçu pour les plus pauvres. Trop souvent, les acteurs concernés directement par les cours de justice, comme les juges, n’ont pas conscience de ce fait. Ce serait d’ailleurs difficile de leur reprocher étant donné qu’autant les personnes itinérantes sont parmi les plus judiciarisées, autant souvent elles passent directement de la rue à la prison, grandes absentes qu’elles sont des salles d’audience. Il serait cependant difficile de leur en vouloir à elles aussi.

Certaines municipalités nord-américaines ont fait le choix politique de s’obliger à trouver des solutions alternatives qui s’appuient sur le logement pour soulager l’itinérance plutôt que d’avoir recours à la voie judiciaire. Voilà une forme de transfert de contrôle social qui aurait intérêt à se développer davantage ici.

Un autre mode de prise en charge

Un deuxième volet de la définition perçoit l’« alternative à la judiciarisation comme alternative à la prise en charge pénale ». Les façons d’exercer un contrôle social différent réfèrent souvent à des pratiques favorisant la réinsertion socioprofessionnelle. Un exemple est le projet communautaire TAPAJ(3), qui se lit « Travail alternatif payé à la journée ». Dans ce cas-ci, on suggère une autre forme de contrôle social, avec des valeurs qui confrontent ce qu’on considère qui fait défaut à la personne. Cependant, bien que ce type d’approche semble constituer une panacée, il faut savoir qu’il n’en est rien. Autant la réinsertion en emploi, médecine de la valeur travail des grandes sociétés industrialisées, semble être la réponse à tous les maux, autant il faut comprendre que le parcours d’une personne itinérante est très variable et découle de multiples facteurs. Pour en revenir au domaine judiciaire, l’approche thérapeutique ou les travaux compensatoires peuvent apparaître, pour le juriste, comme une sorte de porte de sortie de l’exclusion alors que les facteurs de cette même exclusion vont bien au-delà d’un problème de qualification, voire même de revenu.

De manière à le rendre plus positif et moins contraignant, élargissons ce volet de la définition en intégrant le logement social et le soutien communautaire (4) qui l’accompagne. En partant du principe qu’une pratique se doit d’être volontaire pour qui en bénéficie, le logement suggère autant une façon de vivre bien différente qu’un moyen potentiel pour sortir de la rue. Certaines municipalités nord-américaines sont fait le choix politique de s’obliger à trouver des solutions alternatives qui s’appuient sur le logement pour soulager l’itinérance plutôt que d’avoir recours à la voie judiciaire. Certes plus douillette, voilà une forme de transfert de contrôle social qui aurait intérêt à se développer davantage ici, avec un discours d’élus cessant d’être rétrograde,l’accession plus aisée et l’encouragement à un logement et le refus pur et simple de l’inutile répression.

Lutte aux préjugés, dénonciation et sensibilisation : cette fois, nos élus et nous-mêmes au banc des accusés

Enfin, la définition d’«alternative à la judiciarisation comme outil visant à dénoncer le regard problématique et responsabilisant sur les personnes marginales » suggère de nous immiscer dans un ensemble d’interventions globales et en amont de la problématique de judiciarisation. Il est entre autres question ici de l’importante lutte menée avec le Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec (RSIQ)depuis deux ans pour la mise en place d’une Politique québécoise plurielle en itinérance. À ce sujet, rappelons qu’une commission parlementaire sur l’itinérance d’une douzaine de jours s’est tenue dans quatre villes québécoises cet automne.

Aussi générales quoique davantage en lien avec l’occupation de l’espace public, des campagnes et interventions plus politiques ont été menées pour réclamer l’abandon de la judiciarisation de personnes marginalisées, dénoncer le caractère discriminatoire dans la remise des contraventions et le recours systématique à la prison. Un autre domaine, et non le moindre, est la réglementation, le RAPSIM continuant d’insister auprès des autorités municipales pour que celle-ci soit révisée et appliquée différemment. La Commission des droits de la personne (CDPDJQ) a d’ailleurs été saisie de la question et doit remettre des recommandations aux autorités concernées sur le sujet d’ici la fin de l’année.

Bien du travail reste à faire en ce domaine, mais cette réglementation a notamment fait partie des principales priorités d’intervention sur l’occupation de l’espace public suggérées à la Ville de Montréal par le RAPSIM dans le cadre d’une consultation publique sur l’itinérance qu’elle a tenue en avril dernier. Donc, pourquoi pas nous laisser justement avec ces trois mesures d’envergure qui, une fois appliquées, pourraient véritablement changer le visage de notre ville, et (pour faire changement) pour le mieux cette fois?

La Ville doit revoir la réglementation et son application, notamment discriminatoire. Les personnes reçoivent bien souvent des contraventions pour des fautes commises par tous et toutes. La Ville a le pouvoir de donner des directives au SPVM comme à la STM afin qu’ils cessent de ne « gérer » la présence des personnes dans l’espace qu’à trop court terme;

La Ville doit développer un discours qui favorisera la cohabitation harmonieuse, en s’assumant comme représentante de l’ensemble des citoyens,en favorisant le dialogue par son exemple et en s’appuyant sur les causes structurelles qui mènent à l’itinérance. Si ce phénomène est considéré comme prioritaire et qu’elle souhaite y intervenir, la Ville se doit de témoigner des différentes réalités existantes.

La Ville doit avoir du leadership sur l’ensemble de son territoire afin d’y développer une intervention concertée dans le respect des droits de chacun. Dans les arrondissements, elle doit pouvoir intervenir et suggérer des alternatives à l’adoption de règlements ayant pour effet d’aggraver le processus d’exclusion dans lequel les personnes itinérantes sont déjà engagées.

Pour plus d’informations sur la judiciarisation des personnes itinérantes,visitez le www.rapsim.org.


(1) L’inventaire des pratiques alternatives à la judiciarisation des personnes itinérantes, mai 2003, p.2.
(2) Pratique de défense de droits individuelle et collective à l’intention des personnes itinérantes et intervenantes communautaires.
(3) TAPAJ suggère aux jeunes de moins de 30 ans de réaliser un travail de type sanitaire, artistique ou environnemental : nettoyage de ruelles, graffiti organisé, etc. La personne s’inscrit en matinée et se présente pour un travail rémunéré à la journée.
(4) Pratique multiple visant le maintient en logement de la personne