Revue Porte Ouverte

Employabilité et réinsertion sociale

Par Jean-François Cusson,
ASRSQ

À l’ombre des murs

Ce compte rendu a été écrit dans le cadre d’une collaboration avec la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale (Ottawa) et la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé (Paris).

À partir de son expérience personnelle et d’une enquête de terrain étoffée, la sociologue Gwénola Ricordeau raconte le quotidien des détenus et de leurs proches: les semaines rythmées par les parloirs et le courrier, la vie familiale et conjugale, la sexualité, l’éducation des enfants et les destins de ceux qui ont vécu la prison.

Dès les premières lignes, elle se positionne clairement à propos de sa relation à l’univers carcéral qui lui apparaît «surtout une humiliation pour les détenus et pour nous, leurs proches ». Son expérience à titre de bénévole, proche de détenu et de chercheuse est peu banale. Sa proximité avec les familles et les détenus pourrait laisser croire à un biais et un manque de neutralité. C’est donc avec raison qu’elle s’interroge sur l’impact de son expérience sur cette enquête. Or, c’est probablement la force de cet ouvrage : sa proximité avec le terrain d’étude permet d’éviter la superficialité et favorise une enquête traitant des véritables préoccupations des personnes interrogées. Avec l’aide d’une collègue, elle a rencontré 70 personnes incarcérées, 26 de leurs proches et 11 anciens détenus.

La prison : véritable boîte à malice

Les détenus n’ont pas la côte auprès du public ; même des membres du personnel correctionnel lui ont manifesté mal comprendre la pertinence de ce sujet d’étude. La direction d’un établissement lui a même proposé de porter l’uniforme de surveillant afin de lui assurer une meilleure objectivité ( !). Ainsi elle aurait pu, selon eux, comprendre la difficulté du travail du personnel et l’importance d’entretenir une certaine méfiance envers les propos des détenus.

Si certains pourront critiquer qu’on n’y retrouve aucun témoignage du personnel carcéral, il est réconfortant de lire un ouvrage qui laisse la parole aux détenus et à leurs proches sans tenter de disqualifier ou nuancer leurs propos. Pour bien comprendre la prison, il faut d’abord comprendre l’expérience de ceux qui la vivent, et ce, malgré le manque de nuance, les contradictions et les masques portés.

En nous présentant l’éternelle opposition entre l’administration correctionnelle et les détenus, elle nous montre aussi leurs perceptions d’un univers qui doit sans cesse réussir à concilier réhabilitation, sécurité et respect. Ici, il importe peu que la perception de la prison qu’entretiennent les détenus et leurs proches reflète toujours la réalité : les difficultés et les frustrations vécues au quotidien sont bien réelles.

La chercheuse écoute, questionne et commente. On retrouve de nombreuses citations, fortes en images, tirées de ses rencontres. Appuyée par une bibliographie étoffée, elle s’intéresse particulièrement aux relations humaines et prend des précautions afin de ne pas faire dans le voyeurisme lorsque des sujets délicats sont abordés.

L’épreuve de la prison

Une très grande partie du livre traite de l’impact de la prison sur les liens entre les détenus et leurs proches. De nombreux sujets sont explorés : couple, enfants, ruptures, rencontres, solidarité, peurs, souffrances, etc. Même s’il est possible de conserver un lien avec l’extérieur, maintenir des relations de qualité peut s’avérer une véritable épreuve. Comment concilier une vie familiale, amoureuse et sexuelle lorsqu’un conjoint est incarcéré?

Dehors

La prison ce n’est pas que le « dedans », c’est aussi le « dehors ». En plus des victimes directes, la criminalité frappe durement les familles des détenus qui deviennent des victimes secondaires. Trop souvent oubliées, plusieurs ont visiblement besoin d’aide afin de mieux vivre l’incarcération d’un des leurs. Tout comme les détenus, elles n’échappent pas au processus de dépersonnalisation propre au milieu institutionnel. Alors qu’elles sont appelées à jouer un rôle crucial à la sortie du détenu, il est préoccupant de constater qu’elles sont si peu considérées par les administrations pénitentiaires.

Laisser parler sans filtre

Si la présente enquête vise la France, on réalise rapidement que toutes les prisons se ressemblent et que les préoccupations des personnes incarcérées sont les mêmes. Ricordeau propose des réflexions et des critiques très pertinentes à l’endroit de l’univers carcéral. Cependant, le véritable apport de cette enquête est de laisser parler, sans filtre, ceux qui vivent l’incarcération. On retrouve, au-delà du crime qui mène à la prison, des personnes qui entretiennent des besoins d’amour, d’écoute, de reconnaissance, de sécurité et d’accomplissement. Bref, les mêmes que nous tous!

RICORDEAU, Gwénola. Les détenus et leurs proches : Solidarités et sentiments à l’ombre des murs, Éditions Autrement, Paris, 2008, 265 pages.