CFAD, c'est d'abord un programme mère-enfant en milieu carcéral
CFAD est une ressource communautaire qui, depuis plus de trente ans, aide des femmes ayant des démêlés avec la justice, à maintenir les liens avec leurs enfants que ce soit pendant leur détention ou lors de leur réinsertion sociale. Une telle mission se justifie par le fait qu'une majorité des femmes judiciarisées sont mères, la plupart ayant par ailleurs le statut de chef de famille monoparentale.
En 1985, Yolande Trépanier a fait oeuvre de pionnière en concevant un projet novateur et audacieux qui avait pour objectif de réduire l'impact négatif d'une séparation brutale entre la mère et ses enfants, en leur permettant de reprendre contact lors d'une visite familiale de 24 heures. Ces retrouvailles se déroulaient dans une maison mobile, communément appelée « roulotte », installée dans la cour de la prison Tanguay. Sous la supervision d'une accompagnatrice de CFAD, mères et enfants (une famille à la fois) pouvaient renouer avec les gestes du quotidien comme jouer et partager un repas. Les membres de la famille proche, parfois traumatisés par ce que l'incarcération peut représenter, étaient invités à participer à l'organisation du séjour, entre autres en assurant le transport des enfants. Rapidement, des mères en détention se sont portées candidates à de tels séjours et ont contribué à relever les défis d'une expérience unique et constamment en quête de visibilité et d'appuis dans les milieux carcéraux et gouvernementaux.
Depuis, CFAD a maintenu son implication en milieu carcéral et cherché à diversifier ses activités en offrant aux mères en détention (et parfois à une grand-mère ayant un lien significatif avec ses petits-enfants) la possibilité de célébrer ensemble des fêtes comme Noël et la fête des Mères. Le temps d'un après-midi, ces rencontres réunissent à la prison plusieurs familles et sont des moments de réjouissance et de proximité qui contribuent à souder les liens, parfois fragilisés par la séparation.
Récemment CFAD a oeuvré à la mise sur pied d'un atelier de réflexion sur les compétences parentales par le biais de l'écriture d'une histoire réalisée par les mères et destinée à leurs enfants. Parmi les femmes que nous accompagnons, certaines n'ont pas acquis les outils nécessaires pour connaitre une expérience de la parentalité positive. Un pourcentage important des mères incarcérées ont vécu de la maltraitance et de la négligence parentale, ce qui laisse des marques importantes et rend la pratique parentale d'autant plus difficile pour elles. Nombre d'entre elles n'ont plus foi en leurs capacités de prendre soin et de veiller au bien-être de leurs enfants et le rôle premier de CFAD est de les accompagner pour qu'ultimement elles reprennent confiance en elles. L'atelier entrepris en octobre 2016 se poursuit et son impact semble déjà concluant.
L'expérience des accompagnatrices de CFAD démontre que les visites familiales, ainsi que les activités de célébration, apportent de nombreux bénéfices à la fois aux enfants et aux mères. Il s'avère que le contexte particulier des séjours qui se déroulent dans un milieu adéquat où règne une certaine sérénité permet alors à la mère de se consacrer entièrement à son rôle parental. Selon le pédiatre Jean-François Chicoine2, si le parent est moindrement distrait par autre chose, que ce soit les jeux vidéo, l'alcool, la drogue, les problèmes financiers, la violence conjugale, par exemple, c'est l'enfant qui sera le premier à « écoper ». La parentalité serait une question de temps, de disponibilité, ainsi qu'une question de proximité physique. Les visites familiales de 24 heures favorisent l'expérience parentale par le biais d'activités du quotidien exemptes de toutes distractions. Idéalement, un enfant devrait pouvoir garder contact avec sa mère incarcérée afin de pouvoir la sentir, la voir, la toucher et l'entendre. Le programme mère-enfant vise ces aspects incontournables au développement d'un enfant et permet aussi à la mère de vivre une expérience parentale qui soit positive.
Dans son rapport annuel 2015-2016 CFAD a recensé 44 visites familiales de 24 heures auxquels ont participé 18 enfants, âgés entre 3 mois et 14 ans, et 15 mères.
Depuis sa fondation, CFAD a pu compter sur l'appui financier du Ministère québécois de la Sécurité publique pour la réalisation de son programme mère-enfant qui, jusqu'en février 2016, a tenu ses activités à l'établissement de détention Maison Tanguay. Pour des raisons de vétusté, cet établissement a été fermé et les détenues ont été transférées à l'Établissement de détention Leclerc de Laval. Des unités spéciales ont été aménagées sur son terrain afin que les visites familiales de 24 heures reprennent dès mars 2016.
Dans son rapport annuel 2015-2016, CFAD a recensé 44 visites familiales de 24 heures auxquels ont participé 18 enfants, âgés entre 3 mois et 14 ans, et 15 mères. Quant à la célébration des fêtes, elles ont permis à 22 participantes et 29 enfants, âgés de moins de 15 ans, de partager quelques heures de réjouissance et d'intimité.
CFAD, c'est aussi un centre de jour externe qui accueille les femmes et leurs familles
Pour réaliser pleinement sa mission, CFAD a compris l'importance d'offrir une structure d'accueil externe. Financé par le ministère québécois de la Famille et, en partie, par Service correctionnel Canada, le centre de jour existe pour répondre aux besoins des femmes sitôt qu'elles commencent à préparer leur sortie de prison et à prévoir les ressources nécessaires pour les accompagner dans leurs démarches de réinsertion sociale. Au fil des ans, divers programmes ont pris forme et donné vie à un centre de jour qui a pignon sur rue dans le quartier Saint-Henri à Montréal. Grâce à un numéro 1-800, les femmes en établissement de détention peuvent faire appel à CFAD avant même leur sortie de prison. Sur place, les services et l'expertise de CFAD sont offerts du lundi au jeudi aux femmes en processus de réinsertion sociale qu'elles résident à la Maison de transition Thérèse-Casgrain ou qu'elles soient de retour en communauté, ayant repris la vie commune avec leurs enfants et leurs proches.
Un projet PACE adapté à la réalité des femmes judiciarisées
Relevant de l'Agence de la santé publique du Canada, le PACE (programme d'action communautaire pour les enfants) soutient à CFAD un projet qui, depuis 1998, s'adresse spécifiquement aux femmes ayant des démêlés avec la justice (sans avoir forcément connu une période d'incarcération) et qui ont des enfants de 12 ans et moins. Ce projet comprend des visites à domicile, de l'accompagnement, de l'aide aux devoirs, des camps d'été et de la relâche, des activités sportives et culturelles, des sorties familiales, le tout réalisé dans un souci de prévention de la criminalité et des comportements à risque pour les familles judiciarisées. Au cours de la dernière année, le projet PACE a aidé 44 familles et permis à l'équipe du projet, par le biais de visites à domicile, de mieux connaître leurs réalités de vie et leurs besoins.
Distribution de denrées alimentaires
Une fois par semaine, CFAD, en collaboration avec Moisson Montréal et le Garde-Manger Pour Tous, offre à une trentaine de familles un service de banque alimentaire que nous appelons « La Moisson ». Pour 5 $, les femmes judiciarisées et leur famille peuvent combler une partie de leurs besoins alimentaires, ce qui facilite leur réinsertion et les aide à passer à travers des périodes de grande insécurité financière. Au cours de la dernière année, 70 ménages différents ont bénéficié du service de banque alimentaire et plus de 1200 paniers ont été distribués. Ces paniers permettent également aux femmes en maison de transition de contribuer au bien-être de la famille lors de leurs visites chez elles la fin de semaine et d'obtenir une aide conséquente lors de leur retour définitif à la maison.
Accompagnement et aide aux femmes judiciarisées
Pour améliorer la qualité de vie des femmes ayant eu des démêlés avec la justice, CFAD les accompagne dans leurs démarches, que ce soit la recherche d'un logement ou d'un emploi, un retour aux études, une visite médicale ou toutes autres actions concrètes visant leur réinsertion et leur épanouissement. Cet accompagnement se fait tant auprès de femmes sous mandat fédéral qu'auprès des femmes sous mandat provincial, que ce soit par des visites à l'Établissement Joliette, par une écoute téléphonique offerte quatre jours par semaine ou par des rencontres en personne au centre de jour ou à la maison de transition Thérèse-Casgrain. Au cours de la dernière année, plus de 150 femmes ont fréquenté les activités du centre de jour de CFAD (dîners communautaires, atelier de cuisine, paniers de Noël, fête des Mères) afin de bénéficier d'un environnement empreint de respect et propice aux échanges et à l'autonomisation.
Travaux compensatoires ou communautaires
CFAD accueille à longueur d'année des femmes ayant eu des démêlés avec la justice et qui doivent effectuer des travaux compensatoires ou communautaires. Ces personnes et nos bénévoles se voient confier des tâches qui aident CFAD dans l'accomplissement de son mandat. Au cours de la dernière année, 12 femmes ont effectué des travaux compensatoires et 6 femmes des heures de service communautaire au centre de jour de CFAD, leur permettant de reprendre confiance en elles, de renouer avec leurs talents et expertises et de contribuer concrètement à la mission de CFAD.
CFAD vient en aide à des femmes vivant de multiples problématiques sociales
Sans prétendre tracer un profil exhaustif des femmes contrevenantes qui font appel aux services de CFAD3, force est de constater que la plupart des participantes inscrites à ses divers programmes sont des mères monoparentales responsables de familles nombreuses, ont subi plusieurs formes de violence depuis leur enfance, sont sous-scolarisées, vivent de l'insécurité financière et sont marginalisées. Certaines ont des problèmes de santé mentale et de toxicomanie et peinent à trouver la stabilité nécessaire pour s'occuper d'elles-mêmes et de leur famille. L'exercice de leur rôle de mère représente un perpétuel défi dans un contexte marqué par la faiblesse de leur réseau d'aide, le manque de confiance en elles et le fait qu'elles se heurtent constamment aux préjugés de la société qui leur fait porter les étiquettes de mères instables, irresponsables, négligentes, etc. Et pourtant, au fil des ans, les intervenantes à CFAD ont été témoins de la capacité de résilience de ces femmes et de leurs enfants. Loin de reprendre à leur compte certains préjugés dévastateurs pour ces femmes, elles ont privilégié une attitude d'ouverture et de respect, et mis en valeur leurs forces et leurs compétences, particulièrement en regard de leur engagement auprès leurs enfants.
Le travail des bénévoles
Sans l'apport assidu et généreux des bénévoles, et en l'absence d'un financement à la hauteur de ses besoins, CFAD ne pourrait accomplir sa mission comme ce fut le cas depuis plus de trente ans. Qui sont ces bénévoles? Essentiellement, ce sont d'anciennes participantes aux activités de CFAD, des femmes du quartier St-Henri qui reçoivent de l'aide alimentaire, des étudiantes ou stagiaires, des retraitées ou des travailleuses. Nombreuses sont celles qui participent à l'aide aux devoirs et aux sorties familiales, cuisinent les repas communautaires, s'assurent de la propreté des locaux, préparent les paniers alimentaires, aident des femmes nouvellement libérées à s'installer dans leur logement, planifient la fête de Noël, recueillent des dons et veillent à la bonne gestion de CFAD.
La contribution des communautés religieuses
Dès sa constitution, CFAD a reçu un appui de diverses communautés religieuses sensibilisées à la problématique des femmes en détention et désireuses de compenser la faible contribution financière de l'État. Ces religieuses ont donné de leur temps et de leurs ressources pour aider CFAD à réaliser sa mission. À l'occasion, elles ont apporté une aide financière généreuse, mais non récurrente, pour assurer la réalisation de certains projets d'envergure et donner accès à des locaux adéquats, sécuritaires et situés à proximité du milieu de vie des femmes. CFAD leur demeurera éternellement reconnaissant.
En conclusion, rappelons que CFAD est un organisme communautaire qui, depuis 1985, travaille à redonner aux femmes contrevenantes l'espoir et les outils nécessaires pour s'extraire d'une situation difficile, et éviter de mettre en péril leur relation mère-enfant. CFAD mise sur la pérennité de ce lien, sachant qu'il peut faire la différence dans le désir et l'engagement de ces femmes à réintégrer la société. Pour en savoir davantage sur CFAD et ses programmes, merci de consulter www.cfad.ca.
Références
1 Je remercie Frédérique Giguère, membre du conseil d'administration de CFAD, et Agnès Billa, directrice de l'organisme, pour leur relecture de l'article et leurs commentaires judicieux.
2 Entrevue avec Dr. Chicoine lors de son passage à l'émission Les Francs-Tireurs diffusée le 23 novembre 2016 sur la chaine de Télé Québec.
3 Pour plus d'informations, voir le dossier thématique préparé par l'ASRSQ sur les femmes contrevenantes et mis à jour en juillet 2013.