Revue Porte Ouverte

Les femmes dans le système de justice pénale : Constats, défis et particularités

Par Mylène Morand,
Agente aux communications et aux programmes, ASRSQ

Travailler au quotidien auprès de femmes judiciarisées

Lyne Gazaille travaille pour la Société Elizabeth Fry du Québec depuis dix ans, elle est la coordonnatrice du programme de surveillance communautaire.

Solange Lecot travaille depuis bientôt 8 ans à la Société Elizabeth Fry du Québec en tant qu'intervenante de soutien et depuis 2 ans, comme agente de programme en communauté.

Quelle est la particularité de cette clientèle et au quotidien, à quelles réalités devez-vous faire face en tant qu'intervenante?

Lyne : Nos clientes peuvent être en situation de pauvreté économique et faire face à des problèmes de toxicomanie. Elles sont parfois amenées à prendre des décisions en fonction de leur conjoint ne priorisant pas nécessairement leur bien-être personnel. Elles sont aux prises avec beaucoup de vulnérabilités. En tant qu'intervenantes, nous devons les aider à acquérir davantage d'autonomie affective. Dans le processus d'accompagnement, il faut prendre en considération les complications externes, que ce soit la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), la Cour, le conjoint, la violence conjugale, les drogues, etc. Ces femmes vivent des difficultés et il faut les aider à reconstruire leur estime personnelle. Il faut savoir s'adapter à leur rythme. Pour certaines, personne ne leur a jamais dit : « je te fais confiance, tu es capable! ».

Solange : Il est impossible d'imaginer un système de réintégration sociale après la judiciarisation des femmes sans considérer le fait qu'elles ont des enfants. C'est la particularité de nos clientes, elles sont souvent des mères monoparentales et ont majoritairement la responsabilité de la famille. Donc, lorsque la femme se retrouve en détention ou a des démêlés avec la justice, c'est la famille qui est mise à l'épreuve, car elles en sont souvent le pilier.

Au niveau de l'intervention, c'est un processus de longue haleine. Parfois, ce que vous estimez être de petites réussites sont de grands accomplissements pour elles et peuvent prendre plus de temps. Je pense, par exemple, à l'obtention de la carte d'assurance-maladie. Le délai est très long avant de réussir à l'obtenir. Une fois cette démarche accomplie, c'est un immense pas pour ces femmes.

Pouvez-vous définir davantage les besoins auxquels les femmes judiciarisées font face?

Lyne : Ces femmes ont besoin d'être écoutées et de ressentir qu'il n'y a pas de jugements de la part de l'intervenante. Elles ont souvent peur d'être perçues comme de mauvaises personnes, car à travers leur processus judiciaire, elles sont toujours associées aux mauvais choix qu'elles ont pu faire dans le passé, et qui les ont conduits à avoir des démêlés avec la justice. À l'étape de la surveillance communautaire, les femmes se sentent souvent isolées alors, lorsqu'elles rencontrent quelqu'un d'objectif, qui n'est pas impliqué émotivement, cela les aide beaucoup.

Solange : Les femmes judiciarisées ont besoin de vivre des expériences humaines valorisantes et positives, des activités qui vont les amener à avoir confiance en elles et en l'avenir. Il s'agit pour elles d'avoir des occasions de prendre part à des programmes psychosociaux tels que gestion de la colère, autonome et libre, des projets d'art communautaire comme Art Entr'Elles et/ou des programmes de réinsertion à l'emploi. Ces actions ont un impact sur leur motivation, sur leur confiance et sur leur perception du travail comme possible source d'épanouissement.

Du point de vue des relations interpersonnelles, elles ont besoin d'identifier les éléments qui constituent une relation de couple saine. Souvent, elles ne l'ont jamais vécu et elles ont de la difficulté à s'imaginer que c'est possible d'être bien en couple.

Elles ont aussi besoin d'apprendre à maintenir leur réseau de soutien. Il est important que la personne se sente capable d'aller chercher les ressources dont elle a besoin. Pour ce faire, nous devons établir une relation de confiance avec elles leur permettant de développer leur autonomie et d'être en capacité à chercher de l'aide en fonction de leur besoin et à ne pas se sentir menacées ou honteuses de le faire.

Quel est selon vous l'enjeu le plus difficile en terme d'intervention vis-à-vis des femmes judiciarisées?

Lyne : Au départ, la grande difficulté c'est de créer un lien, une relation de confiance. En surveillance communautaire, il y a une part de notre travail qui relève de l'autorité et du contrôle. Mais d'un autre côté, il y a tout l'aspect de l'accompagnement de la personne afin de l'aider à ne pas récidiver. Ce processus de soutien est central dans notre travail. La création d'un lien de confiance est donc incontournable. Lorsqu'il se crée et que la cliente comprend que nous sommes également présentes pour lui venir en aide, nous pouvons alors ensemble accomplir de belles choses.

Solange : Définitivement, c'est de ne pas tomber dans la sympathie. Parfois c'est complètement injuste, et il peut m'arriver d'être en accord avec les propos d'une femme, mais mon rôle est de lui montrer qu'elle doit se relever les manches et continuer de prendre les ressources offertes pour aller mieux. Il faut enseigner la résilience. Elles doivent se sortir du rôle de victime. Il est souvent question de trouver un équilibre. L'important c'est qu'elles avancent, qu'elles continuent de cheminer.

Pour vous, quel est l'aspect le plus marquant chez ces femmes?

Lyne et Solange : L'aspect le plus marquant chez les femmes judiciarisées est leur histoire commune de victimisation. Elles ont pour la plupart vécu, dans leur passé ou au cours de leur vie, une situation qui les a amenées à prendre des décisions qui ne sont pas nécessairement légales. Elles ont pu parfois fermer les yeux sur des comportements de violence et de toxicomanie qui les ont positionnées dans une situation de vulnérabilité. Leurs parcours de vie nous rappellent que la frontière entre légalité et illégalité peut être mince et qu'il peut être facile de basculer du mauvais côté.