Revue Porte Ouverte

Les femmes délinquantes sont-elles laissées pour compte?

Par Dany Tremblay

et Bruno Roy

Réflexion de profane — Joliette : Foyer d’écriture publique pour femmes incarcérées

La présence d’un écrivain ou d’une écrivaine dans un centre pénitencier doit, dans l’esprit des foyers d’écriture publique, prendre la forme du don. Notre expérience s’est déroulée dans des conditions différentes de celles habituellement tenues dans les lieux publics de la ville. Il faut savoir qu’en prison les personnes qui viennent nous voir se présentent en groupe, contrairement à la pratique habituelle. Serait-il souhaitable qu’en prison chaque personne, ici chaque femme, puisse profiter d’une rencontre individuelle avec l’écrivain? Il faudrait sûrement en parler avec les personnes compétentes. La formule privilégiée par Les Donneurs de mots semble difficilement applicable en prison. À ce sujet, la réflexion doit se poursuivre.

Nous avons évité toute référence au vécu. Nous intéressait le rapport aux mots, le rapport au langage.

La rencontre des personnes en détention à sécurité minimale — quatre femmes se sont présentées — après un échange d’informations sur l’écriture et les conditions de publication, s’est transformée en atelier d’écriture qui visait à faire comprendre aux participantes qu’en utilisant les mêmes mots, elles pouvaient en banaliser le sens ou l’enrichir. Celles-ci, également, pouvaient expérimenter le passage du sens propre au sens figuré et mieux comprendre que les mots cachent et révèlent tout à la fois. Il s’agissait moins d’expliquer que de faire ressentir la chose. Notre rôle, en tant qu’écrivains, consistait à leur faire prendre conscience qu’elles pouvaient se raconter à travers les mots et que ceux-ci ont un pouvoir de changement puisque ces mots pouvaient changer notre regard sur soi. En tout cas, les mots peuvent faire réfléchir.

Nous avons évité toute référence au vécu. Nous intéressait le rapport aux mots, le rapport au langage. La rencontre terminée, nous avons eu l’impression que l’expérience, grâce à un nouveau rapport aux mots, les a changées. Elles ont quitté l’atelier, pensons-nous, avec une nouvelle compréhension de leur rapport aux mots.

Ces quatre femmes se sont révélées généreuses d’elles-mêmes, disposées à l’écoute et à la discussion et s’il n’y a pas eu tête à tête pour chacune d’elle avec un écrivain, tel que le conçoit et le souhaite l’activité Les Donneurs, il y a eu par contre, un échange véritable à propos de la langue, du pouvoir d’évocation des mots et du rapport que chacun peut entretenir avec le langage. Le plus étonnant, sans doute, au cours de cette première des deux incursions au pénitencier, est probablement que l’une des femmes participant à l’activité s’exprimait en langue anglaise et que, grâce à la spontanéité et à la générosité d’une autre participante qui s’est chargée de traduire, elle a pu être des nôtres et elle aussi prendre la parole. Bref, la forme qu’a prise cette rencontre du vendredi soir, soit celle d’un atelier d’écriture, s’est révélée une expérience riche en communication, en échanges, quelque chose de surprenant.

Quant à la rencontre des personnes en détention à sécurité maximale — deux femmes se sont présentées —, on pourrait dire qu’elle fut plus éprouvante, mais non moins enrichissante. L’une souhaitait écrire une chanson, l’autre, voulant aborder la question de l’absence/présence par rapport à son fils et sa fille, a éclaté en sanglots. Elle a quitté les lieux et n’est pas revenue. Avec celle qui est restée, nous avons travaillé ensemble un début de chanson. Dès qu’il s’est agi de contenu, nous avons senti une résistance assez forte de la part de cette dernière personne. Nous avons respecté cette résistance. La rencontre s’est terminée avec un échange sur ce qui la passionnait : la nouvelle fantastique. Il est évident que nous avions devant nous une personne qui se croit profondément écrivaine. Lui reste à franchir l’épreuve de l’autre, c’està — dire, assumer en public sa propre parole.

Pour nous, cette expérience de rencontre fut humaine et profonde. Il est clair, peu importe la formule retenue, que nous devons d’abord vérifier les attentes des participantes et nous ajuster en conséquence. Toute formule imposée vivrait probablement un échec. L’écoute des besoins est primordiale. Il faut également noter que nos interventions, nous étions présents dans un même lieu, étaient complémentaires et utiles. Il nous faut rester humbles, humains et respectueux des limites qui se manifestent en cours de route.