Revue Porte Ouverte

Les femmes délinquantes sont-elles laissées pour compte?

Par Patrick Altimas,
Directeur général ASRSQ

La réhabilitation et la réinsertion sociale sont des ingrédients essentiels de sécurité publique

L’année 2005 fut riche en événements de toutes sortes. De tous ces événements, le départ de Johanne Vallée après plus de dix-huit ans à la direction générale toucha particulièrement les membres et les employés de l’ASRSQ. La nouvelle de sa nomination au poste de sous-ministre associée à la Direction générale des services correctionnels du Québec fut accueillie l’été dernier avec joie et tristesse à la fois. Joie pour Johanne qui accédait à un poste lui permettant de mettre en valeur ses talents, ses connaissances et son expérience dans une fonction de très haute responsabilité et d’influence du milieu correctionnel québécois. Tristesse de voir partir une leader et une collaboratrice au mérite et à la valeur inestimables. Si l’Association est rendue là où elle est, soit une voix des plus crédibles autant auprès de nos partenaires que du public, cela aura été en grande partie grâce aux efforts acharnés d’abord de Reneault Tremblay et ensuite de Johanne Vallée.

Pour moi, le départ de Johanne aura d’abord été un grand moment de fierté, moment qui a par la suite évolué en questionnement face à l’avenir. Même s’il est vrai que personne n’est complètement irremplaçable, prendre la place de quelqu’un de la trempe et de la stature de Johanne ne serait pas chose évidente. Finalement, en me disant que Johanne était unique, et que personne ne pouvait prétendre la remplacer, j’ai décidé de poser ma candidature au poste de directeur général de l’ASRSQ quelque part au mois de juillet 2005. Cette pression disparue, cela a dû me permettre de donner une bonne performance à l’entrevue, car me voici, la troisième personne dans l’histoire de l’Association à avoir le privilège de servir et représenter les principaux organismes communautaires actifs en justice pénale au Québec.

J’entrais dans mes nouvelles fonctions le 3 octobre 2005, heureux d’y être, conscient que beaucoup de travail m’attendait et confiant que je pourrais mettre à profit les connaissances ainsi que l’expérience acquises depuis un peu plus de trente ans dans un milieu fort stimulant et intéressant. J’étais aussi conscient qu’après toutes ces années passées sur le terrain à titre d’intervenant ou de gestionnaire dans les secteurs public et communautaire, il me faudrait m’adapter à ces nouveaux rôles de représentant des intérêts des membres, d’arbitre des différends, de rassembleur, de porte-parole auprès des partenaires et du public, de facilitateur, de communicateur, de gestionnaire d’un regroupement, de solliciteur de subventions, d’agent de relations publiques et quoi d’autre encore. La période d’adaptation n’a pas été très longue et j’ai été rapidement lancé dans le feu de l’action.

Une des premières choses que j’ai faites en prenant possession du bureau laissé vacant par Johanne fut d’accrocher au mur un petit cadre contenant un dessin au fusain représentant feu Stephen Cumas, anciennement directeur de la Société John Howard du Québec et un des membres fondateurs de l’ASRSQ. De plus, j’ai retrouvé parmi mes papiers personnels un document produit par Steve en 1974 dont l’extrait suivant que j’ai traduit de l’anglais :

Le déploiement d’efforts en vue d’influencer dans les mois à venir les politiques du gouvernement fédéral constitue pour nous un défi majeur. 
«Nous voyons poindre à l’horizon dans le domaine correctionnel une structure bureaucratique grandissante qui met l’accent sur des techniques de contrôle dans sa guerre contre le crime… Le nombre toujours plus grand de causes devant les tribunaux nous obligera à utiliser des ordinateurs pour traiter les données pertinentes. L’usage grandissant de systèmes de prédiction et de tables actuarielles pourrait même amener les groupes de recherche à percevoir le contrevenant simplement comme un événement ou une statistique plutôt que comme une personne. Ce système bureaucratique orienté vers le contrôle du crime et comportant une approche compartimentée face au contrevenant ne servira qu’à accentuer davantage les problèmes d’un segment de la société déjà impersonnel et anonyme.

À mesure que la nécessité d’adopter ces mesures de contrôle augmentera — et personne ne nie qu’elles soient nécessaires à l’intérieur d’une société aussi complexe que la nôtre — il reviendra aux agences privées de briser cette chaîne d’anonymat et de percevoir le contrevenant comme une personne à part entière.» 1

Quelques semaines plus tard, alors que je complétais ma recherche pour produire mon éditorial, je tombais sur un autre texte inspirant signé cette fois-ci par Johanne Vallée et cela s’adonne qu’il s’agissait du dernier éditorial produit par elle avant son départ et en voici un extrait :

«On doit revaloriser le jugement professionnel des intervenants et réduire les attentes bureaucratiques qui ont transformé, bien involontairement, le travail des professionnels en travail de techniciens de système d’information. On doit mettre en place toutes ces mesures (c.-à-d. application de la Loi sur le système correctionnel du Québec et revoir l’organisation du travail au S.C.C. afin de favoriser des contacts plus fréquents et plus productifs entre les délinquants et les agents) en informant également le public que le risque zéro de récidive est un mythe… On doit plutôt travailler à réduire le risque, car punir ne suffit pas.» 2

Deux textes séparés par plus de trente ans et dont le souci et la portée sont tout à fait semblables. Ajoutons à cela un climat politique changeant où l’accent en justice pénale est d’abord mis sur des solutions magiques ou, comme le nomme Me Jean-Claude Hébert, «le populisme sécuritaire», où la personne redevient anonyme et où le contact entre les gens devient un élément secondaire dans cette volonté de donner l’illusion de la parfaite sécurité. Il reste donc beaucoup de travail à faire afin de faire valoir l’idée que la réhabilitation et la réinsertion sociales font non seulement partie intégrante de la notion de sécurité publique mais qu’elles en sont des ingrédients essentiels.

Cela est d’autant plus vrai dans le contexte de l’arrivée à Ottawa d’un nouveau gouvernement dirigé par un premier ministre qui a fait de la justice pénale une de ses priorités lors des élections. De plus, certains éléments de la plateforme électorale du Parti conservateur du Canada, par exemple l’imp osition de peines minimales dans le cas de certaines catégories de crimes, se retrouvent dans les plateformes d’au moins deux autres partis politiques. Il est à espérer que le nouveau gouvernement créera les conditions permettant la tenue d’un débat plus large avant de légiférer définitivement en matière de justice pénale. Et qu’il soitdit que nous souhaitons ardemment participer à ce débat. 

Le déploiement d’efforts en vue d’influencer dans les mois à venir les politiques du gouvernement fédéral constitue pour nous un défi majeur. 

Nous devons espérer aussi que nous sommes devant une occasion unique permettant d’initier un dialogue productif autour des enjeux en matière de réhabilitation et de réinsertion sociales en tant qu’ingrédients de la sécurité publique.


1 Tiré d’un essai publié en 1974 par M. Stephen Cumas et intitulé Reflections on crime)
2 Vallée, Johanne (2005), Le merdier de la remise en liberté : quand la chaîne n’est pas assez longue, dans Porte ouverte, vol. XVI, nº 4, page 3.